Le gouvernement de Hassane Diab, dont il semble qu’il restera en place tant qu’un accord politique global n’aura pas été conclu sur la composition et l’agenda de son successeur, suscite « la frustration » et la « déception » de la communauté internationale, qui a déjà exprimé plus ou moins diplomatiquement des réserves sur le retard qu’il prend pour lancer le chantier de réformes économiques promises, et laissé entendre qu’elle ne verrait pas d’inconvénient à l’avènement d’une nouvelle équipe ministérielle. Non seulement le gouvernement n’a toujours pas mis sur les rails les réformes exigées par les bailleurs de fonds, mais son chef a créé la surprise jeudi en s’en prenant à des pays occidentaux et arabes et à leurs représentants diplomatiques au Liban, notamment les ambassadeurs des États-Unis et de l’Arabie saoudite, Dorothy Shea et Walid Boukhari, mais sans les nommer, leur faisant assumer la détérioration de la situation dans le pays et leur reprochant de s’immiscer dans les affaires intérieures du pays, sur un ton emprunté à celui du Hezbollah. « Nous nous sommes longtemps abstenus de commenter des comportements diplomatiques qui vont à l’encontre des us et coutumes internationaux. Mais ces pratiques ont franchi toutes les habitudes en matière de relations internationales », a martelé Hassane Diab à l’ouverture du Conseil des ministres, jeudi. Une allusion claire à Mme Shea qui, quelques jours plus tôt, s’était déchaînée contre le Hezbollah. Il s’agit aussi d’une pique en direction de Walid Boukhari qui a mené une série d’entretiens avec plusieurs personnalités politiques et diplomatiques hostiles au pouvoir en place. Ce nouveau discours de M. Diab a été mal accueilli dans des milieux diplomatiques occidentaux où l’on a fait part à L’Orient-Le Jour de grandes « frustrations et déceptions », laissant entendre que le Hezbollah aurait pu exercer des pressions sur le Premier ministre pour qu’il s’en prenne à la diplomatie arabe et occidentale.
Dans les mêmes milieux, on souligne sans détour qu’avec un tel discours, on voit très mal la communauté internationale débloquer les aides financières attendues par le Liban pour sortir de la crise dans laquelle il s’enfonce. On critique surtout la nouvelle approche, pour le peu inhabituelle, du Premier ministre. Dans ces milieux, on souligne que le problème ne devrait pas être abordé comme opposant la personne du Premier ministre à la communauté internationale, parce qu’il ne se pose pas à ce niveau, mais au niveau d’une action qui se fait toujours attendre. Il s’agit plus particulièrement pour le gouvernement d’opter pour une nouvelle méthode de travail axée sur les réformes et la relance de l’économie, au lieu de donner l’impression qu’il se soumet à des pressions exercées sur lui par les alliés de l’Iran, estime-t-on dans ces milieux.
Cette frustration a d’ailleurs été clairement exprimée par Jan Kubis, coordinateur spécial des Nations unies au Liban. Sur son compte Twitter, il s’est adressé hier au pouvoir en place en ces termes : « Ne comptez pas sur une patience sans limite des Libanais. Ils en ont assez de l’absence totale de réformes, à commencer par le secteur de l’électricité, mais aussi de l’absence de vision unifiée et d’efforts pour faire face à l’effondrement et à la misère croissante. » « Quel avenir préparez-vous pour ce beau et unique pays au peuple persévérant ? » s’est encore interrogé le diplomate onusien. Cette nouvelle flèche décochée en direction de l’équipe Diab intervient deux semaines après une conférence de presse tenue le 24 juin dernier par le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, qui avait annoncé que Washington était prêt à venir en aide à tout gouvernement libanais qui opérerait « des réformes réelles » et mènerait des actions qui ne le rendent pas « otage du Hezbollah ».
Retour à la case départ ?
Critiqué pour son inaction, le gouvernement est-il capable de modifier son approche ? La question se pose parce qu’il semble qu’en l’absence encore d’un consensus politique sur la nature de l’équipe qui lui succédera, il est appelé à rester en place. Si une véritable dynamique politique a été engagée jeudi, dans une tentative de paver la voie à un éventuel changement du gouvernement, il semble qu’aujourd’hui, tout le monde semble avoir mis de l’eau dans son vin. Et pour cause : outre le fait que Hassane Diab n’entend pas jeter l’éponge, et alors que Saad Hariri a assoupli sa position en évoquant « des conditions pour revenir à la présidence du Conseil », c’est le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui tenterait de faire barrage à toute désignation de M. Hariri à la tête d’une (éventuelle) nouvelle équipe ministérielle. Au lendemain de sa réunion avec le chef du législatif, Nabih Berry, M. Bassil a posté un tweet particulièrement virulent, consacrant la rupture totale avec le leader du Futur. « J’avais déjà dit, le 14 février 2019, que le chemin (d’un redressement) sera long et difficile. Et puis, nous n’avons pas fait de compromis sur la corruption et nous ne le ferons pas. Nous concluons des ententes. Le compromis présidentiel est bel et bien terminé. Nous en avons payé un prix assez lourd. L’important, à l’heure actuelle, est que le gouvernement opère les réformes que le Parlement voterait et que le gouverneur (de la Banque centrale) contrôle (la flambée du) le dollar. »
Tout comme M. Bassil, le Hezbollah semble hostile au départ de Hassane Diab et de plus en plus attaché au gouvernement actuel, d’autant qu’il n’est pas assuré des résultats que donnerait une entente sur une nouvelle équipe ministérielle. Ce que la formation chiite redoute, souligne-t-on dans certains milieux politiques proches de Aïn el-Tiné, c’est le vide, si jamais Hassane Diab est poussé vers la sortie. Contactée par L’OLJ, une source proche du parti de Hassan Nasrallah assure que Hassane Diab ne démissionnera pas et que son équipe pourrait être maintenue jusqu’aux législatives de 2022. Tout ce qui s’est passé récemment n’est autre qu’une « façon de faire tomber le gouvernement dans la rue, pour donner l’impression qu’il a échoué, alors qu’il fait face aux sanctions américaines et aux difficiles négociations avec le Fonds monétaire international », ajoute la source.
Le durcissement de ton de la part du Hezbollah et de son allié chrétien est à même de remettre les compteurs à zéro, d’autant que personne ne veut s’aventurer dans une démission de Hassane Diab avant d’en assurer le substitut. Mais le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, ne lâche pas prise. Il précise à L’OLJ que la priorité à l’heure actuelle « est d’œuvrer pour des retrouvailles politiques avant de penser à la prochaine phase ». Comprendre, pour poursuivre les tractations politiques enclenchées jeudi.
commentaires (20)
"... Gebran Bassil fait barrage à un retour de Saad Hariri au Sérail ..." . C'est bien. Continuez à vous mettre des bâtons dans les trous. De toutes façons c'est tout ce que vous savez faire...
Gros Gnon
13 h 36, le 05 juillet 2020