En sonnant l’heure du compromis autour du prochain gouvernement, les États-Unis ont accentué la pression internationale en vue de la mise en place d’une nouvelle équipe, redynamisant par la même occasion les efforts en quête d’une solution, notamment de la part du président de la Chambre Nabih Berry. Mais le déblocage pourrait ne pas être pour demain, les protagonistes concernés campant, en apparence du moins, sur leurs positions traditionnelles et se renvoyant les accusations de blocage.
Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, M. Berry a concocté un projet de solution axé sur la mise en place d’un cabinet de 24 ministres sans tiers de blocage. Le Premier ministre et le vice-président du Conseil ne devraient détenir aucun portefeuille. Chacun des 22 autres membres du cabinet serait chargé d’un seul portefeuille. Nabih Berry a tenu Saad Hariri informé de son projet de solution lors d’un entretien jeudi dernier. Quant au Hezbollah, il aurait approuvé le projet Berry. Le parti de Hassan Nasrallah pourrait même s’activer pour convaincre le président de la République, Michel Aoun, de l’accepter.
Contactée par L’Orient-Le Jour, une source proche du président de la Chambre s’abstient de dévoiler les détails de la solution en question. Elle se contente d’affirmer que le plus important point porte sur le tiers de blocage qui ne devrait être détenu par aucun camp. La source affirme que cette redynamisation des contacts politiques est une conséquence de l’appel de l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth en faveur d’un compromis. S’exprimant jeudi à l’issue d’un entretien avec Michel Aoun, Dorothy Shea s’est voulue très claire. « Je pose la question respectueusement à toute personne qui pose des exigences pour la formation de ce gouvernement, dont votre peuple a désespérément besoin (...) : maintenant que nous sommes depuis près de huit mois sans cabinet doté de pleins pouvoirs (depuis la démission du gouvernement de Hassane Diab, le 10 août dernier, dans la foulée de la double explosion au port de Beyrouth), n’est-il pas temps d’abandonner ces exigences et de commencer à faire des compromis ? » s’est interrogée la diplomate. Et d’ajouter : « Il est important de se concentrer sur la formation d’un gouvernement, et non de bloquer (cette formation). »
Mme Shea a indiqué s’être entretenue mercredi soir « avec de jeunes activistes politiques de tous bords ». « Il est clair qu’ils veulent un gouvernement qui puisse assumer ses responsabilités », a-t-elle souligné. « Ils veulent l’indépendance de la justice, ils veulent un État de droit. Ils veulent extirper la corruption endémique qui dépossède le pays et son peuple de précieuses ressources dont ils ont désespérément besoin. Et ils veulent voir les élections prévues l’an prochain se dérouler en temps voulu », a-t-elle encore dit.
Lancé précisément depuis Baabda, ce premier appel au compromis serait, selon les milieux haririens, adressé d’abord au chef de l’État et à son gendre, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Les détracteurs du chef du CPL l’accusent d’entraver sciemment le processus ministériel pour s’assurer le tiers de blocage au sein de la future équipe.
« Khalass ! »
Les milieux diplomatiques américains préfèrent rester loin des interprétations, insistant sur l’urgence, pour les leaders libanais, de s’entendre autour d’un cabinet. « Khalass (assez) ! Il est grand temps que les leaders politiques libanais fassent preuve de courage et facilitent la formation d’un nouveau gouvernement », explique à L’Orient-Le Jour une diplomate haut placée au sein de l’ambassade américaine à Beyrouth, sous couvert d’anonymat. « Nous ne choisissons ni la forme ni les participants au cabinet. Cela dépend des Libanais. Notre position n’a pas changé. Nous voulons voir un nouveau gouvernement au Liban afin de lancer les réformes pour que soient débloqués les fonds promis par les donateurs », ajoute la diplomate.
Ces propos devraient-ils être interprétés comme une approbation américaine implicite à un cabinet au sein duquel serait représenté le Hezbollah, bête noire de Washington ? Là aussi, la diplomate précitée renvoie la balle dans le camp des Libanais. Elle évite, par ailleurs, de se prononcer au sujet d’éventuelles sanctions américaines contre des leaders libanais qui entraveraient le processus de redressement politique. « Nous ne parlons jamais des sanctions à l’avance. C’est un outil entre nos mains, mais nous ne dirons rien à ce sujet pour le moment », souligne-t-elle.
La réunion entre M. Aoun et Mme Shea fait suite à des rencontres diplomatiques que le chef de l’État a eues en cours de semaine, au lendemain de son entretien orageux avec le Premier ministre désigné lundi. Michel Aoun avait convoqué Anne Grillo et Walid Boukhari, respectivement ambassadeurs de France et d’Arabie saoudite à Beyrouth. Les discussions ont naturellement porté sur la formation du gouvernement. Mais un proche de la présidence assure à L’OLJ qu’avec ses interlocuteurs diplomatiques, le président Aoun ne se permet pas d’évoquer la question de la formation du gouvernement, dans la mesure où elle relève de la souveraineté du pays. « Il discute avec eux des retombées d’un (éventuel) échec à mettre en place une nouvelle équipe, à l’heure où le pays s’effondre économiquement », précise ce proche du palais, soulignant que « Michel Aoun tente de garder le Liban parmi les priorités de la communauté internationale ».
Interrogé au sujet du compromis auquel a appelé Dorothee Shea, le proche de la présidence affirme qu’il faut que la diplomate explique le sens de ce terme. En attendant, Baabda persiste et signe : il faut que le Premier ministre désigné collabore avec le chef de l’État en sa qualité de partenaire à part entière dans le processus gouvernemental. « Le président Aoun ne permettra pas que les chrétiens soient privés de la seule compétence qui leur reste au niveau du pouvoir : le contreseing du chef de l’État sur le décret de formation du gouvernement », assure ce proche de la présidence. Sur le point de savoir si cette attitude ne constituait pas un obstacle, ce proche collaborateur répond ainsi : « Et alors? Que le gouvernement ne soit pas formé ! » Pour lui, Michel Aoun ne veut pas que son mandat témoigne d’un précédent qui porterait atteinte aux chrétiens.
Hariri à Bkerké
Saad Hariri mène lui aussi ses contacts avec les diplomates. Quelques heures après une réunion avec Dorothy Shea, jeudi, il s’est rendu à Bkerké pour un entretien avec le patriarche maronite Béchara Raï, qui plaide sans relâche depuis des semaines pour l’accélération du processus gouvernemental. Une source haririenne confie que lors de la réunion tenue sur invitation du patriarche, le leader du courant du Futur s’est dit prêt à collaborer avec le président de la République en vue d’un cabinet où aucun camp n’obtiendrait le tiers de blocage. Saad Hariri a également expliqué au prélat qu’il était prêt à modifier quelques noms de sa mouture de 18 (présentée à M. Aoun le 9 décembre dernier) en concertation avec le chef de l’État.
À Bkerké, on place cet entretien dans le cadre des « efforts » du patriarche pour réunir une fois de plus MM. Aoun et Hariri. « Mgr Raï veut que le cabinet voie le jour le plus tôt possible et que soient respectés les textes constitutionnels en vigueur », commente un proche de Bkerké pour L’OLJ, faisant savoir que les contacts de Bkerké avec Baabda et la Maison du Centre sont permanents. Hier, Saad Hariri a reçu l’ambassadeur de Russie à Beyrouth, Alexander Rdakov, et le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli.
Démission de Berri et Aoun illico !
02 h 01, le 28 mars 2021