Le temps de prière interreligieuse qui a marqué les obsèques de Lokman Slim, assassiné le 4 février courant, a fait polémique, en raison des circonstances troublantes qui entourent son assassinat et des accusations lancées contre le Hezbollah à ce sujet. Critiqué par les milieux proches de ce parti, le récitateur du récit du martyre de l’imam Hussein, petit-fils du Prophète (680), l’un des moments forts de ce temps de prière, a été forcé de désavouer sa démarche.
De son côté, l’archevêque de Beyrouth, Boulos Abdessater, a cru bon de préciser que le prêtre ayant conduit la prière, côté chrétien, ne fait pas partie de son diocèse et que lui-même n’a délégué personne à ces obsèques. Des fidèles ont en effet reproché aux organisateurs de la cérémonie d’avoir retenu un cantique traditionnel du vendredi saint, Ana el-Oum el-Hazina (un Mater Dolorosa oriental), où la Vierge manifeste sa douleur devant la crucifixion de Jésus, une mise à mort particulièrement cruelle où le supplicié, cloué sur le bois, meurt d’étouffement dans des souffrances indicibles. Choquée par ces deux rétractations, la ministre de la Justice Marie-Claude Najm y a vu hier une sorte de « perte d’identité » du « Liban-message ». Il faut lui concéder en effet qu’il y a, dans le cours des choses, de quoi troubler. Au passage, notons que ces deux récits entrent facilement en résonance. Ils disent la douleur d’une mort injustement infligée. Même s’ils sont théologiquement distincts, ils se superposent thématiquement, puisqu’ils parlent de la mort d’un « Juste », une des raisons pour lesquelles la famille de Lokman Slim, froidement et impitoyablement abattu, a pu les souhaiter. Pour quelle raison doit-on priver la famille d’un homme arraché si brutalerment à l’affection des siens, du réconconfort que peut amener, dans la foi, un cantique dans lequel s’exprime la compassion de la Vierge pour son fils ou le récit déchirant du martyre de l’imam Hussein ? Certes, la prière interreligieuse est encore trop rare et peut être gauche. Mais a-t-on le droit de dire pour autant que les deux invocations en question ont été profanées ? N’est-ce pas plutôt le signe que l’extrémisme a fini par l’emporter sur la modération ? Le vivre ensemble est-il désormais sur la défensive ?
Certains ont même été, par extrapolation, jusqu’à soulever sur les réseaux sociaux le bien-fondé du dialogue interreligieux, estimant que ce dialogue ne mène nulle part entre deux systèmes théologiques clos, autosuffisants et irréductibles l’un à l’autre.
Mais la difficulté du débat théologique interreligieux entraîne-t-elle automatiquement son inutilité ? Par ailleurs, est-ce pour rien que depuis Vatican II l’Église catholique cherche à promouvoir la fraternité humaine et le respect de toutes les traditions religieuses, en particulier de l’islam ?
Dans le document conciliaire Nostra Aetate (Notre âge), l’Église catholique dit regarder « avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes (…). Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».
C’est dans le cadre de cette même tradition d’estime que le pape François a signé à Abou Dhabi, en février 2019, avec le grand imam d’al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb, un » Document sur la fraternité humaine « dans lequel l’islam annonce une nouvelle ère de fraternité humaine où la citoyenneté remplacera la dhimmitude.
Commémorant le 4 février dernier la première Journée internationale de la fraternité humaine, instaurée par les Nations unies, François a appelé à s’engager chaque jour pour le dialogue interreligieux. C’est dans cet esprit qu’il insiste pour se rendre en Irak, du 5 au 8 mars prochain, où il rencontrera notamment à son arrivée le grand ayatollah Ali Sistani, l’une des plus hautes autorités du monde chiite.
« Merci à tous d’avoir parié sur la fraternité, car aujourd’hui la fraternité est la nouvelle frontière de l’humanité. Soit nous sommes frères, soit nous nous détruisons mutuellement », a dit le pape dans la visioconférence organisée le 4 février, sans doute en gardant à l’esprit la montée du terrorisme jihadiste dans le monde.
On a reproché au document sur la fraternité humaine d’avoir avancé que la diversité religieuse est « voulue par Dieu dans Sa sagesse », et d’avoir ainsi renoncé à singulariser le Christ et la foi chrétienne. Concession à l’islam? Non, mais accomodation à l’énigme de l’unité dans la diversité de la grande famille humaine telle que la décrit Nostra Aetate, et à la nécessité de se conduire fraternellement envers tous.
« Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, agitent profondément le cœur humain », affirme Nostra Aetate dans son préambule. Elle conclut en affirmant : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu. La relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont tellement liées que l’Écriture dit : “Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu” (1 Jn 4, 8). Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toute pratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple et peuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaine et les droits qui en découlent. »
la responsability d'un journal comme l'OLJ est de critiquer et d'eduquer., et non de repandre des mythes.
20 h 19, le 15 février 2021