
Un bateau iranien devant un tanker dans le détroit d’Ormouz, le 30 avril 2019. Photo d’archives AFP
« Si l’État n’en a pas le courage, nous irons nous-mêmes négocier l’achat de carburant à Téhéran », a affirmé Hassan Nasrallah Alors que le Liban est confronté à une grave crise du carburant, le secrétaire général du Hezbollah en a profité pour inviter à nouveau Beyrouth à regarder plus à l’Est et importer directement son or noir d’Iran, précisant même que celui-ci pouvait être payé en livres libanaises. Toute transaction commerciale avec l’Iran est sous la menace de sanctions américaines, ce qui rend le projet, dans le contexte actuel, complètement irréaliste. Mais les propos de Hassan Nasrallah, comme toujours, n’étaient pas sans arrière-pensée. « Nasrallah était très sérieux lorsqu’il a évoqué le sujet », confirme un proche du parti de Dieu. Ce dernier considère que la crise économique qui frappe le Liban de plein fouet est la conséquence d’une volonté américaine de faire pression sur le Liban. « Pourquoi avoir peur des sanctions américaines alors que le pays subit déjà un siège », dit la source précitée. Le Hezbollah parie sur la résurrection de l’accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran pour développer les relations entre Beyrouth et Téhéran.
La volonté du parti de se tourner vers l’Est répond en effet à une de ses aspirations fondamentales. Elle correspond à sa vision du monde depuis sa création au lendemain de la révolution islamique iranienne, qui prône la confrontation avec l’Occident et le combat contre son modèle. Le projet iranien ne repose pas uniquement sur une idéologie religieuse ou une puissance militaire, mais aussi sur la création de cellules loyales au sein de sociétés diverses dans de nombreux pays. Cette force sociale, couplée à l’idéologie, au pouvoir militaire et financier, doit être capable de brasser une influence à long terme, vers laquelle convergent les objectifs économiques et financiers. À la lumière de l’effondrement libanais, le Hezbollah estime qu’il est temps pour le pays de se diriger vers l’Est ou, à défaut, de parier sur l’Iran dans de nombreux secteurs, dont le pétrole et le gaz, les médicaments ou autres domaines de coopération. Il s’agit de le faire basculer complètement dans l’axe iranien, mais à condition, bien sûr, d’où l’importance de l’accord sur le nucléaire, que cet axe ne soit pas complètement en ruine.
« Téhéran cherche à atteindre la Méditerranée »
Le 26 juin, une annonce faite par l’ambassade d’Iran à Beyrouth concernant « l’arrivée de tankers iraniens » au Liban n’est pas passée inaperçue. Bien que la Direction générale du pétrole au sein du ministère libanais de l’Énergie ait affirmé n’avoir reçu aucune demande d’autorisation d’importation de pétrole en provenance d’Iran, le message, accompagné d’une photo d’un tanker iranien, a fait du bruit, notamment après les propos de Hassan Nasrallah. Deux jours plus tard, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères publiait un communiqué confirmant la volonté de l’Iran d’aider le Liban, indiquant également que Téhéran est à la recherche de nouveaux marchés pétroliers. Cela ne peut être plus clair. L’Iran prépare déjà l’après-signature de l’accord sur le nucléaire. « Téhéran cherche à atteindre la Méditerranée », affirme un homme politique opposé au parti de Dieu. L’Iran avait déjà tenté de s’établir en Méditerranée via la Syrie, en obtenant la gestion du port de Lattaquié. Mais les Russes, qui considèrent cette partie de la Syrie comme relevant exclusivement de leur autorité, se sont opposés à cette décision. « Le Liban est un terrain plus propice que la Syrie pour l’Iran, compte tenu du fait que son influence y est plus importante », ajoute la source précitée.
L’Iran pourrait aussi faire un autre calcul derrière sa volonté d’exporter son pétrole au Liban. Dans les années 1960, à côté des oléoducs de Zahrani au sud et de Beddaoui à Tripoli, des stations de raffinage de pétrole avaient été installées. Ces stations sont tombées en panne et ont été endommagées pendant la guerre civile et sont toujours inopérantes aujourd’hui. « En 2010, Téhéran a proposé au gouvernement libanais un projet de réhabilitation de ces raffineries, mais le Liban a refusé. En 2016, après la signature de l’accord nucléaire, l’Iran a réitéré son offre, sans succès », assure l’homme politique opposé au Hezbollah. « Tout cela n’est pas sérieux. Ce n’est pas l’Iran mais l’Occident qui veut mettre la main sur le port de Beyrouth », rétorque un cadre du Hezbollah.
Lors de son derniers discours, vendredi dernier, Hassan Nasrallah a annoncé que des entreprises étaient prêtes à venir au Liban et à favoriser l’implantation de centrales de production d’électricité. Deux jours plus tard, c’est une délégation d’entreprises russes spécialisées dans les infrastructures, les gisements pétroliers et les investissements dans les ports qui arrivait au Liban. Lors d’une réunion avec les ministres libanais de l’Énergie et des Travaux publics, la délégation a présenté une offre pour reconstruire le port de Beyrouth et agrandir celui de Tripoli. « Cette visite est l’une des principales retombées de celle du Hezbollah en Russie pour établir un axe de coopération, mais la Russie insiste pour traiter avec l’État libanais », dit le cadre du Hezbollah. Une délégation du parti s’était rendue à Moscou en mai dernier pour discuter principalement du dossier syrien.
« Moscou est prêt à jouer un rôle au Liban, à condition que l’État libanais et les forces politiques l’avalisent », confirme un diplomate russe à L’OLJ. La Russie a exprimé sa volonté de faciliter la démarcation de la frontière entre le Liban et la Syrie, et d’œuvrer en vue de l’exploration pétrolière dans les blocs 1 et 2 au nord du Liban afin de mettre fin au différend entre Beyrouth et Damas. Un accord signé entre la compagnie russe Kapital et le gouvernement syrien pour l’exploration et l’exploitation du bloc syrien numéro 1 et ses gisements en Méditerranée orientale donne un accès à une superficie couvrant ce que le Liban considère comme faisant partie de sa Zone économique exclusive (ZEE). En 2019, le Liban a signé un contrat de vingt ans avec la compagnie pétrolière semi-publique russe Rosneft pour la réhabilitation, l’expansion et l’exploitation des réservoirs de carburants à Tripoli, suite à un appel d’offres lancé en mai 2017 que Moscou avait remporté. La Russie renforce ainsi sa position au Liban grâce à son contrôle étroit sur Tartous et Lattaquié en Syrie. « Le Hezbollah préfère évidemment la présence russe à celle des Américains », conclut le proche du parti de Dieu.
« Si l’État n’en a pas le courage, nous irons nous-mêmes négocier l’achat de carburant à Téhéran », a affirmé Hassan Nasrallah Alors que le Liban est confronté à une grave crise du carburant, le secrétaire général du Hezbollah en a profité pour inviter à nouveau Beyrouth à regarder plus à l’Est et importer directement son or noir d’Iran, précisant même que...
commentaires (12)
Se diriger vers l'Est ? Rien (ou personne) ne peut empêcher le Liban de continuer à traiter avec l'Occident et de s'accrocher à son système capitaliste,mais après l'avoir purgé de la corruption. M.Zedane
ZEDANE Mounir
17 h 38, le 02 juillet 2021