Le Premier ministre désigné Saad Hariri et le chef de l’État Michel Aoun se sont livré un nouveau bras de fer hier concernant leurs prérogatives respectives en matière de formation du gouvernement. Le camp du Premier ministre estime que c’est ce dernier qui forme le cabinet, laissant entendre que le président joue un rôle secondaire, voire d’appui aux propositions que lui soumet Saad Hariri. À Baabda, on perçoit le rôle du président bien au-delà de cette définition réductrice. Michel Aoun est un partenaire à part entière, fait-on valoir. « La Constitution stipule clairement que le Premier ministre désigné forme son gouvernement et donne les noms (des ministrables, NDLR) avant de les discuter avec le président », a déclaré Saad Hariri lundi à l’issue d’un entretien houleux avec le chef de l’État. « Le président de la République tient à former un gouvernement conforme à la Constitution. Sa signature pour publier le décret est inhérente à la formation du cabinet et pas seulement médiatique », a rétorqué Baabda. Que dit exactement la Constitution ? « Le président de la République promulgue, en accord avec le président du Conseil des ministres, le décret de formation du gouvernement », dispose l’article 53 de la Loi fondamentale. « Le président du Conseil procède aux consultations parlementaires en vue de former le gouvernement, dont il contresigne avec le président de la République le décret de formation », précise l’article 64. Les deux articles semblent plutôt clairs : le Premier ministre est chargé dans un premier temps de présenter une mouture que le président peut, dans un second temps, valider ou pas.
Pour l’ancien député Salah Honein, la formation du gouvernement à proprement parler relève du devoir du Premier ministre puisque c’est lui qui entreprend les consultations parlementaires à cette fin. Toutefois, dit M. Honein, le président, en sa qualité de chef du pouvoir exécutif, a un « rôle fondamental ». C’est lui qui définit avec le Premier ministre les grandes lignes, la vision et le programme que ce gouvernement est censé exécuter dans ce contexte particulier. C’est notamment cet argument que cherche à mettre en avant le locataire de Baabda.
« C’est lui qui canalise les efforts du Premier ministre en fixant avec lui les standards à respecter et les qualificatifs personnels et professionnels qu’il espère voir chez les ministrables. Mais il ne rentre pas pour autant dans les méandres de la désignation, ni dans les tiraillements partisans ou les questions de quotes-parts ou de tiers de blocage », ajoute Salah Honein. « Au final les deux hommes sont condamnés à s’entendre. » Autrement dit, la coopération est indispensable, mais les deux protagonistes ne disposent pas de prérogatives égales dans la formation du gouvernement. « On ne peut pas avoir une interprétation rigide de la Constitution sans prendre le risque de déclencher une guerre entre les protagonistes », commente un juriste qui a requis l’anonymat. Rappelant que la Constitution ne peut pas prévoir tous les cas de figure auxquels peut conduire la dynamique politique, il estime que toute interprétation devrait par conséquent conduire à des solutions pratiques sans que cela empiète nécessairement sur le pouvoir d’une partie tierce. Il fait notamment allusion au document-format d’une mouture de gouvernement envoyé par la présidence à Saad Hariri le sommant de le remplir. Un geste considéré comme « provocateur » par le camp Haririen.
Impasse ?
Le blocage pourrait se prolonger en l’absence d’un délai accordé au Premier ministre désigné pour former le gouvernement. La situation est d’autant plus inquiétante que les deux parties campent sur leurs positions et s’obstinent à ne pas rechercher des alternatives. Or celles-ci existent, fait valoir Talal Husseini, écrivain et chercheur qui a suivi les coulisses des débats à Taëf, la ville saoudienne où a été conclu l’accord, un traité interlibanais signé le 22 octobre 1989, destiné à mettre fin à la guerre civile. Le chef de l’État peut, dit-il, refuser de valider la formule présentée par le Premier ministre pour des raisons qu’il doit motiver. Si ce dernier n’est pas convaincu par les arguments du président, comme cela semble être le cas, il doit alors s’adresser au Parlement, l’institution habilitée à trancher le conflit. Le chef de l’État peut également faire de même. « C’est la déduction logique qui découle d’un système qui est explicitement parlementaire et non présidentiel, ni semi-présidentiel. Par conséquent, il est du devoir du président et du Premier ministre de recourir au Parlement », affirme M. Husseini.
Si le Premier ministre désigné et le président refusent de se référer à l’Assemblée, à ce moment-là, il y va de la responsabilité du président du Parlement ou de tout autre député de prendre l’initiative pour mettre en cause la responsabilité du Premier ministre ou le confirmer dans ses fonctions. « C’est clairement stipulé par l’article 37 », affirme Talal Hussein qui invoque « un droit absolu » prévu dans cet article et qui n’est pas conditionné par le fait que le Premier ministre est désigné ou en fonction.
L’article 37 prévoit que le « droit pour tout député de mettre en cause la responsabilité des ministres est absolu durant les sessions ordinaires et extraordinaires ». Dans ce cas de figure, le Parlement peut confirmer une seconde fois la désignation du Premier ministre ainsi que la mouture qu’il présente, ce qui veut dire que le chef de l’État devra signer et promulguer le décret, ou alors donner raison au président, auquel cas le Premier ministre doit se récuser, explique M. Husseini. Or ce n’est pas, semble-t-il, une issue que le président du Parlement semble disposé à envisager.
Selon des informations de presse, Nabih Berry « considère que tout examen de la question de la désignation du Premier ministre à la Chambre est une hérésie constitutionnelle ». M. Berry réagissait ainsi à des informations qui circulent depuis 24 heures sur la volonté attribuée au président d’adresser une lettre au Parlement, conformément à l’alinéa 10 de l’article 53 de la Constitution. Une autre alternative à laquelle le chef de l’État peut recourir, « si cela s’avère nécessaire », prévoit le texte. Selon des informations rapportées par notre correspondante Hoda Chedid, qui cite des sources au palais présidentiel, le chef de l’État « n’exclut aucun des moyens constitutionnels à sa disposition » pour favoriser la mise sur pied du cabinet.
et ca continue, la valse des deux présidents, comme s'il n'y avait aucune urgence a former un gouvernement!
01 h 42, le 26 mars 2021