La déclaration de l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, à sa sortie jeudi du palais de Baabda, a marqué le paysage politique tout au long des deux derniers jours. À la fois le ton et le contenu de cette déclaration étaient différents de ceux auxquels les Libanais s’étaient habitués de la part de la diplomatie US depuis le début du mouvement de contestation le 17 octobre 2019.
De plus, le mouvement diplomatique qui a suivi la visite de Mme Shea à Baabda, notamment sa visite à la Maison du Centre, ainsi que celle de l’ambassadrice de France Anne Grillo à Aïn el-Tiné, puis la réunion entre les deux diplomates et l’ambassadeur d’Arabie saoudite, montre que quelque chose a changé dans l’approche diplomatique à l’égard du Liban. Pour certains, c’est l’aggravation des crises économique et sociale qui pousse les diplomates concernés par le Liban à réagir en appelant aussi clairement les différentes parties libanaises à former un gouvernement le plus rapidement possible.
Mais, selon un diplomate chevronné, ce changement d’attitude aurait une autre explication. Pour ce diplomate qui suit de près la situation aux États-Unis, le changement doit être attribué à une évolution dans l’approche américaine au Liban et dans la région. Après la politique des sanctions extrêmes et des pressions maximales sur l’Iran et ses alliés, notamment en Irak et au Liban, adoptée par l’administration de Donald Trump, la nouvelle équipe de Joe Biden a choisi une autre méthode que l’on appelle en termes stratégiques « la guerre douce ».
S’il est vrai que la nouvelle équipe n’a pas encore définitivement mis au point les détails de sa stratégie pour le Moyen-Orient, il est clair qu’elle est actuellement en train de réévaluer la politique adoptée au cours des dernières années dans la région. Dans les cercles proches de la décision actuelle aux États-Unis, on estime que la politique étrangère de Donald Trump a été un échec. Il est vrai que les pressions et les sanctions ont fait mal aux populations des pays concernés, mais elles n’ont pas réussi à faire plier la direction iranienne, ni à affaiblir al-
Hachd al-chaabi en Irak, et encore moins le Hezbollah au Liban. Elles ont aussi contribué à ternir l’image des États-Unis dans le monde à travers l’appui direct à des guerres impopulaires et non réussies (comme celle du Yémen), des sanctions imposées même aux alliés (certaines sociétés françaises, dont des banques, par exemple) et une perte des valeurs démocratiques traditionnellement défendues par Washington.
L’administration Biden, qui sait qu’elle n’a pas beaucoup de temps – puisque le président américain a annoncé lui-même qu’il ne briguerait pas un second mandat –, estime donc que sa mission est de recadrer l’image des États-Unis dans le monde et de modifier l’approche précédente axée sur le défi et le durcissement des positions. Mais l’objectif ultime reste évidemment le même, celui d’assurer la suprématie des États-Unis dans le monde. Face à la montée de la Chine et même à l’augmentation de l’influence de la Russie au Moyen-Orient, la nouvelle administration chercherait ainsi à adopter une méthode plus douce. En tout cas, selon le diplomate précité, il est clair que cette administration ne compte pas mener de nouvelles guerres, les États-Unis n’étant pas prêts pour cela, mais en même temps, elle ne se dirige pas vers la conclusion de grands accords globaux, comme cela a été dit, qui consisteraient en un nouveau partage de l’influence dans le monde. La radicalisation des positions entre les États-Unis d’une part et la Chine et la Russie de l’autre serait ainsi la preuve que l’on ne se dirige pas vers de grands accords, mais plutôt vers de petites ententes.
C’est dans cet esprit que le diplomate précité estime que l’équipe Biden devrait se contenter de conclure de petits compromis, destinés à donner aux États-Unis un répit, pour pouvoir se renforcer face au véritable défi que représente la puissance grandissante de la Chine.
Au Liban et en Irak, qui sont les deux pays qui se ressemblent le plus aux yeux des Américains, il s’agirait donc de se fixer un objectif réalisable sans
heurts majeurs.
Dans ce contexte, toujours selon le même diplomate, l’objectif actuel des Américains serait de pousser vers un renversement de la majorité parlementaire au Liban et en Irak, dans le cadre des élections législatives. Après avoir lancé l’idée d’élections anticipées, et après avoir poussé le Premier ministre irakien à en accepter l’idée et à les fixer à mai 2021, et face au fait qu’au Liban, elles sont difficiles à réaliser en si peu de temps, les Américains se concentreraient actuellement sur la nécessité de maintenir les élections à la date prévue (mai 2022 pour les deux pays), tout en essayant de pousser leurs alliés à remporter une victoire claire et une majorité éclatante.
Pour cela, la priorité au Liban est donc actuellement de former un gouvernement qui serait en mesure d’organiser ces élections, tout en stoppant le processus d’effondrement du pays et de ses institutions. D’où l’insistance de l’ambassadrice des États-Unis, mais aussi d’autres diplomates, sur la nécessité de former le plus rapidement possible un gouvernement crédible et efficace. Ce gouvernement aurait pour mission principale de procéder aux réformes structurelles élémentaires et d’entamer un dialogue avec le Fonds monétaire international (FMI) pour non pas redresser la situation économique, mais arrêter l’effondrement financier et redonner un minimum de stabilité au pays. Tout cela afin de permettre la tenue d’élections législatives saines et retirer ainsi tout prétexte qui pourrait être invoqué pour les reporter. En même temps, il ne faut pas que le chef de l’État et son camp, ainsi que le Hezbollah, puissent tirer profit de ce retour au calme et s’en attribuer le mérite.
C’est donc une politique tout en nuance que les États-Unis et leurs alliés adoptent actuellement au Liban. L’idéal, pour eux, serait que le Liban se dote d’un gouvernement neutre dont aucun des membres ne serait candidat aux élections, un peu selon le modèle du gouvernement de Nagib Mikati en 2005 dont la mission s’était limitée à organiser le scrutin de mai 2005 (avril-juillet).
commentaires (17)
Sans les decryptages de Scarlett Haddad on ne comprendrait pas ce qui ce passe en pensant “librement”...car beaucoup se debatent en fantasmes qui se prouvent le plus souvent juste faux, et ne refletent que les souhaits irrealistes de certain.. Philippe Bardawil
Bardawil dany
10 h 24, le 31 mars 2021