
Les quatre ex-Premiers ministres réunis à la Maison du Centre le 22 juin 2020. Photo d’archives/ Dalati et Nohra
Au-delà du bras de fer sunnito-chiite qui se joue au niveau de la formation du gouvernement, l’isolement du tandem chiite, en particulier du Hezbollah, s’accentue à mesure que l’on tarde à former la nouvelle équipe ministérielle. Ce ne sont plus uniquement les adversaires du parti chiite qui critiquent son attitude en matière de formation du cabinet. Ses alliés le font aussi. Sans que, pour l’instant, la position du tandem concerné n’en soit modifiée.
Trois semaines après la nomination de Moustapha Adib pour former un gouvernement de « mission » tel que voulu par le président français, Emmanuel Macron, le tandem chiite n’en finit pas de lui compliquer la tâche en insistant pour conserver le portefeuille des Finances. C’est ce qui explique l’immobilisme des tractations gouvernementales. Et c’est ce qui a poussé le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à s’en prendre avec virulence hier aux formations chiites, les accusant de « paralyser » le pays.
Dans son homélie dominicale, le chef de l’Église maronite s’est posé la question de savoir « en quelle qualité une communauté réclame un ministère déterminé, comme s’il lui appartenait, et bloque la formation du gouvernement pour obtenir gain de cause, provoquant de la sorte une paralysie politique et des dommages aux niveaux économique, financier et social ».
Réitérant son appui au Premier ministre désigné, Mgr Raï l’a appelé à « se conformer à la Constitution et à former le gouvernement attendu par les Libanais et la communauté internationale ». « Il ne faut pas se plier aux conditions posées, retarder la naissance du cabinet ou se récuser. (…) En dépit de toutes les anomalies constatées, le système libanais reste démocratique et parlementaire (…). Formez votre équipe et laissez le jeu parlementaire prendre son cours. Vous n’êtes pas seul. »
Ces propos surviennent alors qu’il est depuis quelques jours question d’une récusation du Premier ministre désigné face au nœud constitué par le ministère des Finances. Il semble d’autre part que la cellule de crise française chargée du dossier libanais l’ait aussi poussé à patienter. La position chiite, soutenue par les autorités religieuses de cette communauté, dérange de plus en plus le Courant patriotique libre, allié traditionnel du Hezbollah. À l’heure où les rapports entre les deux partis passent par de sérieuses secousses liées à la gestion des dossiers locaux, le comité politique du CPL s’en est pris samedi sans les nommer aux deux formations chiites. Dans un communiqué, le comité a exprimé son refus de voir « une partie imposer son contreseing aux Libanais d’une manière étrangère à la Constitution et aux coutumes en vigueur ». Le chef du CPL, Gebran Bassil, avait, lors de sa dernière conférence de presse, le 13 septembre, mis en garde contre les conséquences d’une telle démarche qui pourrait selon lui mener au système de la répartition par tiers (tiers chrétien, tiers sunnite et tiers chiite) en lieu et place de la parité islamo-chrétienne consacrée par l’accord de Taëf. Pour parer à ce problème, le CPL a proposé d’attribuer les portefeuilles régaliens aux alaouites, druzes, Arméniens et minorités chrétiennes.
Comme pour faire bonne mesure, le CPL s’en est pris également aux anciens Premiers ministres sunnites, qu’il a accusés, tout comme le Hezbollah, de se cacher derrière M. Adib et « d’imposer aux Libanais les noms de tous les ministrables », non sans rappeler que le camp en question ne dispose pas d’une majorité parlementaire. Il s’agit là d’une critique adressée à la détermination du Premier ministre, appuyé par ses prédécesseurs, à choisir les membres de son équipe, contrairement à la volonté du 8 Mars. Celui-ci presse pour que les formations politiques choisissent leurs représentants au sein du cabinet.
Mais les anciens Premiers ministres n’en démordent pas. Pour eux, il revient au chef du gouvernement désigné de former son équipe et d’en choisir les membres. Une position qu’ils ont réitérée au lendemain d’une réunion tenue vendredi à la Maison du Centre. « Nous incitons le chef du gouvernement désigné à s’attacher à ses prérogatives pour mettre sur pied une équipe ministérielle le plus rapidement possible, en concertation avec le président de la République et conformément aux règles constitutionnelles », peut-on lire dans un communiqué publié samedi.
La pression internationale
Face à cette impasse, Michel Aoun ne compte pas rester les bras croisés. Selon notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, il s’exprimerait aujourd’hui autour de l’impasse gouvernementale. On ne sait pas, en revanche, si M. Adib doit se rendre ce lundi au palais présidentiel pour annoncer sa récusation. Une des solutions envisagées à ce stade serait de confier le ministère des Finances à un chrétien relevant du bloc du président de la Chambre, Nabih Berry.
D’autre part, le président Aoun avait proposé samedi à Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, qu’il avait reçu à Baabda, de nommer lui-même un ministre chrétien aux Finances, dont il se porterait garant. Mais M. Raad s’était montré intraitable.
En attendant d’y voir plus clair, la pression internationale est maintenue. Le Groupe international de soutien (GIS) au Liban a appelé samedi les autorités libanaises à former « rapidement un gouvernement efficace et crédible, capable de mener des réformes essentielles pour répondre aux défis auxquels fait face le Liban et aux aspirations et besoins légitimes du peuple libanais ». « Les responsables libanais doivent agir pour répondre aux différents besoins du Liban, a plaidé le GIS dans un communiqué. Ils doivent le faire de manière décisive dans un esprit de responsabilité, en donnant la priorité à l’intérêt national. »
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18 h 22, le 21 septembre 2020