Mercredi dernier, les agents de change mettaient un terme à plus d’un mois de grève avec l’objectif de tenter d’aligner en quelques jours le taux de change livre/dollar réel sur le plafond fixé par la Banque du Liban (BDL). Une initiative louable sur le papier mais qui semble vouée à l’échec, à en juger par l’anarchie qui s’installe de plus en plus sur le marché depuis la fin de la semaine dernière, et qui continue de déprécier la monnaie nationale par rapport au billet vert.
En effet, si le syndicat des agents de change agréés continue de fixer le taux du jour tous les matins, l’écart qui a commencé à se dessiner vendredi avec le taux du marché noir s’est confirmé hier, et s’est même creusé chez certains opérateurs informels. Le taux officiel des agents de change était établi hier dans une fourchette comprise entre 3 890 livres pour un dollar à l’achat et 3 940 livres à la vente, soit un niveau inchangé par rapport à celui de samedi, selon les sources habituellement contactées par L’Orient-Le Jour.
Le taux du marché noir gravitait lui autour de 4 100 livres minimum pour un dollar dans le meilleur des cas, et pouvait même grimper au-delà de 4 300 livres chez certains agents illégaux. Plus inquiétant, ce taux aurait également été répercuté par certains changeurs agréés. Une des sources contactées a ainsi indiqué qu’un changeur agréé situé dans la région de Beyrouth avait commencé à vendre à 4 150 livres pour un dollar en matinée, et que ce taux était monté à 4 325 livres en milieu de journée.
Une autre source a assuré qu’un changeur agréé lui avait vendu des dollars à près de 4 200 livres, toujours en milieu de journée. Trois bureaux de change agréés que L’Orient-Le Jour a visités hier aux environs de midi affirmaient ne plus avoir de dollars en stock, un scénario devenu habituel depuis mercredi dernier.
Mais les signes de désorganisation ne s’arrêtent pas là, les nouvelles formalités imposées par le syndicat des agents de change n’étant a priori pas respectées par tous ses membres. Une des sources contactées affirme ainsi avoir pu échanger un montant important sans qu’aucun justificatif ne lui soit demandé. Samedi, le syndicat avait appelé la filière à réclamer plusieurs documents aux entrepreneurs comme aux particuliers avant de valider toute transaction afin d’empêcher toute « spéculation » contre la monnaie nationale.
Les entreprises cherchant à acquérir des dollars doivent ainsi prouver qu’elles sont bien enregistrées au Liban, fournir une photo passeport signée de la personne à qui les dollars retirés sont destinés ou fournir après coup toute autre preuve démontrant quelle transaction les dollars ont servi à payer (relevé bancaire témoignant du virement, facture, etc.). Les particuliers sont eux en principe contraints de communiquer leur numéro de téléphone et de fournir les motifs de leurs besoins en dollars (facture à l’appui si nécessaire) et enfin signer le reçu rédigé par l’agent de change. Mardi dernier, le syndicat des changeurs s’était en outre engagé à tenter de faire progressivement baisser le taux de change pour le ramener d’environ 4 000 livres (le taux du marché noir) au plafond de 3 200 livres pour un dollar fixé par la BDL (comme édicté par la circulaire n° 553 du 28 avril 2020), sans toutefois expliciter les moyens envisagés pour y parvenir. Plusieurs agents ont en revanche fait part de leurs doutes concernant le succès de l’opération en soulignant que la demande de devises était beaucoup plus importante que l’offre.
Surendetté et en pleines négociations pour obtenir une aide financière du Fonds monétaire international (FMI), le Liban traverse sa pire crise économique et financière de ces trente dernières années. Un effondrement dont la dépréciation de la livre par rapport au dollar qui a débuté en août dernier sur le marché des changes représente, avec les restrictions bancaires sur les opérations en devises, l’une des facettes les plus délétères pour les entreprises et les citoyens libanais. La parité officielle de 1 507,5 livres n’est plus appliquée que pour certaines transactions bancaires et interbancaires. Les tentatives de la BDL pour contrôler le taux se sont toutes révélées infructueuses jusqu’à présent, tandis que la vaste vague d’arrestations qui a suivi la publication de la circulaire n° 553 n’a débouché sur aucune condamnation pour le moment.
Enfin, l’évolution du taux de change rend la situation de plus en plus difficile pour les sociétés de transfert d’argent qui constatent une forte baisse de leur volume de transactions depuis plusieurs semaines. La filière, dominée par cinq grands acteurs, est contrainte depuis le 16 avril (circulaire n° 551 de la BDL) de payer les sommes envoyées à ses clients au Liban en livres, quelle que soit la devise dans laquelle les fonds ont été initialement transférés. Problème : la BDL leur impose d’effectuer leur conversion à un taux de 3 200 livres pour un dollar, ce qui pousse de nombreux clients à privilégier les transferts bancaires, les « fonds frais » déposés en espèces ou transférés depuis l’étranger sur des comptes spéciaux n’étant soumis à aucune restriction, ou à passer par des sociétés plus confidentielles qui « échappent au radar de la BDL » en ne respectant pas la consigne fixée le 16 avril.
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LE BORDEL DANS TOUTE SON OPULENCE !
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 18, le 09 juin 2020