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Politique - Éclairage

Au Liban, la cause palestinienne fait ressurgir les démons d’hier

La présence dans l’équation du Hamas et du Hezbollah accroît un peu plus les divisions au sein de la société.

Au Liban, la cause palestinienne fait ressurgir les démons d’hier

Des Palestiniens se rassemblent devant le bâtiment des Nations unies à Beyrouth, le 27 juin 2010, pour réclamer des droits civiques au Liban pour les réfugiés palestiniens vivant dans le pays. Photo AFP

Les images en provenance de Gaza et de Jérusalem font la une de tous les écrans depuis deux semaines et suscitent un élan de solidarité sur les scènes internationale et arabe. Si une partie de la population se sent directement concernée par les événements qui se déroulent de l’autre côté de la frontière, de nombreux Libanais les abordent toutefois avec scepticisme, crainte, voire indifférence. « Je suis placide face à ce qui se passe. L’explosion du port du 4 août m’a suffi. J’ai été complètement anéantie », confie Maya Kanakri, une jeune artiste libanaise. Pourtant, son neveu, qui a à peine 16 ans et qui vit à Montréal, est tout feu tout flamme pour la cause palestinienne dont il se sent absolument solidaire. La cinquantaine, Maya Kanakri exprime ce que beaucoup d’autres Libanais chrétiens de sa génération ressentent chaque fois que ressurgit ce conflit sanglant que l’on croyait relégué aux oubliettes. Ayant à affronter leurs propres démons, dont un effondrement économique et financier sans précédent et une classe politique qui les a menés à la dérive, les Libanais ne se sentent pas unanimement concernés aujourd’hui par la misère subie par les Palestiniens de l’autre côté de la frontière. « Le problème libanais est de loin plus lourd et pesant que le problème palestinien. Aujourd’hui, c’est l’entité, l’État et le peuple libanais qui sont en danger d’existence du fait de l’expansion iranienne dans le pays », commente Toufic Hindi, un ancien membre du parti des Forces libanaises.

Au Liban, les clivages que provoque le conflit israélo-palestinien, plus marqués qu’ailleurs, persistent à ce jour, quoique sous une forme différente. Le poids de l’histoire dans le pays d’accueil que fut le Liban qui a reçu des centaines de milliers de réfugiés au cours du siècle dernier en est en grande partie responsable. Pointée du doigt comme étant l’un des facteurs principaux qui ont engendré la guerre civile en 1975, la présence armée palestinienne a fait dévier l’attention de la cause que défendaient les organisations palestiniennes et a scindé depuis les Libanais. « Le camp propalestinien accusait à l’époque les Kataëb – qui se revendiquaient de l’ancienne Phénicie et réfutaient leur ancrage arabe – d’isolationnisme. Les Kataëb reprochaient pour leur part aux Palestiniens accueillis par le Liban leur ingratitude et leur faisaient assumer la responsabilité du déclenchement de la guerre », affirme Tanios Deaibès, un intellectuel et analyste jadis membre du bureau politique du Parti communiste libanais. Soutenue à l’époque par un front national regroupant des partis progressistes et des formations de la gauche libanaise, la cause palestinienne est venue attiser les profonds clivages communautaires qui existaient déjà au sein de la société libanaise, une partie de la jeunesse chrétienne ayant pris les armes face à l’OLP.

Nation de rechange

Les exactions des fedayin contre la population libanaise durant la guerre et avant cela le chaos généré par les effets des accords du Caire de 1969 – un accord nébuleux qui accordait aux Palestiniens le droit de mener leur lutte armée à partir du territoire libanais – ont rajouté une dose d’animosité à l’égard des Palestiniens. « Dans les régions chrétiennes, le slogan du “Liban comme nation de rechange” pour les Palestiniens a semé la terreur dans l’esprit des Libanais », rappelle le juriste palestinien et membre du Front démocratique pour la libération de la Palestine Souheil Natour.

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N’ayant jamais réussi à s’affirmer comme une société homogène et relativement unie, les Libanais n’ont pas su ou pu forger un caractère national, encore moins une identité claire qui transcende les lignes de fracture confessionnelles. La question palestinienne s’est imposée en force sur le devant de la scène, aiguisant ces divisions internes. Pour une partie de la population locale, la lutte pour la libération de la Palestine était alors perçue comme un fardeau pour le pays, entraîné un peu malgré lui dans cette guerre contre Israël. « Israël en a rajouté en s’introduisant dans la brèche et en œuvrant à monter les partis chrétiens contre le camp propalestinien », rappelle Kassem Kassir, un analyste politique. À l’époque, Tel-Aviv avait entrepris d’établir des relations étroites avec les partis chrétiens (les Kataëb et les Forces libanaises) qui, à leur tour, ont misé sur ce dernier pour éroder la résistance palestinienne.

Le poids de la géopolitique

Aujourd’hui, s’ajoute à ces démons du passé la présence dans l’équation du Hamas – allié de l’Iran – et du Hezbollah, alors que l’influence iranienne au Liban est l’un des principaux sujets de dissension. La crainte de voir, une fois de plus, le problème palestinien déborder au Liban, via une éventuelle intervention du Hezbollah, crée de nouvelles fractures. Avec l’avènement du facteur iranien, la confrontation avec Israël a pris une autre portée. « Théoriquement, la majorité des Libanais affirment être contre Israël. Mais dès que le Hezbollah se met dans la partie, le conflit prend une autre dimension aux yeux de certains », dit Tanios Deaibès. Les roquettes du Hamas réveillent ainsi de vieilles peurs et font ressurgir la crainte d’une guerre israélienne contre le Liban et les images de destruction concomitantes. « Dans l’imaginaire des Libanais, il y a un amalgame systématique entre le Hamas et le Hezbollah », dit l’analyste. « Ce qui se passe entre Israël et Gaza est préjudiciable pour le Liban car une telle situation contribuera à renforcer l’axe de la résistance dans la région, même si le Hezbollah n’intervient pas militairement », décrypte Toufic Hindi.

Maître de conférences à l’Université arabe, Ali Mourad estime toutefois qu’il est temps de faire la part des choses. « La guerre civile est terminée depuis trois décennies. Il faut savoir distinguer aujourd’hui entre un soutien humanitaire ou une prise de position de principe et un soutien politique éventuellement concomitant d’un soutien militaire », dit-il, en préconisant un appui général pour la cause palestinienne, entendue comme une question de droit et non sous le prisme d’un rapport de force politique. Souheil Natour rappelle d’ailleurs le geste symbolique de l’ambassadeur de l’Autorité palestinienne au Liban, Abbas Zaki, qui, le 8 janvier 2008, a présenté ses excuses aux Libanais au nom des Palestiniens, un geste suivi, trois mois plus tard, par le parti Kataëb qui en a fait de même. « On peut tout simplement soutenir la cause palestinienne en tant que telle, et considérer en même temps que le Hezbollah pose problème pour le Liban », affirmait lundi le directeur du Centre Issam Farès Joseph Bahout, à la LBCI. Pour de nombreux analystes, il est indéniable qu’une intervention du Hezbollah achèvera de scinder la population libanaise autour de cette question. Le scénario de la guerre syrienne est encore frais dans la mémoire. Une nouvelle implication du Hezbollah contribuera par ailleurs à rebuter l’élan populaire d’une partie de la jeunesse arabe qui s’est spontanément solidarisée avec Gaza ces derniers jours, y compris au Liban. C’est, explique M. Deaibès, le lien viscéral qui lie, par-delà les divisions politiques ou idéologiques, les mouvements palestiniens de contestation de l’État hébreu au reste des mouvements de révolte dans le monde arabe, en l’occurrence celui du 17 octobre au Liban. « Les deux jeunesses font face à la même discrimination pratiquée par le pouvoir en place et par l’establishment politique », dit-il.

Pour Ali Mourad, c’est, en quelque sorte, une union dans la souffrance, un écho de solidarité qui transcende les frontières pour dénoncer les injustices subies de part et d’autre. Il rappelle à ce titre la solidarité inconditionnelle et spontanée exprimée par les Palestiniens, l’an dernier avec le peuple libanais, d’abord lors de la révolte du 17 octobre 2019, puis après l’explosion du port. La cause palestinienne n’est pas (ou n’est plus) musulmane. Ni sunnite d’ailleurs. « C’est la cause d’un peuple qui subit une occupation », fait remarquer le professeur. Une équation dont une grande partie de la jeunesse libanaise est aujourd’hui consciente.

Les images en provenance de Gaza et de Jérusalem font la une de tous les écrans depuis deux semaines et suscitent un élan de solidarité sur les scènes internationale et arabe. Si une partie de la population se sent directement concernée par les événements qui se déroulent de l’autre côté de la frontière, de nombreux Libanais les abordent toutefois avec scepticisme, crainte, voire...

commentaires (9)

Les palestiniens crien victoire quand tout le pays est détruit, attention au Liban et surtout le parti de Dieu faire gaffe???

Eleni Caridopoulou

21 h 09, le 21 mai 2021

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Commentaires (9)

  • Les palestiniens crien victoire quand tout le pays est détruit, attention au Liban et surtout le parti de Dieu faire gaffe???

    Eleni Caridopoulou

    21 h 09, le 21 mai 2021

  • Personne ne peut blâmer une importante partie du peuple Libanais pour son indifférence envers ce qui se passe actuellement en Palestine lorsque Yasser Arafat avait proclamé en son temps, haut et fort, et en faisant le V de la victoire, que "la route de Jérusalem passe par Jounieh !"

    Un Libanais

    19 h 41, le 21 mai 2021

  • Peut être que le Libanais, type, devrait avoir davantage d'empathie pour cette cause Palestinienne, faire abstraction de son système de valeur, de ses a priori et préjugés, mais comment oublier un passé récent où ces palestiniens sont parties prenantes d'une grande part de leurs malheurs, ils attendent aussi, probablement, un geste ou un mot de compassion par rapport à tous les événements récents qu'ils subissent, de la part de ces Palestiniens, en outre ils ont d'autres préoccupations ... à savoir comment financer l'acquisition d'un paquet de pain..( acte pourtant basique s'il en est)

    C…

    19 h 06, le 21 mai 2021

  • Ça y est c'est bon Ils ont signé un cessez le feu, en en entendra plus parler jusqu'à la prochaine confrontation. Sinon j'ai un neveu de 14 ans il habite au Canada il peut pas voir les palestiniens en peinture.

    camel

    15 h 41, le 21 mai 2021

  • Je rappelle a Dr. Ali Mourad, que la part des choses, est la situation actuelle du Liban est une situation humanitaire! Oui c'est triste ce qui se passe en Palestine. Les Libanais ont fait plus de Manuf en deux semaines pourcla Palestine que pour leur propre pays! Je vous rappelle cher "Docteur", qu'un aveugle ne peut aider un autre! Ca c'est notre point de divergence et non la cause Palestinienne! Une analyse a deux sous de votre part!

    Marwan Takchi

    15 h 24, le 21 mai 2021

  • Nous ne voulons plus entendre parler de palestiniens, iraniens ni Syriens ! Nous devons résoudre nos problèmes créés par ce trio maléfique depuis 1975 . Les libanais d’abord et dorénavant.

    Wow

    15 h 18, le 21 mai 2021

  • Article pour quel intérêt ? Les libanais ont beaucoup d'autres préoccupations. Ce qui est presque sûr, c'est que le changement s'imposera, et nul n'en sortira vainqueur.

    Esber

    13 h 56, le 21 mai 2021

  • Libanaises Libanais votre grand cœur vous a perdu. Vous subissez le courroux des Palestiniens, Syriens, et autres parasites qui sont venus de toutes parts vous réclamer des droits dont aucun pays au monde, et encore moins les pays Arabes ne veulent leur accorder. Le Liban est balloté dans ses contrariétés et ses principes, il aimerait faire beaucoup plus pour les peuples de pays voisins voire du monde, alors que lui-même est dans la misère qui maintient sa tête sous l’eau. D’un côté le Liban est entre les mains d’hommes politiques qui s’occupent plus de fructifier leurs fortunes au détriment de l’Etat, pour cela ils ont vendu leur conscience, le pays et le peuple. D’un autre côté il y a les vautours qui voltigent dans le ciel Libanais épiant une proie pour assouvir leurs appétits aiguisés. N’oublions pas les amis où ceux qui se présentent en tant que tels, qui par malice et par calcul nous conseillent de faire un bémol et de composer avec l’adversité du moment en attendant des jours meilleurs. Ces mêmes amis solidaires et qui a priori aiment le Liban, jouent doubles-jeux, dont nous payons le prix fort. A force d’être sous influence des pays bien intentionnés, nous voilà dépendants de leur bon vouloir pour former un gouvernement.. Peuple Libanais réveille toi avant de te faire enterrer vivant.

    Le Point du Jour.

    13 h 03, le 21 mai 2021

  • L'enfer est pavé de bonnes intentions !

    In Lebanon we (still) Trust

    10 h 14, le 21 mai 2021

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