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Nos Lecteurs ont la Parole

La thèse racontée à mon grand-père

Il paraît que dans la vie d’un homme, il y a un temps d’avant et un temps d’après.

Il paraît aussi que ce qui sépare les deux temps est un tournant qui laisse des traces souvent douloureuses et parfois indélébiles. Je peux le confirmer avec beaucoup d’amertume ; pour moi, ce tournant a été le jour où j’ai appris que tu n’étais plus de ce monde au cours de ma première année de thèse.

Je voudrais donc t’écrire tout ce que j’ai appris au cours de ma thèse et que je n’ai pas pu te raconter. Peut-être pas tout, j’en oublierai sûrement. Il y a eu tant de leçons.

Ce qui est déroutant au départ, c’est que contrairement à une licence ou un master, il n’y a pas de doctorat facile ou difficile. Chaque thèse est unique, et personne ne peut comprendre réellement ce que ressent le doctorant. Ce qui est certes commun à toutes les thèses, c’est le dilemme intérieur qui hante le doctorant et qui lui fait sans cesse se demander s’il en a fait trop ou pas assez, et la triste solitude qui accompagne tous les faux pas qu’on fait en thèse, et crois-moi, on en fait.

Décidément, un beau reflet de la vie humaine, cette thèse.

Et puis, à mesure qu’on avance dans les travaux, on s’habitue au défi, on prend goût à la frustration, et au bout d’un certain temps, on commence presque à en rire. La persévérance est le pain de vie de toute thèse.

En thèse, nul besoin de trouver les bonnes réponses du moment que l’on pose les bonnes questions. Mais on est tellement épris par le détail scientifique, par les réalisations expérimentales, par la course à la publication, qu’on en oublie l’essence même de la recherche : élever le standard de la vie humaine future et construire l’avenir de nos sociétés. Ces mots semblent si grands devant la petitesse d’une simulation qui ne donne pas les bons résultats ou d’un prototype défaillant. Mais c’est ainsi, l’avenir se construit souvent dans l’échec et à petits pas.

Tu vois, au-delà des maths, de la physique ou de l’ingénierie, la thèse est une belle leçon de modestie, de persévérance et de résilience. Des qualités que tu possédais admirablement. Tu avais raison : il m’aura fallu huit ans d’études, une thèse, quelques déceptions et quelques autres petits succès pour comprendre que toute personne a quelques leçons à nous prodiguer et qu’il suffit de rester humbles pour les entendre.

Et dans quelque temps, quelques années, quelques mois, quelques semaines peut-être, je ne serai plus de ce monde, mais ce manuscrit, lui, sera toujours. Car si la nature humaine veut que l’on s’arrête de vivre un jour, la science, elle, ne s’arrête jamais.

Et puis un jour peut-être, je pourrais te rejoindre là où tu es ; tu me raconterais alors, à ton tour, tout ce que tu as fait, toi, pendant que moi, je faisais ma thèse.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Il paraît que dans la vie d’un homme, il y a un temps d’avant et un temps d’après. Il paraît aussi que ce qui sépare les deux temps est un tournant qui laisse des traces souvent douloureuses et parfois indélébiles. Je peux le confirmer avec beaucoup d’amertume ; pour moi, ce tournant a été le jour où j’ai appris que tu n’étais plus de ce monde au cours de ma première année...

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