Le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a appelé mardi la communauté internationale à "sauver le Liban avant qu'il ne soit trop tard" et à ne plus lier le versement d'aides financières à la formation d'un nouveau cabinet, attendu depuis août 2020. Dans un discours prononcé lors d'une rencontre au Grand Sérail en présence de nombreux ambassadeurs, Hassane Diab a estimé que conditionner des aides internationales à la mise sur pied d'une nouvelle équipe et à la mise en œuvre de réformes est devenu "une "menace pour la vie des Libanais et l'entité libanaise" et que ce "blocus" imposé "n'affecte de toute façon pas les corrompus". Des propos qui lui ont valu une réponse cinglante de la part de l'ambassadrice de France, Anne Grillo, qui a rappelé à M. Diab que l'appauvrissement du pays était une responsabilité qui lui incombait ainsi qu'aux dirigeants, et que l'effondrement était "le résultat délibéré d'une mauvaise gestion depuis des années".
Le pays du Cèdre traverse depuis près de deux ans une grave crise socio-économique et financière, marquée par une dépréciation rapide de sa monnaie nationale et des pénuries. Pour faire face à cet effondrement, un nouveau gouvernement chargé de mener des réformes, qui conditionnent toute aide internationale, doit être formé, mais se fait attendre depuis la démission de celui de Hassane Diab, dans la foulée de la double explosion au port de Beyrouth. Le blocage est dû à des tensions politiques et personnelles entre les différents protagonistes, avec d'un côté le président Michel Aoun et son camp et de l'autre le Premier ministre désigné, Saad Hariri et le président de la Chambre, Nabih Berry. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a toutefois estimé lundi soir que les prochains jours seraient "décisifs" pour la formation du cabinet.
Situation "effrayante"
Au début de son discours, M. Diab a qualifié "d'effrayante" la situation dans le pays, estimant que la crise "pousse le Liban vers une catastrophe majeure". "Pendant que nous sommes rassemblés, des files de voitures s'allongent dans les rues, devant les stations-service, les citoyens cherchent un médicament ou du lait infantile dans les pharmacies et vivent sans électricité, tandis que les coupures quasi-permanentes menacent la vie des patients dans les hôpitaux", a-t-il souligné. Il a mis en garde contre les répercussions d'un effondrement du Liban "qui résonneront au-delà des frontières". "Personne ne pourra se soustraire au danger" d'un tel effondrement, a-t-il lancé.
Face à ce sombre tableau de la situation, le Premier ministre sortant a estimé que "le monde ne peut pas punir les Libanais ni tourner le dos au Liban". Il a estimé que si la communauté internationale continue de conditionner toute aide financière à la formation d'un gouvernement et la mise en œuvre de réformes, cela aura "inévitablement de graves répercussions" et rendra la situation "incontrôlable". Cela constitue selon lui une "menace pour la vie des Libanais et l'entité libanaise", tandis que le "blocus international" imposé "n'affecte pas les corrompus". "Au contraire, c'est le peuple seul qui paie un lourd tribut, a-t-il déploré. Le peuple doit-il mourir à la porte des hôpitaux pour que les corrompus soient tenus responsables ?"
Réponse cinglante de Grillo
Commentant l'expression "blocus international" employée par Hassane Diab, l'ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo, a répondu de manière cinglante au Premier ministre sortant, lui rappelant que l'appauvrissement du pays était une responsabilité qui lui incombait ainsi qu'aux dirigeants, et que l'effondrement était "le résultat délibéré d'une mauvaise gestion depuis des années".
"La situation au Liban est gravissime", a affirmé l'ambassadrice. "Vous avez employé le terme effrayant. Oui elle est effrayante. Mais ce qui est effrayant, M. le Premier ministre, c'est l'appauvrissement brutal de ce qui était une référence dans cette région. Cet effondrement est le résultat délibéré d'une mauvaise gestion, de l'inaction, et cela depuis des années", a-t-elle dénoncé. "Il n'est pas le résultat d'un siège extérieur. Il est le résultat de vos propres responsabilités, à tous, depuis des années, à la classe politique. C'est ça la réalité", a martelé Mme Grillo, refusant que la communauté internationale, bailleur de fonds du Liban depuis des années, soit mise sur le banc des accusés. "Effectivement, la France, comme d'autres partenaires, appelle, comme vous, à la formation d'un gouvernement, parce que lorsqu'il faut prendre des mesures d'urgence il faut des interlocuteurs. Et pour aider le Liban, des mesures doivent être prises", a justifié l'ambassadrice. "Cette réunion, je la trouve à la fois triste et décalée, car la France, comme d'autres partenaires, n'a pas attendu cet appel pour aider le Liban", a-t-elle conclu.
La France, très présente après la double explosion au port de Beyrouth, avait lancé le 1er septembre dernier une feuille de route de réformes pour sortir le Liban de l'ornière, passant notamment par la mise en place d'un gouvernement d'experts indépendants des partis politiques, une initiative restée pour l'heure lettre morte. La France a également organisé des conférences d'aide humanitaire pour le Liban et de soutien à son armée.
"Explosion sociale"
"Les Libanais ont été patients" dans l'attente de la formation d'un nouveau cabinet, attendu depuis près de onze mois, "mais ils commencent à perdre patience en raison des crises et des souffrances croissantes", a encore dit Hassane Diab. Avertissant d'une "explosion sociale" qui pourrait éclater d'ici "quelques jours", il a exhorté "les Nations unies, la communauté internationale et l'opinion publique" à "empêcher l'anéantissement" du pays du Cèdre.
Il a concédé que les mesures prises par le cabinet chargé des affaires courantes "n'ont fait que retarder" cette explosion sociale, sans pouvoir l'empêcher. "Comment un pays peut-il survivre pendant onze mois sans gouvernement qui ait la confiance du Parlement et des pouvoirs constitutionnels", en pleine crise économique, financière et politique et alors que "les pays amis tournent le dos au Liban ?", a-t-il plaidé. "Ce gouvernement et aucun autre cabinet ne peuvent sauver le pays sans l'aide de ses frères et des institutions internationales", a-t-il insisté.
Et de marteler que la formation d'un nouveau cabinet soit une "priorité absolue" après onze mois d'un "cercle vicieux inacceptable" dans les tractations politiques. La mise sur pied d'une nouvelle équipe ministérielle "est le point de départ vers le sauvetage", a-t-il poursuivi, soulignant que doivent ensuite venir "les négociations avec le FMI et l'obtention d'une aide urgente". "Sauvez le Liban avant qu'il ne soit trop tard", a-t-il déclaré à l'attention des représentants diplomatiques.
Le locataire du Sérail a par ailleurs critiqué les partis qui "lancent des slogans électoraux" pour la protection de "14% des fonds des déposants" alors qu'ils ont eux-mêmes "dépensé ou participé au gaspillage des autres 86%" de ces fonds auprès de la Banque du Liban, en allusion notamment aux Forces libanaises.
Leur chef, Samir Geagea, a réagi vivement dans un communiqué, critiquant la politique suivie par M. Diab, à qui il a reproché en substance de se plaindre d’une situation alors qu’il ne prend aucune initiative pour en atténuer les effets sur les Libanais. "N’auriez-vous pas mieux fait d’aider vous-même votre peuple avant de solliciter l’aide des pays amis ? Qu’est-ce qui a empêché votre gouvernement de se réunir pour prendre des décisions tactiques ponctuelles afin d’atténuer les souffrances des Libanais (…) en attendant la formation d’un nouveau gouvernement", s’est interrogé M. Geagea, avant de stigmatiser "la dilapidation de plusieurs milliards de dollars, puisés dans les dépôts des Libanais, depuis la naissance du cabinet Diab, pour une politique anarchique de subventions dont 20% tout au mieux ont profité aux Libanais".
commentaires (16)
« L’aide internationale ne peut pas se substituer à l'action urgente des politiques libanais . La communauté internationale ne peut pas arrêter l'effondrement du Liban » a prévenu M. Longden.
Alexandre Husson
22 h 44, le 06 juillet 2021