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Nos Lecteurs ont la Parole

Le quota à la libanaise bientôt à l’Opéra !

Le monde sombre, depuis quelque temps, dans un ridicule « politiquement correct » en vogue qui mettra bientôt fin aux notions de « compétence » et de « qualité ». À la place, on commence à prôner le système de quotas, une politique qui rappelle le confessionnalisme naturellement libanais qui ne mène nulle part, sinon en enfer.

Causant déjà polémique, les échos provenant récemment de l’Opéra de Paris sont alarmants : certains semblent mépriser un héritage traditionnel, largement, même essentiellement français. Dans les années 80, Noureev le Soviétique, qui connaissait déjà, et par cœur – comme tout Russe – le répertoire de Petipa le Français, s’enflamma devant les danseurs français car ils méconnaissaient l’œuvre de ce célèbre maître qui donna au ballet ses lettres de noblesse. Ainsi, « Noureev donne à Petipa son ticket de retour », dit Ariane Dollfus dans Noureev l’insoumis, et avec un nouveau souffle qui n’ose pas trop toucher à la chorégraphie originale, il introduit en France quatre œuvres de Petipa : Le lac des cygnes, Raymonda et la Bayadère en se donnant la liberté de changer Casse-Noisette. Aujourd’hui, toutes les grandes compagnies classiques du monde tiennent ardemment aux œuvres de Petipa. Sauf que la France d’aujourd’hui a envie de les supprimer ; elle est donc susceptible de supprimer non seulement une partie du répertoire international mais aussi une partie de son propre héritage. Et elle le fait avec sarcasme et orgueil. Elle le fait avec aisance et mépris. Elle le fait si facilement. Elle le fait, car elle a envie d’imiter l’Oncle Sam (?) qui sombre aussi dans le « politically correct ». Or même en Amérique, on n’ose pas supprimer Petipa dans les grandes compagnies, car le politiquement correct ne pénètre pas des murs censés protéger l’héritage.

Pire que ce politiquement correct incitant actuellement l’Opéra à ne vouloir plus de sarrasins dans Raymonda, « donc on supprime Raymonda », c’est la représentation de « tous » sur scène. On veut des gens de toutes les nationalités, de toutes les couleurs et, bientôt, on érigera des règles pour accepter les danseurs de toutes les formes. Où en sont la compétence et le respect de l’esthétique dans tout ça? Pourquoi suivre le système de quotas qui prône les chiffres et les labels aux dépens de la qualité ? Et si tous les danseurs sur les planches de Garnier et de Bastille étaient blancs ? Tous Français ? –, pourvu qu’ils soient les plus compétents. Et alors ? Que viennent faire la religion, la race et la nationalité quand la qualité et les compétences se présentent ? Que le compétent accroche son titre mérité mais qu’il ne l’accroche pas car on a tout d’un coup envie de diversifier. L’art n’est pas une salade (de même pour la gestion politique d’un pays). Et il ne doit certainement pas répondre à la mode de la politique ni à la politique en mode. Si un Chinois, une musulmane, un brun, une Péruvienne méritent le titre de danseur/se, c’est parce qu’ils sont professionnels, non parce que leur « label » est important. Faire appel afin d’intégrer des artistes pour leur couleur de peau n’est-il pas, paradoxalement, discriminatoire ? À diversifier artificiellement, on tombe forcément dans la discrimination. D’autant que choisir un danseur pour son label c’est justement nuire à son statut de danseur : quand on est danseur, on n’est finalement que danseur. Un jour, ce (trop ridicule) politiquement correct finira par toucher même à la forme du corps en acceptant les courbes de graisse qui nuisent aux lignes esthétiques du ballet – et la « fat culture » est déjà à la mode dans d’autres domaines. Comment ne pas voir que la graisse et l’anorexie (qui est cliché plutôt que vérité chez les ballerines) sont les jumelles d’un corps malsain ?

À vouloir jouer le politiquement correct, l’Opéra risque de perdre son sens du correct. Rappelons ce qu’a dit l’ex-étoile Aurélie Dupont – et qui était évident en 2017 mais qui paraît désormais nécessaire : « Les artistes de cette maison – (même de toute maison d’opéra) – ne peuvent être exclusivement classiques, ni uniquement contemporains ; c’est dans la complétude d’une ouverture à tous les répertoires qu’ils pourront donner le meilleur de leur art (…) C’est la richesse d’une compagnie que de pouvoir entretenir le répertoire. » En d’autres termes, il faudrait être à la fois conservateur et libérateur, traditionnel et novateur. Parce que l’art est ainsi. C’est un tout, non une prise de position. Il ne faudrait surtout pas oublier que le ballet est un art fugitif et que son seul musée est le répertoire d’une maison d’opéra.

Depuis des années, on voit les œuvres du XIXe siècle s’évaporer à Garnier. Depuis des années, on voit quelques danseurs français ridiculiser l’héritage. Ne sait-on pas que lorsqu’on est de gauche en art, c’est qu’on est de droite ? Ne sait-on pas que les deux sont l’avers et l’envers de la même médaille ? Finalement, le trop de réflexions et d’idéologies alourdit les ailes libres et organiques de l’art. Et un faux pas qu’on appelle « moderne » fait toujours deux pas en arrière.

Entre-temps, dans les nombreuses grandes compagnies russes, les meilleurs danseurs montent sur les planches, car sélectionnés uniquement suivant leurs compétences. Oui, ils sont de dominance russe et ils sont tous blancs – non par racisme! mais parce qu’en Russie, on est naturellement blanc. Et les danseuses et danseurs russes musulmans (eh oui! beaucoup de danseurs musulmans en Russie, dont Noureev) dansent en respectant les tenues (oh que légères) de la danse classique et ils dansent même des « sarrasins » parce que Le Corsaire, Raymonda, La Fontaine de Bakhtchissaraï et Schéhérazade sont des œuvres classiques qu’on ne perçoit pas dans une perspective politisée. Peut-être faudrait-il rappeler au nouveau directeur Alexandre Neef que signifient les rayons classiques de Louis XIV, le panthéon, la Sorbonne, la tour Eiffel, le Louvre, les ballets de Petipa… que signifie déjà un « classique », et ce en lui rappelant tous les arguments d’Italo Calvino.

Alors qu’on érige actuellement en France des notions politiques non artistiques qui nuisent à l’art même, les grandes maisons internationales, surtout russes, s’intéressent uniquement à la danse : répertoire mi-classique, mi-moderne, mi-traditionnel, mi-contemporain. Ainsi donc, la Russie peut constituer l’un des rares musées de ballet au monde ; en 2018, toute la scène culturelle pétersbourgeoise a célébré le centenaire de Petipa tout au long de l’année, alors qu’à l’Opéra, certains crachent sur les grands noms, la voûte et les rideaux de Garnier. Il faut l’avouer : si le ballet, le vrai, est devenu russe, c’est justement parce qu’il respecte jusqu’à aujourd’hui l’héritage premier, l’héritage français allant de Noverre à Jules Perrot et Marius Petipa, tout en consacrant une large partie à un héritage local devenu internationalement indispensable (Ivanov, Vaganova, Gorsky, Fokine, Nijinski, etc.) et aux œuvres modernes et contemporaines. Comparez les répertoires si globaux, si riches et divers du Mariinsky et du Bolchoï à celui de l’Opéra, et le message aboutira.

Que les rayons de tous les grands Français illuminent le monde entier et qu’on les éteigne à l’Opéra, parce que l’art, la tradition et les règles sont apparemment désuets au pays des académies.

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Le monde sombre, depuis quelque temps, dans un ridicule « politiquement correct » en vogue qui mettra bientôt fin aux notions de « compétence » et de « qualité ». À la place, on commence à prôner le système de quotas, une politique qui rappelle le confessionnalisme naturellement libanais qui ne mène nulle part, sinon en enfer.
Causant déjà...
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