
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. Photo ANI
Le message était tellement implicite qu’il pouvait faire l’objet de plus d’une interprétation. Le refus de Hassan Nasrallah de toute « internationalisation » du règlement de la crise au Liban, lors de son dernier discours mardi soir, était-il une réponse à un député du bloc de son allié Nabih Berry ou une attaque camouflée dirigée contre le patriarche maronite, Béchara Raï ? Dans certains milieux de l’opposition chrétienne, la question ne se pose même pas. On y a vu dans les propos du leader chiite une « menace » inacceptable contre le chef de l’Église maronite, alors que celui-ci mène des efforts dans toutes les directions pour sauver le pays de l’effondrement à l’heure où le processus de formation du gouvernement est dans une impasse totale.
Depuis plusieurs semaines, le patriarche tient en effet des homélies particulièrement incendiaires dans lesquelles il plaide pour la neutralité du Liban face aux conflits des axes régionaux. Il critique aussi et surtout sans ambages le retard mis à former la nouvelle équipe ministérielle, ainsi que l’incapacité de la classe dirigeante à trouver des solutions aux crises qui secouent le pays. Il a dans ce contexte mené plusieurs contacts dans une tentative de débloquer le processus. Mais, depuis le 7 février, Béchara Raï a franchi un nouveau cap en appelant, pour la première fois, à la tenue d’une conférence internationale sous l’égide de l’ONU pour consolider les fondations institutionnelles de l’État libanais et consacrer le principe de neutralité. Pour le chef de l’Église maronite, qui ne cache pas son manque de confiance dans les protagonistes locaux, la conférence internationale serait un premier pas sur la voie de la solution à la crise actuelle, comme il l’a de nouveau expliqué dans une interview accordée jeudi à notre confrère an-Nahar.
Mais Hassan Nasrallah ne l’entendait pas de cette oreille. À ses yeux, il s’agit d’une « internationalisation » du règlement de la question libanaise. Une option qu’il a catégoriquement rejetée lors de son discours de mardi soir, estimant qu’il s’agirait d’une « nouvelle occupation » et d’une porte ouverte à une « ingérence du monde entier » dans les affaires du Liban. Dans une volonté manifeste de ne pas donner une coloration confessionnelle à la querelle, Hassan Nasrallah a évité de citer nommément le patriarche Raï. Il a dans le même contexte réagi aux propos d’Anouar el-Khalil, député berryste de Hasbaya. Ce dernier avait estimé qu’en cas d’échec de la formation du gouvernement, il faudrait faire appel « au chapitre VII de la Charte des Nations unies », qui prévoit que le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives s’il constate « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression ». « Cela reviendrait à une déclaration de guerre », a répondu Hassan Nasrallah au député qui avait déjà fait marche arrière bien avant le discours du leader chiite.
« Image flagrante de l’occupation »
Mais cette tentative de noyer le poisson n’a pas été jugée suffisante par plusieurs partis chrétiens qui ont interprété le message que le numéro un du Hezbollah a voulu véhiculer en direction de Bkerké comme une tentative d’intimidation. Le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, n’a ainsi pas mâché ses mots.
« Personne n’a jamais menacé Bkerké », a-t-il tonné dans une interview accordée à Radio Liban libre, stigmatisant les étalages de force aux dépens du patriarche. « Bkerké a toujours été le rocher sur lequel repose le Liban et les Libanais », a encore dit le leader maronite, rappelant que « depuis un siècle, Bkerké n’a jamais déçu les Libanais ». Commentant l’appel de Mgr Raï à la tenue de la conférence internationale, Samir Geagea a tenu à souligner que « ce n’est qu’après avoir échoué à convaincre les responsables libanais, notamment le président de la République, le Parlement, et le Premier ministre sortant, de faire ce qu’ils doivent faire pour freiner l’effondrement du pays, que le patriarche a appelé à la conférence internationale ». « Mgr Raï partage aujourd’hui notre conviction selon laquelle rien n’est à attendre de la part de la majorité actuellement au pouvoir », a encore dit Samir Geagea.
En dépit de toutes leurs divergences sur le plan local, les Kataëb – perçus comme de farouches opposants au Hezbollah, et à son sponsor iranien, et entretenant de bons rapports avec Bkerké – convergent avec les FL sur le refus de ce genre « d’intimidations politiques », pour reprendre les termes d’un haut responsable du parti qui a requis l’anonymat. Selon lui, « cette querelle n’a aucun intérêt. En ce moment, il faudrait mettre un terme au blocage du processus gouvernemental, et tenir des élections législatives qui briseraient l’impasse actuelle », dit-il à L’Orient-Le Jour.
Le Mouvement de l’initiative nationale (regroupant plusieurs opposants au pouvoir en place, notamment Farès Souhaid, ancien député de Jbeil) a lui aussi rejeté les propos du patron du Hezbollah, adoptant un ton plus agressif. Dans un communiqué publié jeudi, le mouvement a stigmatisé le fait que Hassan Nasrallah interprète les propos de Mgr Raï comme un appel à « l’internationalisation de la crise du Liban ». « D’autant que Hassan Nasrallah et son parti sont l’image flagrante d’une occupation militaire, politique et sécuritaire du Liban », ajoute le texte en référence à l’Iran, parrain du Hezbollah.
Du côté de la majorité, le Courant patriotique libre ne commente pas officiellement les prises de positions de son allié stratégique à l’encontre du patriarche, une tâche dont le chef du parti, Gebran Bassil, pourrait se charger lors de sa conférence de presse prévue dimanche, selon un responsable du parti contacté par L’OLJ.
Le message était tellement implicite qu’il pouvait faire l’objet de plus d’une interprétation. Le refus de Hassan Nasrallah de toute « internationalisation » du règlement de la crise au Liban, lors de son dernier discours mardi soir, était-il une réponse à un député du bloc de son allié Nabih Berry ou une attaque camouflée dirigée contre le patriarche maronite, Béchara Raï ?...
commentaires (10)
Mr. Nasrallah ne veut pas une nouvelle occupation du Liban , et l'Iran que fait-il ???????
Eleni Caridopoulou
18 h 25, le 19 février 2021