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Nos Lecteurs ont la Parole

Survivre ainsi est pire que la mort

Moi  : Allô, je viens d’apprendre la triste nouvelle concernant ton frère... Mes condoléances pour...

Lui : Ne sois pas triste... Il a eu la chance de mourir. Il n’a plus à vivre cette vie invivable...

Moi : Ne dis pas ça, au moins tu es vivant, tu as la chance de survivre...

Lui  : Justement, je parle de cela. Survivre ainsi est pire que la mort. La vie continue, mais avec la mort de ce qui fait une vie. La vie continue sans moi, resté vivant, mais démuni des conditions de la vie. Mon existence se déroule sous le signe de son effondrement graduel dans tous les sens et dans toutes ses dimensions.

Moi : Au moins, toi, tu as de quoi te nourrir et où t’héberger...

Lui : Ce n’est pas la faim, c’est le spectre de la faim. Ce n’est pas la dépossession, c’est la violence de la dépossession. Ce n’est pas l’explosion, c’est le traumatisme de cette explosion. Ce n’est pas la régression sociale, c’est le sentiment d’avoir été floué. Ce n’est pas la peur du lendemain, c’est le fait d’ignorer si demain sera vivable ou pas. Ce n’est pas le noir, c’est l’obscurantisme, l’humiliation, la dépression dont je sens les ravages internes chaque jour un peu plus.

Moi  : Mais tu vas te relever, on va tous se relever... On est des êtres résilients...

Lui : La résilience (il pousse un grand éclat de rire), c’est l’autre mot pour désigner le déni, la lâcheté et le mensonge. Survivre, ce n’est pas être résilient. En réalité, certaines cassures et pertes sont si profondes qu’elles deviennent irréversibles et détruisent le sentiment même d’être vivant.

Moi : On est tous dans le même bateau...

Lui  : Sauf qu’il y a les trompeurs et les trompés, les abuseurs et les abusés, les violeurs et les violés, les voleurs et les volés, les indignes et les indignés...

Moi  : Alors, que les indignes s’apprêtent à mettre la main sur un pays invivable, les indignés se trompent toujours de combats et de causes...

Lui : Parce qu’ils protestent pour se plaindre, pas pour revendiquer. En fait, ils essaient de trouver un sens à une vie intrinsèquement vide de sens puisque démunie de tout ce qui fait qu’une vie soit vivante.

C’est toujours un plaisir de discuter avec toi. Au moins, toi, tu m’écoutes parler.

(Conversation téléphonique réelle avec un ami).

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Moi  : Allô, je viens d’apprendre la triste nouvelle concernant ton frère... Mes condoléances pour...
Lui : Ne sois pas triste... Il a eu la chance de mourir. Il n’a plus à vivre cette vie invivable...
Moi : Ne dis pas ça, au moins tu es vivant, tu as la chance de survivre...
Lui  : Justement, je parle de cela. Survivre ainsi est pire que la mort. La vie continue,...
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