Après les deux discours-clés de Saad Hariri dimanche dernier et de Hassan Nasrallah deux jours plus tard sur la formation du gouvernement, il ne reste plus qu’à attendre la réponse du camp aouniste aux « propositions » exprimées par l’un et l’autre pour résoudre la crise.
Mardi, le secrétaire général du Hezbollah a suggéré une issue consistant à couper la poire en deux, exhortant implicitement le chef de l’État Michel Aoun à renoncer au tiers de blocage, et le Premier ministre désigné à revenir sur sa position en faveur d’un cabinet de 18 ministres dits d’experts et pas un seul de plus. Un moyen pour le leader sunnite de couper court aux ambitions attribuées au camp aouniste de vouloir détenir le tiers de blocage, quitte à reconsidérer de son côté l’attribution de certains noms et portefeuilles en concertation avec le président.
De prime abord, on serait tenté de penser que les dés sont jetés et que la marge de manœuvre du camp aouniste s’est réduite comme peau de chagrin, surtout après la proposition faite par le numéro un chiite. Isolé sur le plan international, ayant multiplié les adversaires sur la scène locale, Gebran Bassil, qui est à présent explicitement lâché par le Hezbollah sur la question du tiers de blocage, peut-il encore s’offrir le luxe de tergiverser et de persister dans son refus d’un déblocage ? Attendu par ses alliés aussi bien que ses adversaires politiques, sa conférence de presse annoncée pour dimanche prochain devra en principe apporter une réponse à cette interrogation.
Pour certains analystes, le leader aouniste n’a plus tellement le choix et ne pourra pas rejeter en vrac la proposition de son partenaire chiite. À moins de se révéler au grand jour comme étant celui qui met des bâtons dans les roues. S’il est encore très tôt de prédire quelle sera la réaction du chef du CPL – même les proches de Gebran Bassil affirment ne rien savoir pour l’heure –, rares sont toutefois ceux qui misent sur un revirement du leader chrétien. N’ayant plus grand-chose à perdre, il compte jouer le tout pour le tout, assure-t-on de sources concordantes, et ne renoncera que difficilement à ce qu’il considère être une carte maîtresse entre ses mains pour négocier un marché favorable au sein du futur cabinet. Pour lui aussi bien que pour le chef de l’État, brandir même implicitement le spectre du tiers de blocage serait un moyen pour mieux marchander en contrepartie certains avantages politiques, font valoir des informations de presse distillées récemment par le camp adverse.
D’un côté, Michel Aoun souhaiterait négocier une éviction du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, à qui il fait assumer la responsabilité de l’effondrement financier du pays. En échange, il renoncerait à l’ambition de son camp politique de briguer le tiers de blocage au sein de l’exécutif. D’un autre côté, on affirme que Gebran Bassil – visé par les sanctions américaines – a demandé aux Français d’intercéder auprès de l’administration US en vue de le libérer de ce joug. En retour, il serait disposé à lâcher du lest dans le processus de formation du gouvernement.
Des supputations que le député Eddy Maalouf dément en bloc sans toutefois nier le souhait du chef de l’État de vouloir en finir avec le gouverneur de la BDL. Par contre, « il est absurde de croire que M. Bassil est assez naïf pour espérer un changement dans le texte des lois américaines taillé à sa mesure », lance le parlementaire.
Pour la défense de son camp politique, il rappelle à qui veut l’entendre que le chef du CPL n’a jamais réclamé ouvertement le tiers de blocage et qu’il ne veut rien d’autre qu’une application des critères de désignation de ministres de manière équitable. La formule est simple, fait valoir Eddy Maalouf : « Si les musulmans ont choisi leurs ministres, les chrétiens doivent en faire autant. » À partir de là, tout est possible, laisse entendre le député, sans plus de précision.
Nasrallah peut mieux faire...
Tel n’est pourtant pas l’avis du courant du Futur, encore moins des milieux proches des chiites, qui expriment des doutes sérieux sur la possibilité que le chef du CPL puisse saisir au vol « l’offre » de Hassan Nasrallah. « Le Hezbollah ne peut en aucun cas imposer à ses partenaires ses desiderata », souligne Ghassan Jawad, un analyste proche aussi bien du CPL que du parti pro-iranien. Selon lui, l’impasse dont il attribue la responsabilité principalement à Saad Hariri est totale et nécessite une intervention française pour pouvoir défaire le nœud gordien.
Pour le courant du Futur, les chances de s’attendre à un assouplissement de la position de Gebran Bassil sont quasiment nulles. « Il ne fléchira pas et ne renoncera pas au tiers de blocage », commente le député Mohammad Hajjar. Il en veut pour preuve le fait que Hassan Nasrallah n’a pas du tout réglé le problème en proposant d’élargir la taille du futur cabinet, un détour qui ouvrira la voie à de nouvelles manœuvres dilatoires pour l’obtention de la majorité par le camp aouniste. D’ailleurs, dit-il, le secrétaire général n’a pas suffisamment fait preuve de fermeté. « S’il le voulait réellement, Hassan Nasrallah aurait mis son allié chrétien au pied du mur et fait en sorte que l’exécutif voie le jour depuis des mois. »
Une source proche du Hezbollah souligne, en réponse, la volonté du parti de ménager la chèvre et le chou. Pour elle, le parti chiite est dans l’embarras : il ne peut certes faire preuve de complaisance à l’égard de M. Bassil, mais il ne peut pas non plus le lâcher seul dans l’arène.
À un moment aussi crucial où se joue son avenir et celui de son arsenal – directement rattaché aux enjeux régionaux et au bras de fer entre l’Iran et les États-Unis –, le Hezbollah ne veut surtout pas perdre ses alliés locaux en cours de route. Il tient surtout à ne pas coincer le chef du CPL qui avait brandi, il y a quelques semaines, la menace d’une révision de l’accord d’entente de Mar Mikhaël de 2006 conclu entre les deux partis.
Officiellement, le parti se contente de répondre d’une manière lapidaire. « Nous avons dit ce que nous avions à dire. Nous avons accompli notre devoir. Il faudra attendre de voir comment M. Bassil va réagir », commente le porte-parole du Hezb, Mohammad Afif Naboulsi.
Mardi, le secrétaire général du Hezbollah a suggéré une issue consistant à couper la poire en...
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Il est fini, le coup de grâce ne viendra ni de ses nombreux ennemis intérieurs ou extérieures, ni même de son allié le Hezbollah, mais de son propre parti dont de très nombreux partisans le haïssent encore plus que tous ces ennemis r’eunis. La fin sera moche pour celui qui voulut être roi sans en avoir les moyens ou la capacité
Liban Libre
03 h 18, le 20 février 2021