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Nos Lecteurs ont la Parole

L’avenir est ailleurs

Je vais vous parler d’une plaie que j’ai au fond de moi, une plaie qui ne semble pas vouloir guérir. Je vais vous en parler parce que cette souffrance profonde qui est la mienne est aussi la vôtre, vous qui, comme moi aujourd’hui, diplôme en main, rêvez de demain.

En écrivant ces quelques lignes, une idée en particulier n’a cessé de me tourmenter : aujourd’hui, je m’en vais. Je quitte grâce à mon diplôme, ce dernier est une clé qui me permet de m’en aller, de quitter cet endroit qui est le mien. Mon diplôme m’a fait réfléchir au fait que pour vous et moi, l’avenir ici n’existe pas, il est ailleurs. L’avenir est ailleurs.

Quelle atroce vérité. Il faut pour vivre que je m’en aille, non pas car une règle intangible le dicte, non pas car il est écrit à l’encre indélébile qu’il faut absolument aller ailleurs pour créer demain. Mais parce que vous et moi n’avons pas le choix, parce que vous et moi sommes libanais. Parce que notre avenir à nous n’est pas là, il est absolument ailleurs.

L’avenir est ailleurs car il faut pour le construire cultiver l’ambition, et ici le sol est sec et tout se meurt.

L’avenir est ailleurs car il faut pour le construire élever des esprits libres, et ici la parole n’a pas de valeur, et lorsque la vérité est différente, on la bannit.

L’avenir est ailleurs car il faut pour le construire être en mesure de rêver, et ici ils ont rasé les jardins et agrandi les cimetières.

L’avenir est ailleurs car il faut pour le construire que je n’accepte pas cette réalité, et ici je n’ai jamais appris à me révolter.

Alors l’avenir pour vous et moi est absolument ailleurs. Il est ailleurs car ils nous ont ôté le droit de choisir si on voulait aller ailleurs. « Ils » sont ceux qui gouvernent et ceux qui les élisent. « Ils » sont ceux qui bavardent et dirigent et ceux qui les élisent. « Ils » sont ceux qui volent et mentent, et corrompent et trahissent, et « ils » sont ceux qui les élisent. Il m’est impossible de vous expliquer pourquoi notre avenir est ailleurs sans vous parler de ces « ils » qui nous ont détruits. Ne pas en parler est un privilège que nous ne possédons plus, car à cause de ces « ils », notre avenir n’est plus le nôtre.

Alors l’avenir pour vous et moi est absolument ailleurs, et c’est diplôme en main que je vous avoue ma honte d’être à la merci de ces « ils », d’être prisonnière d’une réalité que toute l’éducation du monde ne pourra pas changer. Que vaut-il, ce diplôme, lorsque je suis une sans-abri oubliée sur les trottoirs du monde, ou je ne me sentirai jamais aussi bien qu’ici ?

Oui, l’avenir est ailleurs, absolument. Il n’est pas ici, tout à fait. Nous devons partir, oui, à tout prix. Mais à cela, permettez-moi d’ajouter : partons, mais partons pour revenir.

L’avenir est ailleurs aujourd’hui, certes. Mais aujourd’hui n’est pas éternel.

Alors partons aujourd’hui pour revenir demain.

Partons pour apprendre et revenons bâtir, partons pour rêver, mais n’oublions pas de revenir pour construire. Partons ailleurs pour y faire de nouvelles découvertes, mais revenons partager ce que nous avons appris. Partons sans jamais oublier que ces « ils » ne sont pas immortels, et que nous avons le pouvoir de changer.

Partons sans jamais oublier que la révolte au service de la pensée libre s’apprend, et qu’il n’existe pas de fatalité pour les peuples qui se soulèvent contre l’oppression et la misère.

Alors oui, l’avenir pour nous est ailleurs, et c’est une blessure que nous partageons au cœur. Et si nous avons la chance de partir, partons, n’hésitons pas. Mais partons pour revenir, car l’avenir aujourd’hui est ailleurs, certes, mais l’avenir de demain est quant à lui entre nos mains.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je vais vous parler d’une plaie que j’ai au fond de moi, une plaie qui ne semble pas vouloir guérir. Je vais vous en parler parce que cette souffrance profonde qui est la mienne est aussi la vôtre, vous qui, comme moi aujourd’hui, diplôme en main, rêvez de demain. En écrivant ces quelques lignes, une idée en particulier n’a cessé de me tourmenter : aujourd’hui, je m’en...

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