Le patriarche maronite, Béchara Raï, a implicitement critiqué le président de la République Michel Aoun, qui appelle à la tenue de l'audit de la Banque du Liban, alors que le pays est sans gouvernement depuis huit mois, en raison d'une lutte politique entre le chef de l'Etat et le Premier ministre désigné, Saad Hariri. Le chef de l'Église maronite a ainsi affirmé dimanche que l'audit ne pouvait se tenir sans qu'il n'y ait un nouveau gouvernement.
"La fête de Pâques est passée sans que les responsables ne forment un gouvernement de sauvetage, en guise de cadeau à la population. Ils ont déçu les Libanais une seconde fois et ont montré à tout le monde, localement et internationalement, qu'ils ne voulaient pas former de cabinet, et ce pour des raisons personnelles. Ils se sont retrouvés autour d'un intérêt commun, le blocage (...)", a déploré le prélat, dans son homélie à Bkerké, critiquant ainsi toutes les parties concernées par la formation du gouvernement.
La priorité des priorités
Désigné le 22 octobre dernier, le Premier ministre Saad Hariri n'a toujours pas formé son équipe ministérielle, lui-même et le chef de l'État Michel Aoun étant empêtrés dans des rivalités personnelles et un bras de fer autour de la nomination des ministres et du tiers de blocage que veut le camp aouniste. Le cabinet actuel dirigé par Hassane Diab et gérant les affaires courantes, a démissionné le 10 août 2020 en réaction à l'explosion dévastatrice au port de Beyrouth (plus de 200 morts, 6.500 blessés). Le Liban traverse une crise économique très grave. La dépréciation de la livre libanaise, l'explosion de la pauvreté et du chômage, l'érosion du pouvoir d'achat et la précarisation provoquent la colère de l'opinion publique, avec des manifestations et des blocages de routes sporadiques.
"La priorité des priorités est la formation d'un gouvernement de pleins pouvoirs car il est la clé de toutes les solutions, qu'il s'agisse de politique, de réformes, de sécurité, d'économie, ou encore de questions sociales. Sans gouvernement, tout propos est vain", a estimé le patriarche, dans une pique adressée au chef de l'État. Ce dernier avait tenu mercredi dernier un discours adressé aux Libanais dans lequel il rappelait l'importance de l'audit des comptes de la Banque centrale, déplorant qu'il n'y ait aucune volonté réelle de le mener et en faisant assumer la responsabilité à ses rivaux politiques.
"Proposer sérieusement l'audit juricomptable se traduit par la globalité du processus et non son aspect volontairement partiel. De toute façon, il ne peut y avoir d'audit juricomptable avant la formation d'un gouvernement", a estimé Béchara Raï.
Dans un Liban en crise, le cabinet américain Alvarez & Marsal avait été mandaté en septembre 2020 pour réaliser l’audit juricomptable des comptes de la BDL, une opération qui vise à remonter à la source des transactions inscrites dans le but de détecter d’éventuelles fraudes. Il avait fini par jeter l’éponge deux mois plus tard après le refus de la Banque centrale de fournir l'intégralité des informations demandées. Un refus que la BDL avait justifié en invoquant la loi sur le secret bancaire. Après des mois de promesses non tenues et de tergiversations, la BDL puis le ministère des Finances ont tous deux affirmé vendredi avoir transmis les informations demandées par le cabinet Alvarez & Marsal. Cet audit a été érigé comme préalable au déblocage de toute aide financière par les partenaires internationaux du Liban.
Pauvreté, désespoir et émigration
Le patriarche maronite a également profité de son homélie pour critiquer implicitement le Hezbollah, l'accusant de vouloir mettre la main sur les institutions publiques à travers le blocage de la mise en place d'un gouvernement. "Nous craignons que le but du blocage ne soit d'empêcher les aides destinées à sauver la population de l'effondrement financier. Certains veulent que la situation s'aggrave afin que la population s'appauvrisse, que les gens aient faim, désespèrent, émigrent ou acceptent n'importe quel compromis, de sorte à ce qu'ils soient dominés, tout comme l'État", a mis en garde Mgr Raï.
Les critiques du mufti
Le mufti de la République, le cheikh Abdel Latif Deriane, plus haute instance sunnite du Liban, a lui aussi critiqué les dirigeants du pays sur le plan de l'impasse gouvernementale, adressant des piques à l'encontre du chef de l'Etat, sans le nommer toutefois.
"Est-ce trop demander que d'avoir un gouvernement responsable ? De longs mois sont passés et certains continuent d'évoquer des règles constitutionnelles (...), le tiers de blocage ou encore l'attribution des ministères", a déploré le mufti, dans une critique claire adressée au camp du président de la République, Michel Aoun, le cheikh Deriane étant réputé proche de Saad Hariri. "Le pays a grandement besoin d'un gouvernement qui soit responsable devant le Parlement, ce même Parlement qui a désigné le Premier ministre", a encore fustigé le cheikh Deriane. Pour lui, "il n'y a pas de crise constitutionnelle. Le pays est victime d'un monopole et d'un effondrement, il est l'otage des axes et victime de la destruction volontaire de ses institutions".
Sur le plan international, le président français Emmanuel Macron s'est fortement impliqué pour tenter de débloquer la crise politique en lançant le 1er septembre 2020 une initiative en faveur du Liban, sans résultats tangibles jusqu'à présent. La feuille de route française table sur la mise en place d'un cabinet de mission formés d'experts, qui lancerait le chantier de réformes exigées par les pays donateurs pour débloquer les aides financières. Après avoir d'abord écarté toute imposition immédiate de sanctions contre les dirigeants libanais, le chef de l'Élysée a revu sa copie et semble désormais prêt à franchir le pas. Parallèlement, l'Égypte, par le biais de son chef de la diplomatie Sameh Choukri, et la Ligue arabe, à travers son numéro 2 Houssam Zaki, ont effectué des visites à Beyrouth pour tenter de débloquer la crise. Mais ni leurs efforts, ni ceux de Paris, n'ont permis jusque-là de faire avancer les choses. Houssam Zaki avait profité de son déplacement pour afficher son soutien au patriarche Raï et à ses appels à la neutralité du Liban.
commentaires (9)
Les politiciens ont mené le pays au naufrage .Le clergé aurait dû juste parler du droit sacré des citoyens à connaître la vérité . On aurait tout vu de notre vivant .
Lecteurs OLJ 2 / BLF
14 h 28, le 12 avril 2021