L’ambassadeur Moustapha Adib a pris l’avion hier pour rejoindre son poste à Berlin. Sa courte parenthèse en tant que président du Conseil désigné s’est donc refermée. Pourtant, beaucoup de choses se sont passées entre sa nomination, le 31 août, et sa renonciation à la mission, le 26 septembre. Si les Libanais n’ont pas eu le temps de bien le connaître – l’homme s’étant distingué par son immense discrétion –, c’est le président français Emmanuel Macron qui a, dimanche soir, eu les mots les plus forts et les plus significatifs pour parler de cette expérience et de l’opportunité ratée qu’elle a représentée pour le Liban.
Dans une première, tant au niveau de la forme (une conférence de presse entre le Liban et la France, tenue un dimanche soir et diffusée à partir de l’Élysée et de la Résidence des Pins) qu’à celui du contenu, notamment sur le plan de la franchise dans le ton et dans le choix des mots, Macron a donc expliqué aux téléspectateurs les raisons de l’échec de « la tentative Adib », tout en en faisant assumer la responsabilité à la classe politique en général et au tandem chiite, en particulier au Hezbollah. Il a toutefois relevé au passage des erreurs commises par l’ancien président du Conseil Saad Hariri.
Directement mises en cause par le président français, les deux formations chiites Amal et le Hezbollah n’ont pas voulu répondre officiellement. Le mouvement Amal s’est contenté de rappeler qu’il appuie l’initiative française, alors que le secrétaire général du Hezbollah doit s’exprimer ce soir. Mais les milieux proches des deux formations précisent que c’est la France elle-même qui a porté indirectement un coup à son initiative.
Selon ces mêmes milieux, l’initiative française avait eu pour point de départ et pour ligne directrice la volonté de la France d’aider le Liban dans une période particulièrement difficile. Il s’agissait donc de mettre de côté les dossiers conflictuels pour parer en quelque sorte au plus pressé, c’est-à-dire à la crise économique, financière et sociale, à travers le déclenchement de réformes structurelles et monétaires. Au cours de sa première visite le 6 août, Emmanuel Macron avait commencé par parler d’un gouvernement d’union nationale, destiné à regrouper des représentants de toutes les parties, dont le Hezbollah. Puis, à peine quelques heures plus tard, il s’est rétracté en parlant d’un gouvernement de mission, indépendant, mais ayant la bénédiction des différentes parties politiques, dont évidemment le Hezbollah et Amal, sans lesquels le gouvernement ne peut pas être formé, car cela poserait un problème au niveau du pacte national, les deux formations ayant obtenu les 27 sièges chiites au Parlement lors des dernières élections.
De même, au cours de sa seconde visite à Beyrouth le 1er septembre (au lendemain de la désignation de Moustapha Adib pour former le gouvernement) et dans le cadre de la réunion à la Résidence des Pins avec les pôles politiques, il n’a pas été question de rotation des portefeuilles, ni même d’ôter le portefeuille des Finances à la communauté chiite. Toutes les parties se sont effectivement engagées à faciliter la formation du gouvernement, mais il n’a jamais été question d’en exclure certaines.
Le premier reproche adressé donc par les milieux proches des deux formations à l’initiative française, c’est donc qu’elle n’a pas prévu un mécanisme clair d’exécution, permettant ainsi à certaines parties politiques de la détourner en leur faveur. C’est ainsi, toujours selon les mêmes milieux, que sous prétexte d’avoir choisi Moustapha Adib, les anciens présidents du Conseil se sont arrogé le droit de lui dicter son attitude, alors qu’ils auraient dû, comme les autres, rester en retrait. D’ailleurs, dans ses trois rencontres avec les deux émissaires chiites Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil, Moustapha Adib a répété à plusieurs reprises qu’il était obligé de se conformer à la volonté des quatre anciens présidents du Conseil, puisqu’ils l’avaient nommé. À ce sujet, les milieux précités rappellent que les deux formations ont accepté sa désignation (les anciens présidents du Conseil avaient envoyé une liste de trois noms dont deux inacceptables pour Amal et le Hezbollah), mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles acceptent d’être totalement marginalisées dans la formation du gouvernement. À la limite, elles auraient pu accepter de l’être, si c’était le cas de toutes les formations politiques. Mais le fait de découvrir qu’elles sont exclues, même du choix des ministres chiites, sans parler du portefeuille des Finances, alors que les anciens présidents du Conseil, eux, interviennent dans toutes les décisions de Moustapha Adib, leur a mis la puce à l’oreille. D’ailleurs, ce sujet avait été évoqué lors de la rencontre entre le responsable des relations extérieures au sein du Hezbollah, Ammar Moussaoui, et l’ambassadeur de France, Bruno Foucher. Mais en dépit de cet entretien, Adib n’avait pas modifié son style. Il a bien tenu deux réunions avec les émissaires chiites, mais sans répondre clairement à aucune de leurs questions. Amal et le Hezbollah ont alors commencé à flairer un piège qui leur serait ainsi tendu. Ils ont eu le sentiment de revivre la situation de 2005 : sous le choc de l’assassinat de Rafic Hariri, le courant du Futur et le PSP s’étaient alors empressés de conclure avec eux le fameux accord quadripartite pour arracher la majorité parlementaire et se retourner ensuite contre eux en les excluant du pouvoir. Les deux formations ont donc eu le sentiment qu’on cherchait une nouvelle fois à profiter d’une immense tragédie pour, dans un premier temps, les exclure du pouvoir exécutif, avant de se retourner contre elles.
Le deuxième reproche adressé par les deux formations chiites à l’initiative française, selon les mêmes milieux, était d’occulter les tentatives régionales et internationales de la faire échouer. Le président Macron l’a répété dimanche, les entraves seraient venues de l’intérieur libanais. Mais pour les milieux proches d’Amal et du Hezbollah, on ne peut pas occulter les visites américaines (de David Hale et David Schenker) qui ont suivi les deux visites de Macron au Liban, ni les déclarations quasi permanentes de responsables américains sur le Liban, comme s’il s’agissait de fixer des lignes rouges aux Français. De même, il y a eu le discours du roi Salmane d’Arabie saoudite devant l’Assemblée générale des Nations unies qui a farouchement critiqué le Hezbollah. Toutes ces démarches ont visé, aux yeux des formations chiites, à freiner l’initiative française en la poussant à exclure Amal et le Hezbollah, contrairement à ce qui avait été dit au départ.
Enfin, le dernier reproche, adressé cette fois au président français, c’est que dans sa conférence de presse, il a tenté de faire une distinction entre Amal et le Hezbollah, laissant même entendre que certains chiites se sont ralliés à la position du Hezbollah peut-être par peur des armes. C’est comme si la France cherchait à diviser la communauté chiite, comme avait cherché à le faire auparavant l’administration américaine à travers les sanctions imposées à l’adjoint du président de la Chambre, Ali Hassan Khalil...
Et maintenant ? Les milieux proches des formations chiites estiment qu’il est encore tout à fait possible de sauver l’initiative française. Mais cela passe par le respect des équilibres politiques et communautaires.
L’ambassadeur Moustapha Adib a pris l’avion hier pour rejoindre son poste à Berlin. Sa courte parenthèse en tant que président du Conseil désigné s’est donc refermée. Pourtant, beaucoup de choses se sont passées entre sa nomination, le 31 août, et sa renonciation à la mission, le 26 septembre. Si les Libanais n’ont pas eu le temps de bien le connaître – l’homme s’étant...
commentaires (18)
SH nous relate dans son article, intitulé trois reproches (officieux) d'Amal et du hezb, et cite pour étayer sa thèse tout le long de son écrit, "des milieux proches" de ce tandem. C'est très précis du point de vue journalistique ...
DJACK
06 h 16, le 30 septembre 2020