Le Courant patriotique libre (CPL, aouniste) mené par le député Gebran Bassil a lancé à nouveau samedi un violent réquisitoire contre le Premier ministre désigné Saad Hariri, l'accusant de chercher à exclure le chef de l'État Michel Aoun du processus de formation du cabinet et de vouloir obtenir la majorité absolue dans le cabinet "pour entraver les réformes et la lutte contre la corruption". Le Liban est sans gouvernement actif depuis la démission du Premier ministre Hassane Diab dans la foulée de la double explosion meurtrière, le 4 août 2020 au port de Beyrouth. Lundi, le processus gouvernemental était revenu à la case départ à l'issue d'une brève et orageuse réunion entre Michel Aoun et Saad Hariri, qui campent tous les deux sur leurs positions et s'accusent mutuellement du blocage. Ils se livrent dans ce cadre une bataille au sujet des prérogatives qui leur sont octroyées par la Constitution.
Le CPL a annoncé, dans un communiqué publié au terme de sa réunion hebdomadaire, qu'il ne participera pas au futur cabinet. "Le Premier ministre désigné doit revenir aux principes de la Constitution et du Pacte (national de 1943) qu'il connaît bien et qu'il a précédemment adoptés en formant chacun de ses gouvernements. C'est la seule façon de mettre en place un cabinet de quelque nature que ce soit", a-t-il encore affirmé, accusant Saad Hariri d'être venu "parader à Baabda à des fins électorales". "Pourquoi persiste-t-il à laisser dans l'ambiguïté la distribution des portefeuilles, tout spécialement chez les chrétiens ? Le président de la République est-il un partenaire constitutionnel dans la formation du gouvernement, ou son autorité se limite-t-elle à signer le décret ?", a dit le parti, mettant en garde contre "une tentative d'exclusion" du chef de l'État par le Premier ministre désigné. Le camp aouniste accuse Saad Hariri d'outrepasser ses prérogatives et d'entraver celles du chef de l'État, et par là les "droits des chrétiens". Il dénonce aussi le fait que les partis chiites et druzes aient un droit de regard sur la nomination des ministres de leur communauté dans le "gouvernement d'experts indépendants conforme à l'initiative française" promis par M. Hariri, sans qu'il en soit de même chez les chrétiens. "M. Hariri veut nommer les ministres chrétiens et avoir la majorité plus un ministre dans le gouvernement", ont-ils dénoncé. Comme ni les Forces libanaises, ni les Kataëb ne participent au cabinet, accorder la nomination des ministres chrétiens aux aounistes conduirait à leur laisser le tiers de blocage.
Dans ce cadre, le CPL a jugé impossible de former un gouvernement "sans participation ni confiance des groupes parlementaires chrétiens", craignant un "retour à l'époque de la tutelle politique", et menacé à nouveau de ne pas accorder la confiance au cabinet, si celui-ci était formé "selon les désirs de M. Hariri". "Nous refusons de lui donner la majorité absolue dans le gouvernement car il l'utilisera pour entraver les réformes, l'audit juricomptable et freiner les tentatives de lutte contre la corruption", ont justifié les députés aounistes. Le parti chrétien a aussi accusé M. Hariri de "se réfugier derrière des arguments fragiles" et de perdre son temps "pour ne pas avoir à assumer la responsabilité de mettre un terme à l'effondrement du pays". "Il s'accroche au nombre de 18 ministres, il a décidé de forger de toutes pièces une crise avec le chef de l'État et le parti politique qui le soutient, et a créé l'histoire du tiers de blocage", a dénoncé la formation. "Le président de la République ne revendique pas le tiers de blocage, comme il l'a annoncé à plusieurs reprises, même si c'est son droit", a enfin réitéré le CPL.
"Scandale sans précédent"
La réponse cinglante du Courant du Futur à ces attaques ne s'est pas fait attendre. Le bureau politique du parti a rejeté les accusations proférées à l'encontre de son chef, Saad Hariri, et a contre-attaqué point par point, ciblant principalement Gebran Bassil, accusé de "jouer sur la fibre confessionnelle et les droits des chrétiens". "Demain est le dimanche des Rameaux et il semble que Gebran Bassil a choisi ce jour pour gâcher la vie des Libanais et leur ôter toute lueur d'espoir. Il semble qu'il ait oublié les critères convenus à la Résidence des Pins (le 1er septembre en présence du président français, Emmanuel Macron), portant sur un gouvernement de spécialistes non partisans", a ajouté le bureau du parti, l'accusant de "jouer sur la fibre confessionnelle et les droits des chrétiens". "Nous pensons que l'ancien ministre joue délibérément sur l'incitation confessionnelle, passant de critère en critère pour s'assurer le tiers de blocage et inventant à chaque fois un nouvel argument pour l'opinion publique libanaise".
Pour le Courant du Futur, le recours par le député de Batroun à "la tricherie, au mensonge et à la fraude" en politique constitue un "crime national". Le parti a encore accusé le gendre du président de travailler dans son ombre à Baabda, dénonçant un "scandale sans précédent en matière de formation du cabinet depuis la création du Grand Liban". Après ces accusations, le parti sunnite a renouvelé son soutien au Premier ministre désigné et affirmé que ce dernier "ne renoncera pas aux règles adoptées pour former le gouvernement, lesquelles sont complémentaires de l'initiative française". "Travailler pour mettre un terme à l'effondrement du pays et raviver la confiance des amis du Liban dans son rôle et sa mission : telle est la confiance que nous recherchons et non celle de Gebran Bassil et de son bureau politique", a-t-il conclu.
Contacts diplomatiques
Par ailleurs, les contacts diplomatiques se poursuivaient dans la journée de samedi concernant la situation libanaise.
Le directeur de la Sûreté générale libanaise, Abbas Ibrahim, s'est ainsi rendu à Paris dans la matinée, à l'invitation de son homologue français. Le général Ibrahim s'est efforcé au cours des derniers mois de mener des médiations entre les différentes parties, sans grand succès jusqu'à présent.
De son côté, l'ambassadeur saoudien, Walid Boukhari, s'est entretenu dans la journée avec le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, qui l'a reçu à Moukhtara dans le Chouf en présence de députés de sa formation politique, dans le cadre de sa tournée auprès des autorités libanaises. Le diplomate avait été reçu mardi dernier à Baabda par le chef d'Etat, Michel Aoun, où il a insisté sur l'importance "d’accélérer la formation d'un gouvernement capable de répondre aux aspirations du peuple libanais pour la sécurité et la stabilité" et a appelé "tous les protagonistes libanais à faire prévaloir l’intérêt national".
La visite de Walid Boukhari à Baabda avait été suivie d'une réunion entre le chef de l'Etat et l'ambassadrice américaine, Dorothy Shea. Celle-ci avait appelé les protagonistes à un compromis, accentuant encore la pression internationale en vue de la mise en place d’une nouvelle équipe. Cela a permis de redynamiser les efforts en quête d’une solution, notamment de la part du président de la Chambre Nabih Berry. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, M. Berry a concocté un projet de solution axé sur la mise en place d’un cabinet de 24 ministres sans tiers de blocage. Le Premier ministre et le vice-président du Conseil ne devraient détenir aucun portefeuille. Chacun des 22 autres membres du cabinet serait chargé d’un seul portefeuille. Nabih Berry a tenu Saad Hariri informé de son projet de solution lors d’un entretien jeudi dernier. Quant au Hezbollah, il aurait approuvé le projet Berry. Le parti de Hassan Nasrallah pourrait même s’activer pour convaincre le président de la République, Michel Aoun, de l’accepter.
commentaires (23)
Et Aoun fait tout pour garder Hariri ... par les temps qui courent on peut monter un Ring dans le centre de beyrouth et on les laisse se battre et nous on compte les points ...
Zeidan
21 h 02, le 28 mars 2021