
Saad Hariri recevant hier le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, en visite officielle au Liban pour un jour. Photo Dalati et Nohra
Hier la Russie, aujourd’hui l’Égypte. La scène politique libanaise est dans une telle paralysie que même des puissances qui n’ont pas joué, récemment, un rôle de premier plan au Liban interviennent désormais pour tenter de débloquer la situation auprès des acteurs locaux. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, était ainsi hier en visite officielle au Liban où il a rencontré les principaux responsables, à l’exception notable du Hezbollah et du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, gendre du président Michel Aoun. Un choix qui donne une idée de la couleur de la politique égyptienne, qui semble vouloir porter la voix des puissances arabes sunnites, particulièrement hostiles au parti chiite et à ses alliés. Le Caire profite ainsi du fait que l’Arabie saoudite soit moins active sur le terrain libanais, en raison de son conflit avec son ex-poulain, le Premier ministre désigné Saad Hariri, pour se positionner comme le porte-voix des sunnites au pays du Cèdre. Son objectif consiste notamment à empêcher la Turquie, avec qui elle entretient des relations conflictuelles malgré une récente détente, de gagner de l’influence au Liban. En cela, l’Égypte profite de sa forte coopération dans toute la région avec la France, qui voit aussi d’un mauvais œil les ambitions d’Ankara en Méditerranée orientale, pour se placer comme un acteur de premier plan.
L’Égypte a accompagné l’initiative française depuis son lancement. Alors que Paris s’est opposé à la politique de pression américaine maximale sur le Liban, Le Caire s’est démarqué de la politique de boycott menée par les pays du Golfe. Mais plusieurs divergences sont apparues au fil du temps entre les deux pays, à mesure que Paris faisait ce qui a été perçu par la partie égyptienne comme des concessions par rapport à son projet initial. « Il n’y a pas d’alternative pour le Liban à l’initiative française, mais le plus important est que celle-ci reste inchangée et ne soit pas détournée », dit un diplomate égyptien sous couvert d’anonymat.
Lors de sa visite au Liban, en septembre dernier, le président français Emmanuel Macron a appelé à la formation d’un « gouvernement de mission ». Cette formulation laissait entendre que Paris souhaitait que le cabinet soit composé de technocrates, avec un processus de formation qui reposerait sur le principe de la rotation des ministères, en particulier pour l’attribution des portefeuilles des Finances et de l’Énergie, aux mains des chiites et du Courant patriotique libre depuis des années. Si la France n’a jamais posé des conditions aussi strictes, le fait qu’elle accepte que celles-ci ne soient pas respectées a été très mal perçu par Le Caire. L’initiative française a en effet buté, dans un premier temps, sur l’opposition des partis chiites concernant la rotation du ministère des Finances. Pour débloquer la situation, Paris a demandé au chef du courant du Futur Saad Hariri de renoncer à cette exigence. En réaction, les Égyptiens ont envoyé un message aux Français s’opposant à cette concession qui conduirait à d’autres et qui va à l’encontre, selon eux, de l’essence de l’initiative. Le Caire a en outre estimé que cette concession priverait le futur gouvernement du soutien de la communauté internationale et même arabe, et écarterait toute possibilité d’aides financières. En résumé, l’Égypte considère que la France est trop conciliante avec les parties locales, en particulier avec le Hezbollah et avec Gebran Bassil, et que former un gouvernement à n’importe quel prix risque de compliquer encore plus la situation. Huit mois après la démission du gouvernement de Hassane Diab, le Liban ne s’est toujours pas doté d’un nouveau cabinet en raison des rivalités personnelles entre Saad Hariri et Michel Aoun, empêtrés dans un bras de fer autour de la nomination des ministres et le tiers de blocage que veut le camp aouniste.
Choukri énervé par Aoun
« La formation du gouvernement doit respecter la Constitution », avance le diplomate égyptien précité, dans une critique claire à l’égard du parti chiite et de Michel Aoun qui veulent faire prévaloir la pratique sur la règle. « Aucune partie ne doit avoir le tiers de blocage et il n’y a aucune raison que Saad Hariri rencontre Gebran Bassil pour former le gouvernement », ajoute la source en allusion à la volonté du chef de l’État de faire en sorte que son gendre soit partie prenante du processus de distribution des postes au sein du cabinet. Pour Le Caire, cette position est essentielle dans l’objectif de ne pas affaiblir Saad Hariri par rapport à sa communauté. L’Égypte apporte un soutien total au leader sunnite, qui s’est rendu récemment dans la capitale égyptienne et qui tente ainsi de compenser l’absence d’appui saoudien. Dans une déclaration à l’issue de son entretien avec le chef de l’État, Sameh Choukri a déploré hier « que l’horizon soit toujours bloqué » et souligné que la formation d’un « cabinet de spécialistes » était « importante pour la stabilité du Liban et de la région ». Selon des sources informées, le ministre égyptien aurait été énervé de l’insistance du président libanais quant à la nécessité d’une rencontre entre Saad Hariri et Gebran Bassil. La présidence a pour sa part publié hier un communiqué dans lequel elle souligne qu’il est nécessaire d’avoir « une volonté véritable de sortir de la crise, sur la base des règles constitutionnelles sur lesquelles repose le système libanais et avec la coopération de toutes les parties libanaises, sans en exclure aucune », dans une claire allusion au chef du CPL. Si Le Caire se rallie à l’option d’un gouvernement composé de 24 ministres, parce qu’elle a été approuvée par toutes les parties, il insiste sur le fait que celui-ci doit contenir uniquement des spécialistes, sans tiers de blocage, et bénéficier de la confiance de la communauté internationale.
Hier la Russie, aujourd’hui l’Égypte. La scène politique libanaise est dans une telle paralysie que même des puissances qui n’ont pas joué, récemment, un rôle de premier plan au Liban interviennent désormais pour tenter de débloquer la situation auprès des acteurs locaux. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, était ainsi hier en visite officielle au...
commentaires (9)
Quelle est la spécialité de M. Hariri ?
NASSER Jamil
23 h 09, le 08 avril 2021