Le tandem chiite qui essaie de conférer une dimension double, constitutionnelle et institutionnelle, à son exigence de conserver le portefeuille des Finances, au nom d’un équilibre politico-communautaire qu’il s’efforce d’officialiser, est tombé dans son propre piège à partir du moment où son approche a permis à ceux qui la contestent de le combattre avec ses propres armes.
Dans une homélie qu’il a voulue ciblée et sans équivoque, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, s’est ainsi employé hier à déconstruire l’argumentation chiite qui continue de bloquer la formation du gouvernement. Il a encouragé le Premier ministre désigné Moustapha Adib à aller de l’avant dans la mise en place d’un cabinet restreint composé de personnalités indépendantes « et à laisser le jeu parlementaire suivre son cours », conformément à la Constitution.
Il a dans le même temps pris soin de laisser la porte ouverte à un débat futur autour d’une « révision du système libanais, et de la répartition des prérogatives et des rôles ». Un débat certes réclamé avec insistance depuis quelque temps par la communauté chiite, mais qui ne peut selon le patriarche être engagé que lorsque deux conditions principales – rejetées jusque-là par Amal et le Hezbollah – sont réunies : consacrer la neutralité du Liban, et la centralisation du port et de l’usage des armes aux mains de l’État.
C’est donc un cocktail de notions explosives, puisque taboues du point de vue de la communauté chiite, que le patriarche maronite a développées dans l’homélie qu’il a prononcée durant une messe en l’église Notre-Dame d’Ilij à Mayfouk (caza de Jbeil) à la mémoire des « martyrs de la résistance libanaise ». La riposte chiite n’a pas tardé, et sur les réseaux sociaux et les internautes se sont déchaînés contre le patriarche sur un ton qui classe le débat dans un contexte exclusivement communautaire et qui occulte la dimension constitutionnelle défendue par ce dernier.
« En quelle qualité une communauté réclame un ministère déterminé, comme s’il lui appartenait, et bloque la formation du gouvernement pour obtenir gain de cause, provoquant de la sorte une paralysie politique et des dommages aux niveaux économique, financier et social ? Qu’en est-il de l’accord des forces politiques autour des trois volets relatifs aux réformes : un gouvernement restreint de sauvetage, des ministres indépendants et une rotation au niveau des portefeuilles ? » s’est interrogé le patriarche avant de rappeler l’article 95 de la Constitution qui « prévoit seulement la parité entre chrétiens et musulmans pour les postes administratifs de première catégorie ». « Cet article a-t-il été amendé en catimini ou faut-il que la volonté de certains soit imposée par la force ? Ceci est inacceptable dans notre système libanais. (…) Nous refusons les monopoles. Ce refus repose sur des considérations constitutionnelles et non pas communautaires. Il n’est dirigé contre aucune communauté. Il est motivé par une hérésie qui porte atteinte au principe de l’égalité (…) et au partenariat national (….) dans le but de consacrer l’hégémonie d’une partie qui fait valoir sa puissance face à un État privé de son pouvoir de décision nationale et de sa souveraineté. »
S’adressant ensuite au Premier ministre désigné, le chef de l’Église maronite l’a appelé à « se conformer à la Constitution et à former le gouvernement attendu par les Libanais et la communauté internationale ». « Il ne faut pas se plier aux conditions posées, retarder la naissance du cabinet ou se récuser. (…) En dépit de toutes les anomalies constatées, le système libanais reste démocratique et parlementaire (…). Formez votre équipe et laissez le jeu parlementaire suivre son cours. Vous n’êtes pas seul. »
« Nous ne sommes pas disposés à reconsidérer notre présence et notre système à chaque fois qu’il faut former un gouvernement ou à accepter des concessions au détriment des spécificités libanaises, du pacte national et de la démocratie. Nous ne sommes pas non plus disposés à débattre d’une éventuelle modification du système avant que toutes les composantes du pays ne retournent dans le giron de l’État et ne renoncent à leurs projets privés », a martelé Mgr Raï.
Poursuivant sur la même lancée, il a affirmé : « Pas d’amendement du système en présence de mini-États ou républiques, pour reprendre les termes du président. Quelle en est l’utilité avec la présence hégémonique des armes illégales, libanaises et autres ? Une révision du système libanais, et de la répartition des prérogatives et des rôles s’opèrent une fois la neutralité du Liban consacrée dans sa triple dimension : tenir le pays à l’écart des conflits régionaux et internationaux, permettre à l’État d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national, avoir le monopole des armes et une politique étrangère, et laisser le pays assumer son rôle au sein de la communauté arabe. »
Bien que visant directement le tandem Amal-Hezbollah, et plus particulièrement le second, c’est le Conseil supérieur chiite, la plus haute autorité religieuse de la communauté, qui a réagi en limitant cependant sa réponse au seul volet relatif au ministère des Finances.
« Provocation confessionnelle »
Dans un communiqué publié dans l’après-midi, le CSC a « dénoncé les propos d’une grande autorité religieuse contre la communauté chiite et la dégradation de son discours empreint de provocation confessionnelle et qui déforme les vérités en dénigrant une communauté dont les jeunes ont libéré le Liban » de l’occupation israélienne. « Ceux qui se sont assujettis à l’étranger au service d’objectifs douteux préjudiciables au pays continuent de leurrer les Libanais. (…) Si nous demandons que la communauté chiite conserve le ministère des Finances, c’est par souci de préserver le partenariat national dans le cadre de l’exécutif. L’entente entre les groupes parlementaires devrait s’étendre à la formation du cabinet », selon le CSC qui s’est dit étonné du « silence qui avait marqué la présence d’un gouvernement amputé de sa composante chiite », en allusion au gouvernement de Fouad Siniora (2005-2009). Il a mis en garde contre « la politique d’exclusion, d’isolement et de marginalisation contre laquelle l’imam Moussa Sadr mettait en garde » en estimant qu’elle « ne construit pas une nation et n’édifie pas un État, mais porte un coup au tissu national et ébranle l’unité du pays ».
Après avoir plaidé encore une fois pour l’abolition du confessionnalisme politique, le CSC s’est dit consterné « parce qu’une classe politique corrompue qui avait misé sur la destruction de la résistance impose aujourd’hui ses conditions », en allusion aux anciens chefs de gouvernement dont le discours rejoint celui du patriarche Raï. Estimant qu’elle est « responsable de l’effondrement économique du pays à cause du clientélisme qu’elle pratiquait, de ses marchés, du gaspillage des deniers publics et de la violation de la Constitution », il l’a accusée de d’essayer d’imposer ses conditions et de se présenter comme une planche de salut pour le pays.
Plusieurs raisons seraient derrière cette réaction incontestablement bien étudiée. Sa violence révèle à quel point le Hezbollah – qui, depuis que le patriarche a commencé à mener campagne pour la neutralité du Liban, se fait un point d’honneur de répondre par le biais des dignitaires religieux chiites – est importuné par le discours de Bkerké. Son fractionnement montre que la formation pro-iranienne continue de vouloir éviter un débat sur les sujets de fond, fondamentaux pour un redressement du Liban et pour lesquels elle n’a d’autre argument que celui du sempiternel épouvantail israélien.
Si le discours patriarcal importune le Hezbollah, c’est notamment à cause de son double impact : il confère une autorité morale au courant politique qui continue de militer contre la vampirisation de l’État libanais par le Hezbollah, s’inscrivant ainsi dans le prolongement de la politique suivie par son prédécesseur, Nasrallah Sfeir ; il retire aussi le dossier gouvernemental du bazar habituel du partage des parts dans lequel le tandem chiite s’efforce de le plonger et contribue ainsi à l’isolement du Hezbollah, qui ne peut même plus compter sur son allié chrétien, le CPL, pour défendre sa cause.
commentaires (9)
AH OUI ? ET QUI VA L'APPUYER ? LES 17 OCTOBRISTES AMPUTES DES MASSES SUNNITO CHIIT0 DRUZO CHRETIENNO-CPELLISTES ?
Gaby SIOUFI
09 h 48, le 25 septembre 2020