Si vous avez rendez-vous avec le médecin aujourd’hui, assurez-vous d’abord qu’il vous recevra. L’ordre des médecins observe en effet à partir d’aujourd’hui une « grève d’avertissement » d’une semaine pour protester contre les indemnités qu’il juge excessives que deux hôpitaux, l’hôpital Notre-Dame des Secours et l’AUBMC, et deux médecins, Issam Maalouf et Rana Chrara, ont été condamnés à verser à la petite Ella Tannous, une enfant victime d’une erreur médicale, et à ses parents. L’affaire, qui remonte à 2015, vient d’être tranchée par la cour d’appel de Beyrouth siégeant sous la présidence de Tarek Bitar, le magistrat en charge de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth.
Les médecins en grève ont été invités à limiter leurs soins « aux cas urgents ou impossibles à ajourner ». Toutefois, l’AUBMC, l’un des hôpitaux incriminés par le verdict, a durci cette recommandation. Sur la chaîne LBCI, le chirurgien Samer Doughane a annoncé que les cabinets médicaux relevant de cet hôpital seront fermés « jusqu’à nouvel ordre ». Interrogé à ce sujet, il a précisé qu’ils le seront « jusqu’à ce que l’accusation d’erreur médicale pesant sur Rana Chrara soit corrigée ». Parallèlement, les médecins en grève observeront à midi aujourd’hui un sit-in de protestation devant le Palais de justice.
Les indemnités réclamées s’élèvent à 10 milliards de livres (neuf à l’enfant et un milliard à ses deux parents) ainsi qu’à une pension mensuelle à vie égale à quatre fois le salaire minimum du moment. Ces montants sont exigés à égalité, d’une part, du Dr Issam Maalouf et de l’hôpital Notre-Dame des Secours à Jbeil, relevant de l’ordre maronite libanais, et, d’autre part, de la Dr Rana Chrara ainsi que de l’AUBMC, l’hôpital universitaire de l’AUB.
On ignore à quels prorata ces indemnités sont payables respectivement par les praticiens et par les hôpitaux. Mais l’ordre des médecins a estimé qu’en tout état de cause, ces montants – qui s’élèvent à presque 1 million de dollars – sont « chimériques et injustes ». L’ordre a publié un communiqué dans lequel il estime que cet arrêt judiciaire est de nature « à pousser les médecins à éviter tous les cas difficiles, voire en fin de compte à quitter le Liban ».
Les faits et leur appréciation
Âgée de dix mois à l’époque des faits (2015), Ella Tannous, atteinte d’une rarissime infection bactérienne à streptocoque, avait été d’abord soignée pour une grippe ordinaire à l’hôpital Notre-Dame des Secours (Jbeil) par son pédiatre, le Dr Issam Maalouf. Mais en l’absence d’un département de soins intensifs pédiatriques à l’hôpital en question – et, dit-on, d’un urgentiste à l’époque des faits –, Ella Tannous avait été transportée à l’Hôpital américain de Beyrouth (AUBMC). Mais là, à la suite d’un retard de diagnostic de plusieurs jours, son médecin soignant, la Dr Rana Chrara, n’avait eu d’autre choix pour lui sauver la vie que de l’amputer des quatre membres.
La décision de grève a été prise hier à l’issue d’une réunion extraordinaire des présidents de 18 commissions médicales hospitalières, en présence du président de l’ordre des médecins du Liban, Charaf Abou Charaf. Parallèlement, les médecins ont demandé que les conclusions de l’étude conduite par la commission de vérification des faits dans les années 2018-2019 soit « complétée » pour faire ressortir, « sous un angle positif », le rôle des médecins. Les commissions ont demandé à la ministre de la Justice Marie-Claude Najm et à la commission parlementaire de la Santé de tenter de trouver « une solution juridique » à ce cas difficile de sorte à « rendre justice » aux deux parties. La ministre de la Justice doit trouver « un moyen juste et équitable d’invalider les effets de la décision du juge Bitar ». On sait que la commission de vérification des faits de l’ordre des médecins, siégeant sous la présidence du Dr Abou Charaf, comprenait des urgentistes français, belge et suédois parmi ses membres. C’est sur ses conclusions que le président de la cour d’appel de Beyrouth s’est basé pour formuler son arrêt. Toutefois, son appréciation des indemnités à verser a été jugée « disproportionnée » par l’ordre des médecins.
commentaires (3)
C'est pour cette raison que les médecins des pays développés doivent souscrire à une police d'assurance très importante qui couvre des cas de ce genre...Car là-bas, les médecins ne sont pas des demi-dieux et sont faillibles comme le commun des mortels!
Georges MELKI
14 h 04, le 10 mai 2021