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Lifestyle - Un peu plus

L’éternel exil des Libanais

L’éternel exil des Libanais

Photo Bigstock

On n’y échappera jamais. La fin du XIXe siècle, la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile et maintenant, la lente mort de ce beau pays qui est le nôtre. Les Libanais sont condamnés à quitter le Liban. Parfois même à plusieurs reprises. Des dizaines de milliers de familles ont été séparées. Des dizaines de milliers de familles sont parties là où l’herbe est plus verte. Là où la vie est un peu plus normale. Presque chaque famille a un de ses membres à l’étranger. Un enfant, la fratrie entière, un neveu, une tante, un cousin… sans parler des amis qui formaient ce qu’on peut appeler la famille de cœur. Le Liban sépare ceux qui s’aiment. Et la classe dirigeante a fini d’achever cette union familiale qui faisait notre force.

Depuis à peu près deux ans, le Liban connaît un exode massif de sa population. Les avions aux départs, contrairement aux arrivées, sont bondés d’élèves, d’étudiants, de jeunes fraîchement diplômés, de médecins, d’infirmières, d’entrepreneurs, de restaurateurs, de serveurs, et j’en passe. Des mères accompagnent leurs enfants pour qu’ils puissent finir leur scolarité dans un environnement acceptable, des pères émigrent vers les pays du Golfe, l’Europe ou l’Amérique du Nord. Peu importe la destination tant que ce n’est pas, tant que ce n’est plus le Liban. Ceux-là ont la chance ou l’opportunité de pouvoir plier bagage. Les autres, parfois ne le veulent mais surtout ne le peuvent pas. Et dans tous les cas de figure, ce n’est plus une question de choix. On s’en va parce qu’on n’a plus le choix. Parce que vivre en fonction des coupures d’électricité, des approvisionnements d’essence, des humeurs du jour des gens au(x) pouvoir(s), de l’arrivage de médicaments dans des valises de fortune, d’un réseau téléphonique parkinsonien, d’un internet amnésique, d’une eau insalubre de plus en plus rare, des mafias des générateurs aux prix exorbitants, des « antars » des stations d’essence, est devenu infernal. Alors, on s’en va.

Cette politique de l’exil s’inscrit à la même enseigne que la politique de la faim. On pousse depuis la nuit des temps les Libanais à partir. Depuis petits, les élèves du privé n’apprennent pas grand-chose sur leur pays. Une ou deux années de cours d’histoire (avortée) et de géographie en arabe, qu’ils finissent par oublier. Ces enfants sont dès le départ dépouillés de l’histoire de leur pays. Ils n’y connaissent pas grand-chose. Ils en savent souvent plus sur Napoléon que sur Fakhreddine, sur la Constitution américaine que sur le Doustour, sur les chaînes de montagne en Russie que sur le Akkar. Comme si on leur disait en permanence qu’il faut partir. Partir pour mieux ou ne pas revenir. Mais surtout, partir pour virer de l’argent. Pour faire marcher une économie mourante basée sur l’envoi de devises étrangères. Aujourd’hui encore plus qu’hier. La classe dirigeante nous a pris en otage et considère les nouveaux exilés à l’instar des précédents comme des vaches à lait au cœur et à l’âme brisés.

Ces pourritures au pouvoir ont sorti leur/notre argent et leurs enfants du pays. Eux et elles ne donneront pas de lait. Eux et elles nous ont sucé le sang et continuent leurs vies dans des appartements cossus du 16e à Paris en sanglotant indécemment sur la difficulté de l’exil. Il y a des exils et des exils. Mais ce que n’ont pas (encore) saisi ces vautours de la dernière heure, c’est que lorsque le pays se sera totalement éteint, qu’il se sera vidé de ses cerveaux et de son élite, de sa jeunesse talentueuse ; quand le pays n’aura plus rien à leur offrir, de nouvelles pousses jailliront et certains, voire beaucoup, reviendront. Et ce jour-là, ils ne seront plus. Ils seront du mauvais côté de l’histoire, cette histoire qu’on enseignera à nouveau. Ils auront tout perdu en ayant essayé de tout gagner. Leur progéniture quant à elle ne pourra plus revenir et se suffira d’un pays d’accueil qui ne sera jamais vraiment le leur. Et malgré le fait qu’ils auront profité de toute une population, ils ne seront plus jamais libanais. Nous ne le leur permettrons pas. Maudits jusqu’à la fin des temps, loin de leur terre natale, ils seront à leur tour les bâtards de cette nouvelle république qui verra le jour. Que ce soit demain ou dans une décennie. Ce seront eux, les exilés.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous les horizons. Tous les dimanches à 20h, heure de Beyrouth.

Épisode de la semaine : Hassan Khatib (BBChannel)

On n’y échappera jamais. La fin du XIXe siècle, la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile et maintenant, la lente mort de ce beau pays qui est le nôtre. Les Libanais sont condamnés à quitter le Liban. Parfois même à plusieurs reprises. Des dizaines de milliers de familles ont été séparées. Des dizaines de milliers de familles sont parties là où l’herbe est plus verte. Là où...

commentaires (1)

Lorsqu'une majorité de Libanais aura quitté le Liban, il n'y aura plus personne à qui ces exilés voudront transférer des devises fortes et "fraiches".

Georges Airut

04 h 16, le 03 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • Lorsqu'une majorité de Libanais aura quitté le Liban, il n'y aura plus personne à qui ces exilés voudront transférer des devises fortes et "fraiches".

    Georges Airut

    04 h 16, le 03 septembre 2021

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