Le Conseil européen a annoncé vendredi avoir adopté un cadre pour des sanctions ciblées contre des personnes ou entités au Liban ayant porté atteinte à la démocratie ou à l'Etat de droit. Cela fait plusieurs mois que la menace de telles sanctions était brandie envers les dirigeants libanais qui achoppent depuis onze mois à former un nouveau gouvernement, pourtant crucial pour redresser le pays du Cèdre plongé dans une très grave crise socioéconomique et financière.
Selon une source de l'UE contactée par L'Orient-Le Jour, il s'agit d'un "cadre légal qui devrait être suivi d'une deuxième phase de discussions portant sur les noms des personnalités ciblées par ces mesures". La source précise dans ce cadre que les noms de celles-ci "ne seront pas rendus publics"
Ce qu'il faut savoir sur le mécanisme adopté
"Le Conseil a adopté un cadre pour des mesures restrictives ciblées pour faire face à la situation au Liban. Ce cadre prévoit la possibilité d'imposer des sanctions à l'encontre de personnes et d'entités ayant porté atteinte à la démocratie ou à l'État de droit au Liban", peut-on lire dans le communiqué officiel de l'UE. Le texte explique par la suite les "agissements" que l'Union européenne considère comme passibles de sanctions :
- Entraver ou compromettre le processus politique démocratique en faisant obstacle de manière persistante à la formation d'un gouvernement ou en entravant ou en compromettant gravement la tenue d'élections;
- Entraver ou compromettre l'application de plans approuvés par des autorités libanaises et soutenus par des acteurs internationaux concernés, y compris l'UE, pour améliorer la responsabilité et la bonne gouvernance dans le secteur public ou la mise en œuvre de réformes économiques essentielles, y compris dans les secteurs bancaire et financier et y compris l'adoption d'une législation transparente et non discriminatoire en matière d'exportation de capitaux;
- Commettre des manquements financiers graves concernant des fonds publics, dans la mesure où les actes concernés sont couverts par la convention des Nations unies contre la corruption, et l'exportation non autorisée de capitaux.
"Les sanctions consistent en une interdiction de pénétrer sur le territoire de l'UE et un gel des avoirs pour les personnes et les entités. En outre, il est interdit aux personnes et aux entités de l'UE de mettre des fonds à la disposition des personnes et des entités inscrites sur la liste", précise le texte.
"Différents instruments"
Le communiqué rappelle par la suite le contexte dans lequel intervient cette annonce. "Le 7 décembre 2020, le Conseil a adopté des conclusions dans lesquelles il constatait avec une inquiétude croissante que la grave crise financière, économique, sociale et politique qui s'est installée au Liban avait continué de s'aggraver au cours des mois précédents et que c'était avant tout la population libanaise qui souffrait des difficultés grandissantes du pays. Le Conseil soulignait qu'il était urgent et nécessaire que les autorités libanaises mettent en œuvre des réformes afin de rétablir la confiance de la communauté internationale. Le Conseil appelait par ailleurs l'ensemble des parties prenantes et des forces politiques libanaises à soutenir la formation d'urgence d'un gouvernement au Liban axé sur une mission, crédible et comptable de ses actes, qui soit en mesure de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Depuis lors, le Conseil a exprimé à maintes reprises la vive préoccupation que lui inspire la détérioration de la situation au Liban. Malgré les appels répétés adressés aux forces politiques et aux parties prenantes libanaises pour qu'elles agissent dans l'intérêt national et ne retardent pas davantage la formation d'un gouvernement pleinement habilité et capable de répondre aux besoins urgents du pays ainsi que de mettre en œuvre des réformes indispensables, rien n'avance. Entretemps, la situation économique, sociale et humanitaire au Liban ne cesse de se détériorer et la population continue de souffrir".
En visite au Liban fin juin, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell avait en effet déjà brandi le spectre de sanctions contre ceux qui bloquent le processus gouvernemental. Ces sanctions étaient en discussions à l'UE à la demande de la France, qui a elle-même déjà adopté des restrictions d'accès au territoire français à l'encontre de personnalités libanaises jugées responsables du blocage, sans dévoiler leur identité. Les 27 étaient jusqu'à présent divisés sur le bien-fondé des sanctions au niveau européen, mais le soutien des deux principales puissances du bloc, Paris et Berlin, à un tel mécanisme, semble avoir été déterminant. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait ainsi annoncé le 12 juillet qu’un "consensus" avait été trouvé entre les États membres de l’UE afin de mettre en place "avant la fin du mois" un "cadre juridique" de sanctions visant des responsables libanais. "Le Liban est un pays qui est en train de s’autodétruire depuis plusieurs mois, mais il y a maintenant une situation d’urgence majeure pour une population qui est dans la détresse", avait déclaré M. Le Drian à l’issue d’un Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE.
"L'UE reste déterminée à aider le Liban et sa population à surmonter les difficultés actuelles et elle est prête à utiliser les différents instruments dont elle dispose pour ce faire. Il est toutefois de la plus haute importance que les dirigeants libanais mettent de côté leurs divergences et agissent ensemble pour former un gouvernement et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour guider le pays sur la voie d'une reprise durable. La stabilité et la prospérité du Liban revêtent une importance cruciale pour l'ensemble de la région et pour l'Europe", conclut le texte.
La France "prête à accroître les pressions"
Le Liban est sans gouvernement actif depuis août 2020, après la démission du cabinet de Hassane Diab intervenue dans la foulée de la double explosion dans le port de Beyrouth. Saad Hariri avait été désigné en octobre 2020 mais prisonnier d'un imbroglio politico-personnel avec le chef de l'État et son camp politique, dirigé par son gendre Gebran Bassil, il a fini par se récuser. Dix jours après sa récusation, c'est Nagib Mikati qui a été désigné pour reprendre le flambeau de la formation d'un cabinet. Il s'agit, depuis fin août 2020, du troisième Premier ministre désigné pour former un gouvernement de "mission" réclamé à l'international, notamment par la France, qui a proposé en septembre dernier un plan de réformes économiques et de lutte anticorruption en contrepartie d'un déblocage d'une aide financière cruciale pour sortir le pays de la crise sans précédent qu'il traverse.
Peu avant l'annonce de l'UE, la France s'est dite "prête à accroître, avec ses partenaires européens et internationaux, les pressions sur les responsables politiques libanais" pour une formation rapide d'un gouvernement. "La formation urgente d'un gouvernement pleinement opérationnel, en mesure de lancer les réformes que la situation exige et qui conditionnent toute aide structurelle, reste la priorité, a déclaré la porte-parole du Quai d'Orsay lors du point de presse. La France appelle l'ensemble des dirigeants libanais à agir en ce sens et en faveur de l'intérêt général le plus rapidement possible. Elle se tient prête à accroître, avec ses partenaires européens et internationaux, les pressions sur les responsables politiques libanais pour y parvenir".
commentaires (6)
On espère que les sanctions financières frapperont, non seulement les politiciens, mais aussi leur famille car c'est là que le magot est dissimulé.
La Colère de Zeus
23 h 20, le 30 juillet 2021