
Des Libanais réunis à Bkerké samedi. Anwar Amro/AFP
Inédit, dans la forme comme dans le fond, le discours samedi du patriarche maronite, Béchara Raï, pourrait marquer un nouveau tournant politique. Ayant particulièrement ciblé le Hezbollah dans ses attaques – bien plus que le reste de la classe politique –, le discours du prélat maronite est susceptible de renforcer à nouveau la polarisation du débat politique autour du parti chiite. La présence marquée des sympathisants des Forces libanaises ce jour-là et les slogans lancés contre l’Iran et le Hezbollah, qualifié de « terroriste », ont accentué le risque d’un clivage. D’ores et déjà, on évoque un retour aux divisions entre les mouvances du 8 et du 14 Mars, nées des suites de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 et qui ont divisé la politique pendant des années après le retrait des troupes syriennes. Cette victoire pour le 14 Mars avait été acquise grâce à l’adoption de la résolution 1559 votée à l’ombre d’une conjoncture internationale favorable, mais en raison des pressions exercées par Bkerké, alors dirigée par Nasrallah Boutros Sfeir, un fervent opposant à la Syrie et l’un des inspirateurs du 14 Mars.
Si cette coalition a disparu depuis en tant que force politique, son ombre planait samedi au-dessus de Bkerké, alors que les partis qui formaient cette alliance ont tous, à des degrés divers, soutenu la démarche du patriarche. Une partie des révolutionnaires du 17 octobre, celle qui est plus proche du 14 Mars, abonde dans le même sens et soutient le prélat dans son appel à « la libération du Liban », otage des tiraillements et conflits régionaux. De quoi exacerber la paranoïa du Hezbollah qui craint de se retrouver seul contre tous les autres.
Du côté de Bkerké, on persiste et signe : ce n’est pas en tant que chef de l’Église maronite que le patriarche s’est exprimé, mais en tant que figure nationale garante des constantes libanaises parmi lesquelles figure le principe de neutralité. Dans les milieux proches du patriarche, on rejette catégoriquement la thèse d’un retour à la polarisation. Le discours était adressé au nom d’un Liban pluriel qui partage une seule et même blessure, fait-on valoir. « La souffrance des Libanais, y compris des chiites, est la même », assure Walid Ghayad, le porte-parole de Mgr Raï.
Vieux démons
Bien que Bechara Raï ait pris soin de se positionner au-dessus de la mêlée et de conférer à son intervention une tonalité nationale, le patriarche ne peut pas pour autant échapper à l’étiquetage politique. Pour le parti chiite, c’est du déjà-vu. Dans les milieux proches du Hezb, on reste convaincu que l’initiative du chef de l’Église maronite va inéluctablement conduire à la réédition du scénario de 2005, avec les mêmes slogans et quasiment les mêmes acteurs.
En dénonçant sans détour le principe de « deux pouvoirs au sein d’un même État » et l’arsenal du Hezbollah, le patriarche a réveillé de vieux démons auprès du public du parti chiite. « Nous sommes dans un climat proche de celui qui prévalait à la veille de la guerre civile. La controverse chiito-chrétienne a déjà éclaté », commente un analyste proche des milieux du Hezb.
Si le parti chiite n’a toujours pas réagi officiellement au discours du Bkerké, il a toutefois envoyé un premier message, dimanche, par le biais de son député Hassan Fadlallah qui a mis en garde une fois de plus contre les « dangers » d’une internationalisation du conflit libanais. Objectif : calmer la base et faire entendre au locataire de Bkerké les appréhensions du parti. « Évoquer la neutralité du Liban ou une conférence internationale sous les auspices de l’ONU, comme l’a fait le patriarche alors que le pays n’est ni en guerre ni sous mandat, tutelle ou occupation, relève de l’hérésie », soutient une source proche du parti. Aux yeux du Hezbollah, l’appel du patriarche ne saurait en outre être légitimé dans la mesure où il n’émane pas « des autorités officielles » et qu’il est formulé de manière « unilatérale en dehors de toute entente nationale ». « Si le patriarche cherche à redynamiser le rôle historique de Bkerké à l’instar de ses prédécesseurs, (il doit savoir) que les circonstances sont différentes, et le rapport de force aussi », commente un analyste proche du parti de Dieu.
Éviter l’escalade
Pour autant, le Hezbollah ne veut pas entrer en confrontation avec le prélat maronite. En dépit de l’escalade verbale virtuelle, de la tension principalement suscitée par les slogans considérés offensifs par la base du Hezbollah, le parti laisse entendre qu’il est toujours disposé au dialogue. C’est ce qu’affirment plusieurs sources concordantes. Des médiateurs qui s’activent entre Bkerké et la banlieue sud s’attellent depuis quelques jours à rapprocher les points de vue. Le Hezb aurait d’ailleurs déjà envoyé un message positif en ce sens au patriarche.
Le parti chiite ne peut pas s’attaquer ouvertement à l’Église maronite et risquer d’embarrasser son allié chrétien, le Courant patriotique libre, qui, lui, a salué, quoique très timidement, le discours du patriarche. La prudence observée par le Hezbollah a été partagée par son partenaire Amal dont le bureau politique a complètement occulté hier le discours du patriarche. Des sources proches de cette formation affirment que son chef, Nabih Berry, veut absolument éviter l’escalade.
À Bkerké, on se dit conscient du fait que l’idée d’une « conférence internationale » ait pu susciter des craintes et des interprétations disproportionnées. « La porte du patriarche est ouverte, et il est prêt à en discuter pour clarifier son point de vue et dissiper les malentendus. Les propos de Mgr Raï n’ont d’autre objectif que de trouver des espaces de rencontre et de dialogue interne », ajoute le porte-parole.
Difficile toutefois de convaincre le Hezbollah d’une neutralité préconisée par Bkerké alors que les sympathisants FL scandaient à tue-tête des slogans hostiles au parti chiite et à son protecteur, l’Iran. « Charité bien ordonnée commence par soi-même, ironise la source proche du parti. S’il souhaitait véritablement la neutralité, le patriarche aurait commencé par l’appliquer chez lui en faisant taire ces slogans. »
Ce à quoi Bkerké répond en affirmant que le patriarche ne pouvait interrompre une cérémonie officielle de cette envergure pour s’engager dans une polémique avec les participants. « Bkerké condamne toute atteinte à la dignité de n’importe quel citoyen et n’avalise aucunement ces slogans », conclut M. Ghayad.
polarisation ? hezb craindrait cela ? mais voyons,en quoi ca le derangerait? mais il ne prend ses forces-ses vraies forces locales QUE a cause de cette polarisation ! diviser pour regner : ca vous rappelle t il quelques uns , une certaine periode qui en fait s'eternise ?
11 h 47, le 03 mars 2021