Un portrait de Lokman Slim installé dans le jardin de la résidence familiale, lors de ses funérailles à Haret Hreik. Photo Mohammad Yassine
En dépit des tragiques circonstances, c’est une lumineuse image que gardent ceux qui ont assisté à la cérémonie funèbre interreligieuse organisée hier à 11 heures pour Lokman Slim. Le chercheur et essayiste, un chiite engagé en faveur de la laïcité et de la démocratie mais également un fervent opposant au Hezbollah, longtemps critiqué et menacé pour ses prises de position, a été retrouvé mort le 4 février au Liban-Sud, tué par plusieurs balles dans la tête et le dos.
La cérémonie s’est tenue dans le jardin de la villa Slim à Haret Hreik, entre les arbres, les fleurs, les allées et les colonnades décoratives d’une oasis de verdure tapissée de bouquets et de couronnes blanches, en plein cœur d’une banlieue sud bastion devenue jungle de béton. Pour l’occasion, des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises à l’entrée et tout autour de la demeure par les FSI et l’armée, et des chiens renifleurs se trouvaient à l’entrée de la demeure. C’est par centaines que, bravant les réticences liées à l’hégémonie politique exercée par le Hezbollah dans cette région, les proches et amis de l’intellectuel disparu ont tenu à lui rendre ce dernier hommage, avec l’étrange sentiment que sa mort l’a grandi, et le pressentiment que la force de sa parole et de sa mémoire aura raison du temps.
L’ambassadrice américaine Dorothy Shea était présente hier à Haret Hreik. Photo João Sousa
Hormis les dispositions de sécurité, les officiels libanais ont brillé par leur absence, comme ils l’ont fait après la tragédie du port. Par contre, quelques personnalités parlementaires comme Salim Sayegh, venu à la tête d’une délégation du parti Kataëb, Georges Okaïs (Forces libanaises), Nouhad Machnouk et Ahmad Fatfat (apparentés courant du Futur) et Michel Moawad ont tenu à être présents, ainsi que le bâtonnier de l’ordre des avocats, Melhem Khalaf.La cérémonie a été notamment marquée par la présence, au cœur de ce fief du Hezbollah, de l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea. Deux autres ambassadeurs étaient également présents : l’ambassadeur d’Allemagne, du fait de la nationalité de l’épouse de Lokman, Monika Borgmann, et l’ambassadrice de Suisse, une amie de longue date du couple. Mais au cœur de cette cérémonie se distinguaient surtout, rivalisant de force et de dignité dans la tristesse, la mère de Lokman Slim, Salma Merchak (une chrétienne de nationalité égyptienne), son épouse Monika, sa sœur Rasha al-Ameer et son frère Hadi Slim.
La cérémonie a été retransmise par deux stations de télévision et de nombreuses agences de presse locales et étrangères ont couvert l’événement. « Zéro peur », pouvait-on lire sur des panneaux accrochés dans le jardin, tandis que des écrans retransmettaient certains des documentaires tournés par Lokman Slim et son épouse sur la mémoire de la guerre, la prison syrienne de Palmyre ou le massacre de Sabra et Chatila.
La famille de Lokman Slim rassemblée pendant les obsèques. Photo João Sousa
Un héros libanais
Réunie en cercle autour d’une stèle posée sur la tombe portant un dessin du paraphe de Lokman Slim et assurant « Ici, au paradis, vit un héros du Liban », la foule des visiteurs, croyants et incroyants mélangés, a pu entendre tour à tour des prières chrétiennes conduites par le P. Georges Sadaka, et musulmanes, conduites par cheikh Mohammad Ali el-Hage el-Aamili. De ces invocations, celle du récit du martyre de Hussein à la bataille de Kerbala, et un cantique du vendredi saint à la Vierge Marie, Mère des Douleurs, se sont le mieux répandues, tout en soulevant des objections dans les milieux conservateurs des deux religions.Des paroles prononcées se détachent notamment celles de l’ambassadrice US Dorothy Shea, de l’ambassadeur d’Allemagne et de la mère de l’intellectuel assassiné. « J’ai l’honneur aujourd’hui d’être parmi vous, sa famille et ses amis, pour vous transmettre personnellement ma profonde sympathie. On vous a dérobé, on nous a dérobé à tous, un grand homme. C’est un acte barbare impardonnable et inacceptable. Aujourd’hui, je partage, en mon nom et au nom de l’ambassade des États-Unis que je représente, votre deuil (…). Lokman était un homme infatigable, inlassable dans son effort pour réconcilier le peuple libanais et promouvoir la liberté et l’inclusion. Ces efforts ne peuvent et ne seront pas supprimés par la peur et la violence. Comme lui, nous ne nous laisserons pas décourager. Nous poursuivrons ce qui est juste. Nous nous joindrons à vous pour demander des comptes à ceux qui ont commis ce crime ignoble, et nous ferons de notre mieux pour assurer la transmission de son message, y compris en poursuivant notre partenariat avec les organisations qu’il a fondées, et dont nous sommes fiers. »
L’ambassadeur d’Allemagne Andreas Kindl a, de son côté, rendu hommage au travail effectué par l’intellectuel et sa femme Monika pour la culture au Liban. « Nous n’oublierons pas le travail qu’il a effectué pour que l’on n’oublie pas les événements » de l’histoire du pays, a-t-il affirmé, en référence notamment au centre de documentation Umam, fondé par le couple. Et M. Kindl de réclamer une « enquête transparente ».
L’ambassadrice de Suisse Monika Kirgöz a quant à elle promis de « poursuivre le travail qu’il menait ». « Ce sont les Slim qui ont accueilli mes parents quand, pour la première fois, ils sont venus me rendre visite au Liban », a-t-elle révélé.
« Répudiez la violence, choisissez la raison »
De cette cérémonie, l’on se souviendra aussi et surtout des mots dignes et forts de la mère de Lokman Slim. « Continuez à vivre selon les principes défendus par Lokman Slim et selon lesquels il a vécu », a lancé Salma Merchak à l’intention de la jeunesse libanaise. Elle a invité les jeunes à privilégier « le dialogue et la raison » qui leur permettront de « fonder une nation », et appelé à « poursuivre la lutte » menée par son fils pour le pays, tout en les exhortant à répudier la violence. « La logique des armes n’a bénéficié en rien au pays », a-t-elle insisté.
Au micro de la chaîne MTV, le vice-président des Kataëb Salim Sayegh a réclamé aussi « la fin de l’impunité » pour les assassins et, répondant à une question relative à l’enquête sur le meurtre de Lokman Slim, il a déclaré qu’il aurait pu être assassiné en raison de ses déclarations sur l’explosion dans le port. Les deux députés démissionnaires Samy et Nadim Gemayel ont dénoncé ce meurtre.
Manifestation à Paris
Un rassemblement à la mémoire de Lokman Slim s’est également tenu hier à Paris en cours d’après-midi, place de la Sorbonne, où des dizaines de personnes se sont recueillies. Certaines d’entre elles portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Zéro peur ». Tout comme les panneaux accrochés dans le jardin de la victime.
Le Hezbollah réitère son appel à identifier les assassins
Réuni hier sous la présidence de son chef, le député Mohammad Raad, le groupe parlementaire du Hezbollah a jugé nécessaire que les assassins de Lokman Slim soient identifiés rapidement, critiquant dans le même temps « la campagne médiatique de diffamation » dont le parti estime avoir été l’objet après l’assassinat.
« La condamnation (il y a quelques jours, NDLR) par le Hezbollah de l’assassinat de l’intellectuel reflète la position du parti, qui renouvelle aujourd’hui sa demande afin que les services judiciaires et services de sécurité compétents travaillent pour connaître les auteurs du crime », indique le communiqué publié à l’issue de la réunion. « Nous considérons que les campagnes médiatiques menées à notre encontre et la diffamation sans preuve aucune et sans attendre le résultat de l’enquête doivent être condamnées, car cela vise à créer le chaos et la sédition et rend service gratuitement à l’ennemi israélien et à son patron américain », ajoute le texte.
commentaires (5)
Ils a un seul personnage qui manque à la liste des dénonciations de ce crime et ça n’est autre que ce président fort que nous n’avons jusqu’alors pas entendu condamner ce crime horrible qui a visé un homme oh combien patriotique et courageux chose qui manque à ce président muet à chaque fois qu’il y a un attentat visant les libanais et perd la parole et la retrouve aussitôt qu’un criminel du bord de ses alliés tombe. Très étrange pour un président libanais qui protège le pays et le prestige de l’état qu’il représente, soit dit en passant.
Sissi zayyat
12 h 11, le 12 février 2021