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Société - Reportage

« Ne plus pouvoir faire de dialyse, c’est le signe de la fin de la société »

Le corps médical et les malades craignent le pire après l’annonce, par le syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés, que les établissements hospitaliers pourraient se trouver dans l’incapacité, dès la semaine prochaine, d’administrer certains traitements, notamment des hémodialyses. 

« Ne plus pouvoir faire de dialyse, c’est le signe de la fin de la société »

Une infirmière du centre de dialyse de l’hôpital Rizk à Beyrouth. Photo Lyana Alameddine

« S’il n’y a plus de stock d’ici à une semaine, des gens vont mourir. » Le constat dressé par le néphrologue Fadi Tohmé, qui travaille dans le centre de dialyse de l’hôpital Rizk, est sans appel. Dans la salle, dix-sept patients sont allongés sur leur lit médical et connectés à une machine qui nettoie leur sang des déchets et de l’eau emmagasinés en excès dans le corps avant de le réinjecter. C’est leur bouée de sauvetage. Trois fois par semaine, ils effectuent des séances d’hémodialyse dans cette salle aux lumières blanches pendant quatre longues heures, tandis que les infirmières épuisées tentent de faire bonne figure devant eux et d’administrer les soins à ces patients qu’elles côtoient, pour certains, depuis plusieurs années.

Mais voilà que cette routine essentielle pour la survie des patients est menacée. Dans un communiqué, le syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés a averti jeudi que les établissements hospitaliers ne pourraient plus continuer à effectuer des dialyses à partir de la semaine prochaine. La raison : la pénurie de matériel médical. Un autre coup de massue pour le secteur qui a dû arrêter de mener certains tests en laboratoire à cause de la rupture de stock de réactif.

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Chronique d’une catastrophe sanitaire annoncée

Aujourd’hui, le Liban est très loin de sa réputation d’hôpital du Moyen-Orient. La crise économique qui s’abat sur le pays l’a mis à mal et a entraîné l’émigration de nombreux médecins et infirmières. Fadi Tohmé a décidé de retourner aux États-Unis avec sa famille alors qu’il était rentré au Liban en mai 2019. « La situation est écœurante. Ne plus pouvoir faire de dialyse, c’est le signe de la fin de la société », dit-il, les yeux cernés, rappelant que même durant les pires crises, ces soins n’ont jamais été interrompus. Aujourd’hui, les hôpitaux ont des difficultés à se procurer le filtre nécessaire pour la machine d’hémodialyse auprès des importateurs de matériel médical. « Nous avons peur que d’ici à une semaine, nous n’ayons pas assez de filtres », explique le médecin en pointant un tube « qui travaille à la place des reins ». Leur crainte : devoir rationner et faire deux séances par semaine, ce qui mettrait en danger la majorité des patients. D’après le président du syndicat des hôpitaux, environ 4 500 Libanais étaient traités pour insuffisance rénale avant la pandémie de Covid-19, mais nombreux sont ceux qui sont décédés après avoir contracté le virus.

« Ils vont mourir à cause d’un bout de plastique »

Les importateurs de matériel médical bénéficient du système de subventions instauré depuis le début de la crise à hauteur de 85 % de leurs achats au taux de change officiel, soit 1 507 livres libanaises pour un dollar. Mais la Banque du Liban, dont les réserves ont atteint un seuil critique, ne règle pas les factures depuis plusieurs mois. « D’autre part, les importateurs ont stocké du matériel en profitant du système de subventions, prenant en considération son éventuelle levée », explique Georges Ghanem, directeur médical du Centre médical de l›Université libano-américaine LAUMC – hôpital Rizk. « C’est le chaos. Il n’y a pas de politique claire de la part du gouvernement avec la Banque du Liban ni de leadership pour régulariser et guider. Le ministère de la Santé est aux abonnés absents. Le gouvernement n’existe pas et les hôpitaux en subissent les conséquences », explique le directeur. Depuis l’avertissement du syndicat, l’ambiance est morose dans la salle des dialyses. « Tu la vois la misère », s’emporte le transporteur, Sabih. « Ils vont mourir à cause d’un bout de plastique », poursuit-il exaspéré. Pendant ce temps, le néphrologue fait sa ronde auprès des patients. Au fond de la salle, un vieil homme vêtu de gris a les yeux fermés. Il est sous hémodialyse depuis quatre ans. Omro est déboussolé et ne réalise pas la gravité de la situation, comparant la pénurie des stocks à celle du pain et de l’essence. « Je me demande si c’est vrai », dit-il en regardant l’infirmière. Son visage se décompose lorsqu’elle lui explique que c’est le cas. « C’est pour ça que nous vous disons de faire attention à ce que vous consommez », explique-t-elle. Les patients atteints d’insuffisance rénale ne peuvent pas uriner. Ils boivent une quantité d’eau limitée et évitent le sel.

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Le calvaire des Libanais face à la pénurie de médicaments

Un lit sépare Omro de Chafic, 81 ans. Son masque sanitaire cache la moitié de son visage ridé. « Je n’ai jamais connu pire », dit-il en murmurant presque. Sa gorge se noue au fur et à mesure de la conversation. « Alors, je vais devoir aller en Suisse chez mes enfants. » « Amène-nous avec toi », réplique tout de go une infirmière, dans une tentative d’arracher un sourire à son patient. Un moment de légèreté de courte durée. Au centre de la salle, une infirmière fulmine. Tamar tente tant bien que mal de rester forte, « mais le matin, je n’ai même pas envie de dire bonjour quand j’arrive ici. J’ai assez de stock pour ce mois, mais après, je leur dis quoi ? Bye, allez mourir chez vous ? » Elle ne mâche pas ses mots pour critiquer cette classe dirigeante, « qui fait quoi en fait ? » peste-t-elle. « Et l’autre (en parlant du ministre sortant de la Santé, Hamad Hassan) passe à la télé et dit que le matériel est subventionné. Mais il est où, ce matériel ? » C’en est trop pour elle. « Le mec là-bas, il a pris seulement un demi-kilo en l’espace de deux jours… Il m’a dit qu’il n’osait pas boire car il ne va plus y avoir de matériel. Ça brise le cœur », explique le transporteur en montrant Tony dans un coin de la salle. Ce couturier de 38 ans, qui peine à trouver du travail, effectue des séances de dialyse depuis six ans. « J’ai ressenti la gravité de la situation quand je n’ai plus trouvé de médicaments », explique-t-il les yeux rivés sur l’écran de son téléphone. Il paye un million de livres par mois pour se les procurer. « S’ils ne prennent pas leurs médicaments, ils peuvent faire une crise cardiaque », lâche Amar.

« Ils sont en train de tuer les gens » Dans une salle d’attente du centre de dialyse de l’hôpital Saint-Georges, trois familles patientent avec leurs enfants Mariam, Charbel et Asra’, respectivement âgés de 12, 21 et 26 ans. lls habitent Zarif, Dekouané et Chiyah. Dans 20 % des cas, les enfants souffrent d’insuffisance rénale à cause d’une prédisposition héréditaire, et dans 40 % des cas, cela est dû à une malformation congénitale des reins ou des voies urinaires. Mariam a développé la maladie à l’âge de 7 ans. Charbel et Asra’, quant à eux, en souffrent depuis la naissance. « C’est une question de vie ou de mort », s’exclame Hala, la mère d’Asra’. Dans cette salle, les parents sont à bout de nerfs. Tous les jours, ils font le tour des pharmacies pour trouver les médicaments de leurs enfants.

Ces trois familles subissent, en outre, de plein fouet la paupérisation de la population due à la crise économique. Le père de Charbel, Georges, 55 ans, était policier. Sa retraite, qui ne suffit plus, est de 1,7 million de livres libanaises par mois, soit 113 dollars au taux du marché noir. « Nous sommes étranglés », lâche-t-il en se serrant le cou. Dans la salle, Asra’, le visage pâle, a peur. Sa famille ne peut pas se permettre de payer les dialyses si aucune solution n’est trouvée. « Sans les dialyses, nous mourrons », explique-t-elle dans un souffle. « Ils sont en train de tuer les gens. S’ils la tuent, ils me tuent en même temps. J’ai tout fait pour la voir atteindre ses 26 ans », enchaîne Hala, la cinquantaine, les larmes aux yeux et la voix tremblante. Tout le foyer d’Asra’ est sans emploi. « Je suis allée dans une pharmacie, j’ai demandé de l’aspirine à la pharmacienne qui m’a dit qu’il n’y en avait pas. J’ai demandé un autre médicament, même réponse. Je lui demandé si elle avait du poison, elle m’a dit oui », raconte-t-elle, amère. Elle poursuit : « Tu vois les personnes qui sont mortes à cause de l’explosion du 4 août ? Maintenant, elles, au moins, sont soulagées. » À cette problématique sanitaire s’ajoute le risque d’un black-out. Au Akkar, Chaoukat, 8 ans, reçoit des dialyses péritonéales à domicile le soir pendant 12 heures. Sa machine est branchée à un UPS en cas de coupure complète du courant fourni par les secteurs public et privé. Mais elle ne peut pas supporter de trop longues interruptions. « Il va mourir à la maison », s’emporte son père, Ahmad. « J’ai négocié avec le fournisseur pour qu’il continue de nous alimenter en électricité, mais certains n’arrivent plus à payer à cause de l’augmentation des prix du mazout », explique-t-il, tandis que sa voix se brise. Mais c’est surtout le prix du matériel nécessaire aux soins de son fils qui le hante. « Tout est cher, tout, même le sparadrap », dénonce-t-il.

Même scénario à Baalbeck, où Khadija, la mère de Nour âgée de 8 ans, lutte pour continuer d’assurer les soins de sa fille. Elle et son mari sont sans emploi. « Il ne manquait plus que cela », dit, amère, Khadija lorsqu’elle apprend l’annonce du syndicat. À chaque fin de phrase, elle soupire puis fond en larmes. « Je vais me mettre aux antidépresseurs », lâche-t-elle. Sauf qu’eux aussi sont en rupture de stock.

« S’il n’y a plus de stock d’ici à une semaine, des gens vont mourir. » Le constat dressé par le néphrologue Fadi Tohmé, qui travaille dans le centre de dialyse de l’hôpital Rizk, est sans appel. Dans la salle, dix-sept patients sont allongés sur leur lit médical et connectés à une machine qui nettoie leur sang des déchets et de l’eau emmagasinés en excès dans le...
commentaires (6)

Trop c'est Trop!

Gougassian Jean-Jacques

03 h 44, le 13 juin 2021

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Commentaires (6)

  • Trop c'est Trop!

    Gougassian Jean-Jacques

    03 h 44, le 13 juin 2021

  • Il arrive que certains commentaires soient censurés pour cause de trop de virulence, trop d'agressivité ou insultes. Les propos tenus dans ces commentaires à l'égard de nos dirigeants sont dérisoires par rapport à ce que ces derniers font subir à la population libanaise. C'est comme s'il nous était interdit de traiter de criminel un tueur en série dans le box des accusés. Les Libanais ont pleinement le droit de traîner dans la boue ceux qui, en totale impunité, les volent, les pillent, les plongent dans la misère, leur ôtent leur dignité et leur raison de vivre. On a vu des peuples lyncher et exécuter leurs dirigeants. Au rythme où va la déchéance orchestrée par leurs gouvernants, il ne serait pas surprenant que les Libanais, au bout du rouleau, soient un jour amenés à agir de la sorte.

    Robert Malek

    17 h 53, le 12 juin 2021

  • Nos polichinelles au pourvoir ont finalement mérité leur titre d' ASSASSINS....

    Wlek Sanferlou

    13 h 25, le 12 juin 2021

  • Tous les politiciens libanais devraient être jugés pour crime contre l’humanité puisqu’ils ont décidé de tuer à petit feu des millions de personnes et rechignent à quitter leurs postes ou à bouger le petit doigt jusqu’à leur dernier souffle. Il y a des armes qui font saigner et d’autres qui étouffent sans trace. Ils ont choisi la deuxième solution pour ne laisser aucune trace de leurs crimes et rester hors d’atteinte.

    Sissi zayyat

    12 h 15, le 12 juin 2021

  • je demande Grace et prie Dieu d'epargner nos KELLON ces maladies pour leur eviter le pire.

    Gaby SIOUFI

    12 h 00, le 12 juin 2021

  • LE CRIME PAR EXCELLENCE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 17, le 12 juin 2021

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