
À Tarik Jdidé, quartier majoritairement sunnite, les critiques virulentes du président français à l’encontre du Hezbollah ont été bien accueillies. Photo Z.A.
À Tarik Jdidé, quartier majoritairement sunnite de Beyrouth, nombreux sont ceux qui saluent les déclarations musclées d’Emmanuel Macron qui n’a pas ménagé dimanche les politiciens libanais. « Il nous faut quelqu’un comme le président français pour diriger ce pays. Il a raison dans tout ce qu’il a dit et il aurait dû être plus virulent », affirme un ancien militaire de 67 ans, assis sur le trottoir avec des hommes du quartier. « Le Hezbollah a bel et bien entravé la formation du gouvernement. D’ailleurs, il bloque tout dans le pays », ajoute-t-il. Dans une conférence de presse exclusivement consacrée au Liban, le président français avait fustigé la « trahison collective » de la classe dirigeante libanaise sur la question de la formation du gouvernement, mais il s’en était pris plus particulièrement au Hezbollah. « Nous voulons que M. Macron intervienne, renchérit Wissam Chkifi, 47 ans, un autre habitant du quartier. Personne ne pourra faire face au Hezbollah si la communauté internationale n’intervient pas. » « Le problème, c’est que le Hezbollah veut mettre la main sur le pays », dénonce ce père de quatre enfants sans emploi qui dit avoir tenté d’émigrer à plusieurs reprises.
Abdel Rahmane, un commerçant de 47 ans, se veut plus critique par rapport aux propos d’Emmanuel Macron. « Nous étions contents de voir le président français intervenir pour régler la situation. Mais il a fini par discuter avec le Hezbollah et accepter son arsenal militaire. Que Hassan Nasrallah nous annonce tout simplement que c’est lui qui gouverne », lance cet homme qui a toujours habité à Tarik Jdidé. « Personnellement, je suis contre le confessionnalisme en politique. Mon rêve est que le pays soit gouverné par une personne qui pourra nous offrir la sécurité et la justice, peu importe son appartenance religieuse. Mais je réalise que c’est utopique, dans un pays composé de tellement de communautés religieuses », soupire Abdel Rahmane.
À l’autre bout de la ville, place Sassine, à Achrafieh, Nabil Hanna, 60 ans, se repose à l’ombre d’un arbre, non loin du portrait de Bachir Gemayel. Il fait partie de ceux qui estiment que les critiques d’Emmanuel Macron à l’encontre du Hezbollah et de l’ensemble de la classe politique interviennent au bon moment. « Le président français a été honnête, mais les responsables lui ont menti. Ils devraient avoir honte, après tout ce qu’il a dit ! » lance-t-il. « Je suis pour la rotation des portefeuilles ministériels entre les différentes communautés », ajoute-t-il.
Un de ses amis, retraité de 78 ans, est visiblement excédé. « Des centaines de personnes ont péri dans les explosions de Beyrouth et des milliers ont été blessées et tout ce qui leur importe, c’est de s’attribuer tel ou tel portefeuille ! » s’exclame-t-il, poursuivant : « Emmanuel Macron est honnête. Il a décidé de venir en aide au Liban et je suis certain qu’il ne nous laissera pas tomber. »
Nicolas Azar, 40 ans, estime de son côté que « seul un miracle pourrait sortir le pays de la crise ». « Je soutiens les propos de M. Macron, mais les partis politiques contrôlent tout ici. Si seulement le peuple commençait à se détourner de ces leaders qui ne lui offrent rien », lance-t-il.
« Qu’il s’occupe de son propre pays »
Dans la banlieue sud, fief du Hezbollah, les déclarations du président français sont cependant loin de faire l’unanimité. La conférence de presse de M. Macron a mis en exergue les divisions au sein de la population, et accentué le clivage entre les partisans du Hezbollah et ceux qui estiment que l’initiative française est la seule issue possible pour un pays qui s’enfonce de jour en jour. Dans le quartier de Chiyah, un vendeur de fruits ambulant commente les dernières déclarations d’Emmanuel Macron avec son épouse, venue lui apporter son déjeuner composé de riz et de haricots. Tous deux soutiennent le Hezbollah et dénoncent une machination visant le parti chiite. « Il s’agit d’un complot ourdi par les Américains, les Israéliens et les Français pour désarmer le Hezbollah. Ils ne veulent pas que les chiites puissent apposer une signature aux côtés des maronites et des sunnites (s’ils obtiennent le ministère des Finances) », estime cet homme de 52 ans, sous le couvert de l’anonymat. « Macron est ridicule. Il pense qu’il peut s’ingérer dans nos affaires et nous donner des ordres. Qu’il s’occupe de son propre pays. Il a dépassé les limites et il s’est ridiculisé », renchérit sa femme, âgée de 48 ans. Le couple, originaire de la région de Marjeyoun, dans le Sud, a trois enfants, dont deux sont des combattants du parti chiite. « Mes enfants ont déjà fait la guerre en Syrie. Lorsqu’on leur demande de partir, ils doivent le faire. Mais ils sont payés en dollars. Je n’ai donc pas de soucis à me faire. Je vends des fruits uniquement pour couvrir quelques dépenses basiques », raconte le marchand de primeurs. Sa femme, elle, se dit convaincue que « la solution à l’impasse, c’est que le Hezbollah prenne le pouvoir ». « Le Hezbollah a toujours pris la défense de ceux qui souffraient, quelles que soient leurs appartenances. C’est grâce à lui que nous avons échappé à Daech (État islamique). Ce n’est pas lui qui a appauvri le pays », martèle-t-elle.
commentaires (8)
« Il nous faut quelqu’un comme Macron pour diriger le Liban » ! On vous le donne bien volontiers.
Mathivet Roger
03 h 10, le 30 septembre 2020