Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Que valent les promesses de Aoun sur l’abolition du confessionnalisme ?

Dans son discours prononcé à l’occasion du centenaire de la proclamation de l’État du Grand Liban par le général Henri Gouraud, le président de la République a réclamé que le Liban soit « déclaré État laïc » et a promis l’adoption d’une formule « acceptée par tous et pouvant être mise en place à travers des amendements constitutionnels appropriés ».

Dans un État où aucun parti ne développe de réel programme politique et où les fractures politiques sont comblées par des intrigues présidant à la conclusion de compromissions affublées du titre d’« entente nationale », il est plus que légitime de s’interroger sur la valeur d’une telle annonce.

Depuis son retour d’exil, en avril 2005, Michel Aoun s’est taillé une place de zaïm chrétien de premier plan. Lors des trois élections parlementaires qui ont eu lieu depuis (2005, 2009 et 2018), il s’est intégré dans le champ politique libanais en présentant des candidats de son parti à tous les sièges réservés aux communautés chrétiennes, mais en s’abstenant de concourir aux sièges réservés aux autres communautés. À aucun moment n’a-t-il donc tenté de former un groupe parlementaire multiconfessionnel – malgré les maigres exceptions que sont Abbas Hachem (député chiite de Jbeil entre 2005 et 2018) et l’émir Talal Arslane (membre du groupe parlementaire du Liban fort depuis 2018).

Par la suite, et par le truchement du Courant patriotique libre, Michel Aoun a contribué à la mise en place d’une politique de « réservation » de sièges gouvernementaux par certaines communautés. Cette pratique est en contradiction avec les principes de notre système politique que sont la démocratie parlementaire et le libéralisme politique (paragraphes C, D et E du préambule de la Constitution libanaise). Il a de même, et à chaque fois sous prétexte de « préserver les droits des chrétiens » (sic), bloqué des nominations administratives, judiciaires, diplomatiques ou militaires – se souvient-on seulement du psychodrame politique qu’a été la succession du général Jean Kahwagi à la tête de l’armée ? –, ou encouragé le partage des postes concernés entre les partis politico-communautaires.

Non content d’endosser le manteau du zaïm communautaire quand bien même son objectif déclaré était, avant 2005, d’en finir avec cette institution féodale surannée, Michel Aoun a, à partir de 2005, activement participé à l’exacerbation du confessionnalisme et à sa légitimation comme seul principe de la politique libanaise.

Mentionnons également, à titre d’exemple, l’accord de Meerab conclu « pour les chrétiens » en janvier 2016 entre le CPL et les Forces Libanaises, ou les déclarations réitérées des députés et ministres du CPL, qui mobilisent régulièrement leur électorat par des propos provocateurs au possible. Les incendies, selon le député Mario Aoun, ne ravageraient « que les villages chrétiens » (octobre 2019) ; tandis que pour le député et ancien ministre Nicolas Sehnaoui, Hiroshima et Nagasaki auraient été bombardées « parce qu’elles abritaient d’importantes communautés chrétiennes » (août 2020), l’allusion à l’explosion du port de Beyrouth étant claire. Et que dire des multiples épreuves de force engagées pour assurer à Gebran Bassil une entrée au gouvernement puis le poste de ministre des Affaires étrangères ?

Sur le plan de la politique étrangère, Michel Aoun s’est fait le chantre de l’alliance des minorités au Proche-Orient, prônant une politique allant à l’opposé de la vocation historique du Liban et conduisant ce dernier à l’isolement et les communautés chrétiennes au repli sur soi.

Mais le plus grave reste à venir, sans même s’aventurer du côté de la couverture accordée aux équipées géopolitico-confessionnelles du Hezbollah, tant au Liban qu’à l’étranger.

Michel Aoun et le CPL ont milité en faveur de la proposition de loi électorale dite « orthodoxe » visant à faire élire par chaque communauté les députés la représentant, soutenant l’idée qu’un député chrétien élu par une majorité de voix émises par des citoyens musulmans était « mal élu » (et vice versa). Ce projet violait l’article 27 de la Constitution ainsi que l’esprit du pacte national de 1943. Prévoyant le respect de la parité islamo-chrétienne et bien qu’assurant une présence parlementaire à toutes les communautés, ce pacte n’en comporte pas moins le principe de la démocratie parlementaire, que la représentation des chrétiens par les seuls chrétiens et des musulmans par les seuls musulmans viendrait détruire. L’adoption de cette loi aurait encore éloigné le Liban du régime démocratique parlementaire en remplaçant définitivement ce dernier par le principe confessionnel.

Enfin, Michel Aoun a, avec l’appui du Hezbollah et de leurs alliés communs, empêché le Parlement libanais de procéder à l’élection d’un président de la République entre le 24 mai 2014 et le 31 octobre 2016, soit pour une durée totale de huit cent quatre-vingt-onze jours. Cette manœuvre s’est faite en violation de l’esprit de la Constitution et du principe de la bonne foi, d’une part – nul ne pouvant de bonne foi comprendre l’alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution libanaise comme signifiant qu’un groupe de parlementaires est autorisé à boycotter l’élection présidentielle en vue d’imposer son candidat –, et en contradiction avec tout principe démocratique, d’autre part – que l’on se souvienne de la rhétorique du CPL et du Hezbollah à l’époque de la vacance présidentielle : « Ce sera Michel Aoun ou personne. » L’argument invoqué pour justifier cette manœuvre était, une fois de plus, « la défense du droit des chrétiens », qui auraient le droit à ce que le « plus fort parmi eux » (entendre Michel Aoun) occupe le poste de président de la République.

Il est important de noter que les autres partis politiques ne font guère mieux que le CPL de Michel Aoun. De par le poste qu’il occupe aujourd’hui, ce dernier prête particulièrement le flanc à la critique ; le même blâme peut toutefois être adressé aux autres acteurs politiques traditionnels.

La véritable tragédie est que le confessionnalisme exacerbé n’est qu’un symptôme de maux plus profonds, tels que le non-respect des règles constitutionnelles, l’absence d’État de droit, la corruption ou le clientélisme. Initialement prévu comme une simple répartition de certains postes entre les communautés afin de préserver la diversité qui fait la richesse du Liban, le confessionnalisme a été exploité par chacun de nos partis politiques. Il a donc acquis une importance démesurée, au point de devenir la règle fondamentale régissant toute la politique libanaise. Sa suppression ou sa limitation ne résoudrait rien à elle seule.

L’on remarquera, suite à cette peu glorieuse énumération, que le slogan « Celui qui l’a brisé ne peut le réparer », brandi par le mouvement de contestation, prend tout son sens : le président de la République (et les autres leaders politiques) s’étant appuyé sur – entre autres – le confessionnalisme afin d’assouvir ses ambitions politiques, il est inimaginable qu’il puisse aujourd’hui se résoudre à détruire les piliers de sa puissance et le socle de son influence. Ses propos ne sont donc qu’exercice de style et communication politique.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Dans son discours prononcé à l’occasion du centenaire de la proclamation de l’État du Grand Liban par le général Henri Gouraud, le président de la République a réclamé que le Liban soit « déclaré État laïc » et a promis l’adoption d’une formule « acceptée par tous et pouvant être mise en place à travers des amendements constitutionnels...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut