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Nos Lecteurs ont la Parole

Dialogue avec un masque

L’autre jour, poussant un chariot plein dans un supermarché, que vois-je dans le rayon fruits et légumes ? Un masque chirurgical, d’un blanc éclatant, parfaitement immobile, à un mètre de moi. Derrière le masque, je devine un sourire, puis une voix m’interpelle doucement.

- On va s’en sortir, comme je t’avais dit.

Cette voix nasillarde et éraillée, sans aucun doute, c’est celle de ce consultant bancaire qui m’a une fois accusé à la fois de nazi parce que « je propageais la politique de la peur en prévenant de l’effondrement qui vient » et de communiste « parce que je critiquais la politique monétaire du gouverneur de la Banque centrale », alors que selon lui tout allait bien. Puisque tout va bien, je lui ai alors répondu, rendez-moi mon argent, sans intérêts, et avec une décote de 20 %. C’était au début du mois de novembre. Il a alors esquissé un sourire, le même que j’ai deviné derrière le masque dans le rayon fruits et légumes du supermarché, et s’est lancé dans un long monologue destiné à encenser « l’altruisme des banquiers qui ont aidé les gens à vivre au-dessus de leurs moyens » et le « génie du gouverneur de la Banque centrale qui a permis à un système dysfonctionnel de fonctionner pendant si longtemps ».

Et il poursuit en soulevant un bocal de cornichon avec sa main gantée : si nous sommes dans cette impasse, c’est la faute aux politiques, à la mauvaise gestion de l’État depuis des dizaines d’années, à l’incompétence des dirigeants, à la dilapidation de l’argent emprunté et aux mauvais choix politiques. Quant au modèle économique, rien à dire, c’est le top.

D’habitude, je ne discute pas. Il y a des discours qui me rappellent la phrase de Kundera dans Risibles Amours : « Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu’il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n’as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ? Eh bien, dis-moi ! »

Il y a des discours qui me poussent à me taire, à sourire et à continuer mon chemin. Mais cette fois, je ne sais pas ce qui m’a pris – l’ennui du confinement ou le besoin de communiquer – et je lui ai lancé : « Et vous, vous vous considérez exemptés de toute faute en utilisant des taux d’intérêt hyper élevés pour attirer les dépôts alors qu’au même moment vos patrons transfèrent leur argent à l’étranger ? Vous vous considérez compétents quand deux tiers des dépôts bancaires sont utilisés pour financer un État intrinsèquement pourri depuis des dizaines d’années ? Et comble de la mauvaise gestion, vous avez raté la gestion de la crise, en la transformant en dépression généralisée, vous avez tué le secteur privé à cause de votre égoïsme et anéanti tout espoir de reprise. Plus grave, vous avez détruit votre actif le plus important, la confiance, vous savez pourquoi ? Parce que vous ne faites que mentir, vous mentez tout le temps, vous êtes payés pour mentir. Vous êtes accueilli sur les plateaux de télévision pour mentir au monde et dire que le noir est blanc. » Et aujourd’hui, toutes ces personnes incompétentes vont effectuer un audit sur elles-mêmes.

Justement, me répond-il, « les déposants vont devenir actionnaires des banques par conversion de leurs dépôts, nous serons dans le même camp ».

Les déposants ne seront jamais dans le camp des banquiers tant que la lumière sur les responsables de la faillite n’a pas été faite et les coûts de l’effondrement n’ont pas été équitablement répartis et assumés par les vrais responsables. En tout cas, tant que les banquiers n’ont pas retourné l’argent immoralement transféré juste avant et après le 17 octobre, tant que des banques étrangères n’ont pas repris, recapitalisé, restructuré et changé le management des banques, celles-ci resteront des zombies bancaires qui ne serviront qu’à engloutir les dépôts des déposants.

– Alors tu préfères le règne des milices et des armes illégales, me lance-t-il.

– Bien sûr que non, lui dis-je. Nous avons tellement souffert de la double violence des armes et de l’argent. Aujourd’hui, l’absence d’argent et l’omniprésence des armes vont rendre la situation insupportable et aboutir à la chute du système politique. J’espère simplement qu’on pourra créer un autre système plus juste, plus égalitaire, sans la violence des armes et de l’argent.

– Tu n’es qu’un idéaliste, me lance-t-il avec son sourire derrière le masque. Quand je t’ai dit qu’on allait s’en sortir, cela ne voulait pas dire que vous allez vous en sortir, prend soin de toi, respecte les mesures de confinement contre le coronavirus et oublie l’économie, on s’en occupe.

Je lui dis que « le coronavirus va vous donner un peu de répit, mais ne pourra pas vous sauver » et on se quitte.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’autre jour, poussant un chariot plein dans un supermarché, que vois-je dans le rayon fruits et légumes ? Un masque chirurgical, d’un blanc éclatant, parfaitement immobile, à un mètre de moi. Derrière le masque, je devine un sourire, puis une voix m’interpelle doucement. - On va s’en sortir, comme je t’avais dit. Cette voix nasillarde et éraillée, sans aucun doute, c’est...

commentaires (1)

On a juste envie de leur cracher au visage...

Nadine Naccache

21 h 14, le 04 juin 2020

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Commentaires (1)

  • On a juste envie de leur cracher au visage...

    Nadine Naccache

    21 h 14, le 04 juin 2020

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