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Nos Lecteurs ont la Parole

Humbles leçons de quarantaine de Paris

Face à cette période troublante, j’ai commencé à écrire un petit courrier de conseils pour essayer d’accompagner, si je le pouvais, à mon petit niveau de thérapeute. Besoins d’écoute, de partage, de lien (confinement oblige) pour tous. Besoins de gérer son stress pendant cette période atypique et besoins de booster nos systèmes immunitaires. Besoins de se protéger soi-même et de protéger les autres.

Mais mes pensées ont dévié et ma plume s’est laissé faire face à cette épreuve psychique qu’est le confinement, source d’angoisses, de frustrations, voire même de dépression pour certains. Nous sommes tous logés à la même enseigne. Tous confinés face à ce même ennemi invisible qui, partant d’une espèce animale en voie de disparition du pays le plus industrialisé au monde, a envahi toute la planète et l’a paralysée dans toutes ses activités. Mère Terre se vengerait-elle de notre colonisation outrancière, même dans ses couches les plus profondes ? Empêchés de vivre comme à nos habitudes, baignant dans l’incertitude et privés même du plus basique, le toucher, j’essaye de communiquer et de garder le contact, autrement.

En quelle langue m’exprimer et à qui m’adresser ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Nous sommes quasiment tous, citoyens du monde, confrontés à cette même peur et réduits aux mêmes conditions de vie. Besoin vif de me faire entendre, comme pour faire écho à nos soignants sur le pied de guerre, nos caissiers de supermarché, nos postiers et nos routiers tous mobilisés pour faire comme si tout allait bien encore. Francophonie oblige, la célébration de la langue de Molière primera sur celles de Gibran et de Shakespeare.

Pour moi, libanaise d’origine, le confinement n’est pas nouveau. Nous l’avons tous, nous Franco-Libanais, dans les tripes, en transgénérationnel, avec ces réflexes d’approvisionnement et de rationnement, et l’instinct de survie qui nous pousse à banaliser la gravité de la situation, à en rire voire même à s’en inspirer. Ce réflexe reptilien de se confiner nous est si familier. Nous l’avons même parfois vécu de manière jouissive pendant notre jeunesse, sous le sifflement des obus ou des balles, des salves d’obus et autres détonations en tous genres provenant de l’ennemi du moment, milice locale ou armée occupante.

Aujourd’hui, la sensation est différente. Elle est étrange, dérangeante et pesante à la fois.

D’abord notre ennemi est nouveau. Il est invisible, imperceptible, impalpable de l’ordre de l’infiniment petit… mais paradoxalement bien plus grand en dépassant notre matérialité. Impossible donc de communiquer et de négocier une trêve avec un lui, elle ou They. Un ennemi sans visage.

Ensuite et surtout, nous ne maîtrisons rien, ni le déroulement, ni la durée, ni les conséquences de cette crise sanitaire (je n’aborde même pas l’aspect économique). Notre espèce humaine si intelligente, menacée comme à l’époque des anciennes pandémies, se retrouve assez désarmée, dans tous les recoins de la planète.

Enfin, nous nous retrouvons confrontés, directement, à cette peur de la mort. La peur d’une mort individuelle et celle d’une mort collective à la fois. Scénario catastrophe de l’extinction de l’espèce humaine. Sensation très particulière et malaisante dans un contexte terriblement brutal. Et si en plus cette mort pouvait être potentiellement tributaire d’une décision, d’un choix humain qu’on devrait subir ? Une sorte de Titanic fondé sur les dates de naissance et non sur les classes sociales, une forme cruelle de ségrégation et d’eugénisme nouveaux conditionnée au nombre de lits et de respirateurs artificiels, le tout dans l’isolement, le silence et la solitude d’une salle aux murs blancs.

Cette sensation différente que j’essaye de décortiquer est en plus globale, mondialisée elle aussi, bien ironique tout ceci !

Les sifflements de bombes et de rafales qui résonnaient dans les abris ou couloirs pendant mes années de jeunesse au Liban sont remplacés par une logorrhée de titres, de courbes, d’infos que vomissent en boucle nos écrans et tablettes tout formats dans une sorte de boulimie compulsive et addictive pour tous, auditeurs, lecteurs, téléspectateurs et geeks confondus. Tout cela est si délétère. Cet afflux d’infos, fake ou pas d’ailleurs, est anxiogène pour nous tous.

Confrontés à une guerre contre une souche de molécules invisibles qui nous rappelle notre humble dimension humaine, nous nous retrouvons tous confrontés à notre peur de la mort et celle de l’inconnu, que l’on soit en Europe, en Asie ou ailleurs ; que l’on soit gérent d’entreprise, salarié, fonctionnaire, artisan ou boulanger, lotis, immigré ou sans domicile fixe, elle nous touche tous, petits et grands, croyants et non-croyants, savants et non-savants. Notre besoin basique de sécurité est tout tremblant et nos ressources les plus vitales sont menacées. La gestion de toutes ces émotions s’avère indispensable pour sauvegarder chacun un minima de bon sens et de civisme, éléments clés dans cette crise, face à des politiques heureusement de plus en plus convergentes.

Créativité, humour et technologies sont à la grande joie de tous, également sur l’échiquier. Des sourires, des blagues et des éclats de rires s’esquissent entre deux notifications glauques. Sur fond de House Party, de lectures, de cours de yoga, de travail en ligne et d’échanges virtuels interminables et incessants, la partie bat son plein, pendant que nos chercheurs et soignants sont sur le front.

À Paris, le printemps arrive comme si avec ce nouveau cycle la Nature elle-même nous secouait subtilement mais urgemment dans un silence absolu et froid, pour nous imposer de nous occuper de nous-mêmes pour mieux nous occuper des autres, ainsi que de la planète toute entière et son air qu’on respire... Comme si en ce début 2020, pointait du nez une nouvelle prise de conscience, une nouvelle solidarité indispensable et nécessaire, une nouvelle forme d’humanisme, celle de devoir, pour épargner des vies humaines, se murer dans sa peur, son silence, son chez soi et… son Soi. On voudrait tous se regrouper, dans nos petites cellules d’appartenance, histoire d’avoir moins peur, ou d’avoir peur, d’être tristes ou inquiets tous ensemble, ce qui reste plus réconfortant face à une situation dystopique de ce genre, que nul ne maîtrise, ni grand laboratoire, ni Intelligence artificielle. Et c’est dans ces petites cellules de confinement, amicales, amoureuses ou familiales, que débute consciemment notre nouvel apprentissage (en plus des gestes barrière que nous maîtrisons tous maintenant) de cette notion de solidarité et de respect mutuels, de civisme. Comme ces croyances et codes socio-culturels qui nous sont transmis et imposés dès notre plus tendre enfance jusqu’à faire partie de notre Être. Ce nouveau civisme de circonstance fera désormais partie de nous. On sait ce qu’il nous reste à faire, tout un chacun, dans son face-à-face existentiel, pour soi-même (un peu d’introspection n’a jamais fait de mal à personne) et pour la collectivité. Face à ce nouveau défi et à ces émotions d’inquiétude, d’angoisse ou de tristesse que certains découvrent comme d’autres évitent ou expriment de manière hallucinante.

Sur fond de Playlist « Quarantaine Corona », je reste sur l’essentiel, nos attaches, nos proches, leur amour et la force de cet amour. Je pense à tous mes proches confinés eux aussi au Liban ou ailleurs, et à tous ceux qui doivent se faire soigner urgemment dans un contexte bien particulier, à tous ceux qui n’ont plus de domicile pour y rester confinés. Un sentiment de tristesse me traverse. Qu’essaye-t-il de me dire ? M’envahit alors cette pensée, plus rationnelle, qu’on finit toujours par rebondir, s’adapter et revivre, même mieux, différemment en tous les cas. La résilience, encore elle, tout aussi familière que le confinement qu’on a connu pendant notre jeunesse libanaise. Je la reconnais, je la sens dans mes tripes, elle me reconnait aussi. C’est très apaisant.

Mais je n’arrête pas de penser.

Je pense surtout à toutes celles et ceux qui vont chaque matin la peur au ventre et exténués de fatigue, aux blocs de réanimation ou dans d’autres services hospitaliers. Je voudrais au nom de tous, les remercier chaleureusement, les féliciter de leur courage et de leur dévouement, eux, nos héros des temps modernes qui ne font pas la guerre mais qui soignent en silence.

À nos héros des temps modernes, prenez soin de vous surtout.

Et en attendant que cette crise soit derrière nous, que l’on puisse célébrer la vie dans ses fondamentaux tous ensemble et en toute liberté de mouvement, nous citoyens-colibris du monde et de la planète, du mieux que l’on pourra, tout un chacun, activement ferons ce qui nous appartient de faire, par solidarité respect et civisme.

Confinée dans mon espace physique et mental, ma bulle virtuelle délimitée par mes écouteurs, comme si l’espace à sa manière s’adaptait au Covidus-19 et mutait en une nouvelle dimension, je guette les 20 heures pour pouvoir communiquer de mon corps de mes mains et de ma voix cette infinie reconnaissance sur mon balconnet dans ma rue sinistre.

Que ces rituels de célébration et de gratitude ancestraux de la vie ne connaissent pas de frontières eux non plus.

Que de cette pandémie, avec le temps notre allié, nos chercheurs et leurs différends, nos soignants, tous nos soldats sur le front et nos consciences, l’on puisse acter une nouvelle Renaissance pour toute l’humanité, avec de nouvelles valeurs de solidarité, respect et de paix. Un nouveau code de vie, globalisé aussi.

Et que la littérature universelle à venir puisse sur fond de réalité-fiction Covid-19, vanter et transmettre cette nouvelle éthique pour un monde futur meilleur.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Face à cette période troublante, j’ai commencé à écrire un petit courrier de conseils pour essayer d’accompagner, si je le pouvais, à mon petit niveau de thérapeute. Besoins d’écoute, de partage, de lien (confinement oblige) pour tous. Besoins de gérer son stress pendant cette période atypique et besoins de booster nos systèmes immunitaires. Besoins de se protéger soi-même et...

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