
Une femme assise devant un grand portrait du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, à Khiam au Liban-Sud, le 25 mai 2021. Photo REUTERS/Aziz Taher
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré mardi que son parti était prêt à se rendre à Téhéran afin de "négocier" l'importation à Beyrouth de mazout et d'essence "si l'État libanais n'a pas le courage de le faire lui-même" pour résoudre les pénuries sévères de carburant dont souffrent quotidiennement les Libanais depuis plusieurs semaines. Dans un discours prononcé en direct à l'occasion d'une cérémonie marquant le trentième anniversaire de la chaîne du parti, al-Manar, le dignitaire chiite a par ailleurs exprimé son refus d'éventuelles législatives anticipées, une question évoquée notamment dernièrement par le Courant patriotique libre (CPL, aouniste), son principal allié chrétien, pour mettre fin à la crise politique qui s'éternise dans le pays.
Lors de cette nouvelle prise de parole, la seconde en deux semaines, Hassan Nasrallah a affirmé d'entrée de jeu qu'il était en bonne santé, alors que lors de son dernier discours télévisé, il était apparu affaibli, fiévreux et toussait fréquemment, ce qui avait suscité des craintes parmi ses partisans et la propagation de rumeurs sur son état de santé. Il s'est d'ailleurs amusé de ces rumeurs et a remercié ses partisans pour leurs marques de sympathie.
La guerre aux monopoles
Prenant la parole sur grand écran devant un parterre de cadres du Hezbollah rassemblés dans la banlieue sud de Beyrouth, le secrétaire général du Hezb a rejeté toutes les accusations selon lesquelles sa formation est responsable de la crise socio-économique et financière actuelle. Ces accusations sont "un discours américain et israélien" qui "ignore les vraies causes" de l'effondrement.
Le Liban traverse depuis l'été 2019 une crise politique et économique inédite. Elle est caractérisée par une chute rapide de la valeur de la livre libanaise, une hyperinflation et une paupérisation rapide de la population. Pour faire face à cette situation, la Banque du Liban (BDL) avait mis en place un système de subventions sur les importations, qui doit toutefois être rationalisé, voire supprimé, les réserves en devises de la banque centrale s'étant rapidement épuisées. En attendant une décision à ce sujet, la BDL a revu ces dernières semaines les mécanismes d'octroi des subventions ce qui, doublé à la contrebande vers la Syrie des produits subventionnés, a provoqué des pénuries importantes, notamment de médicaments, de matériel médical et de carburant.
Dans ce cadre, Hassan Nasrallah a estimé que les pénuries de médicaments et de carburant sont dues aux pratiques "criminelles" de certains grands commerçants qui "s'arrogent le monopole" de ces produits "en attendant que les prix augmentent suite à une levée des subventions". Soulignant que les produits sont bien présents "dans des entrepôts détenus par ces monopoles", il a appelé à "mener des inspections dans ces hangars et à les perquisitionner afin de confisquer tous les produits qui y sont conservés". Le secrétaire général du Hezbollah se faisait en cela l'écho d'un appel lancé plus tôt dans la journée par le ministre sortant de la Santé Hamad Hassan, proche du parti. "Vous êtes des meurtriers", s'est emporté Hassan Nasrallah à l'encontre des commerçants recourant à ce genre de pratiques, estimant que leurs noms sont "connus" et déplorant qu'ils bénéficient de "protections politiques et confessionnelles". Hassan Nasrallah a proposé que "20.000 volontaires" soient déployés pour lutter contre ces monopoles. Et d'appeler les ministres sortants concernés à leur "déclarer la guerre".
"Que l'Etat libanais (ose) nous empêcher"
Le numéro un du parti chiite a par ailleurs proposé comme solution aux pénuries de carburant que l'État libanais importe des stocks d'Iran. Il réitérait par là une suggestion qu'il avait déjà évoquée à plusieurs reprises, réaffirmant que ces importations, selon la proposition faite par Téhéran, pourraient être payées en livres libanaises.
Si "l'Etat cesse d'assumer ses responsabilités et que l'humiliation se poursuit, nous, au sein du Hezbollah, irons en Iran, négocierons avec le gouvernement iranien (...) et achèterons des navires d'essence et de mazout et les ramènerons au port de Beyrouth", a-t-il lancé. "Et que l'Etat libanais (ose) empêcher l'acheminement d'essence et de mazout au peuple libanais !", a-t-il ajouté sur le ton du défi. "Nous ne pouvons plus tolérer ces scènes d'humiliation", a-t-il martelé, en référence aux longues files de voitures s'allongeant chaque jour devant les stations-service. Certains automobilistes doivent parfois attendre plus d'une heure pour remplir à peine dix litres d'essence.
Le secrétaire général du Hezbollah a par ailleurs estimé qu'une des raisons pour lesquelles le prochain gouvernement n'a pas encore vu le jour est que les responsables ne souhaitent pas prendre la responsabilité d'une levée des subventions accordées par la Banque du Liban sur l'importation de certains produits pour alléger les effets de la dévaluation de la livre libanaise sur les citoyens. Les dirigeants "attendent que cette levée des subventions s'impose d'elle-même" en raison de l'asséchement des réserves en devises de la BDL, pour ensuite mettre sur pied leur cabinet, a-t-il accusé.
La formation du gouvernement
Mais, selon lui, "les dirigeants devraient plutôt écouter les appels à former le plus rapidement le cabinet". "Regardez donc les souffrances des gens qui attendent devant les stations-service, qui ne trouvent pas de médicaments dans les pharmacies", a-t-il poursuivi. "Les dirigeants doivent faire passer cette question humanitaire en priorité", a-t-il déclaré d'un ton excédé, tapant régulièrement du poing sur la table. Le dignitaire chiite a réitéré son soutien aux efforts du président du Parlement, Nabih Berry, pour la mise sur pied du cabinet. "Nous sommes à ses côtés et l'aidons", a-t-il déclaré, appelant à ne pas "fixer d'échéances" et à "ne pas désespérer". Plus tôt dans la journée, M. Berry avait réaffirmé que la semaine en cours serait "décisive" pour le processus de formation du gouvernement.
Le nouveau gouvernement n'a toujours pas vu le jour, quasiment dix mois jour pour jour après la démission du cabinet de Hassane Diab, suite à la double explosion au port de Beyrouth. La mise sur pied du cabinet butte, depuis la désignation de Saad Hariri en octobre 2020, sur un profond conflit politique et personnel opposant le Premier ministre désigné au président de la République Michel Aoun et à son camp. Pour tenter d'arrondir les angles entre les deux hommes et de former une équipe qui permettrait de sortir le Liban de la grave crise qu'il traverse, Nabih Berry avait lancé une initiative prévoyant la mise sur pied d'un cabinet de 24 ministres (huit pour chacun des trois grands camps politiques), sans tiers de blocage. Mais après un léger moment d'optimisme entourant cette initiative, les tractations gouvernementales avaient bloqué sur la question de la partie qui serait responsable de nommer les ministres chrétiens dans la formule envisagée. Le camp aouniste accuse le Premier ministre désigné de vouloir les nommer pour obtenir la majorité absolue au sein du cabinet, et les proches de Saad Hariri renvoient l'accusation à la présidence de la République soupçonnée de viser le tiers de blocage. Le Courant patriotique libre (aouniste) s'est par la suite clairement opposé au projet du président de la Chambre, refusant la mise en place d'un système de partage par tiers (chrétiens-sunnites-chiites) en lieu et place de la parité islamo-chrétienne, consacrée par l’accord de Taëf. Depuis, Nabih Berry, qui avait assuré que son initiative tenait toujours et qu'il ne comptait pas l'abandonner, tente de recoller les morceaux et de relancer les tractations sur base de sa proposition.
Les législatives anticipées
"Nous sommes contre des législatives anticipées", a par ailleurs déclaré Hassan Nasrallah, estimant qu'il s'agissait d'une "façon de perdre du temps et de détourner l'attention des gens des grandes échéances économiques". "Au lieu de parler d'élections anticipées, que les responsables forment le gouvernement", a-t-il martelé, en élevant le ton. "Rien de crucial ne changera" au niveau politique d'ici à ce que des législatives anticipées soient organisées, a-t-il estimé, en allusion probable aux déclarations faites dernièrement par le CPL, principal allié chrétien du parti chiite, au sujet d'une possible démission collective du Parlement afin que soient organisées des élections anticipées.
Ces élections sont également réclamées depuis des mois par les Forces libanaises, principal rival du CPL sur la scène chrétienne, tandis que le camp haririen a aussi récemment laissé planer la menace d'une démission de son groupe parlementaire. Selon plusieurs observateurs, tout cela ne relèverait que de la surenchère politique.
Le dirigeant chiite a dans ce cadre indiqué que l'éventualité d'un report des élections législatives de 2022 n'avait jamais été abordée par son parti. "Les législatives doivent avoir lieu au moment prévu, quelles que soient les circonstances", a-t-il martelé.
Mais enfin, arrêtez de critiquer, les paroles ne servent plus a grand chose. Il faut que le peuple descende a la rue!
23 h 36, le 10 juin 2021