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Nos Lecteurs ont la Parole

Oraison funèbre pour une regrettée disparue

Depuis qu’elle est partie, rien n’est plus le même. Ma vie a complètement changé sans elle. Tout est devenu plus triste, plus gris, je me borne à manger des choses qui n’ont même plus de goût. Elle a sombré dans les ténèbres les plus profondes et tout s’est écroulé sur son passage.

Une chute vertigineuse, a-t-on dit, une catastrophe même.

Je suis loin d’être le seul à être malheureux sans elle. Tellement de gens ont pleuré son départ. Des centaines, des milliers, que dis-je des millions !

Ils se sont adaptés du mieux qu’ils le pouvaient. Mais il y a des choses que l’on ne peut pas oublier. Il est vrai que, confinés dans notre chagrin, nous avons tenté de continuer à vivre. Mais la sortie approche, et une fois dehors, loin du foyer où l’on est au chaud, nous aurons tellement de mal à exister en son absence. Elle a laissé dans nos cœurs un vide qu’il sera impossible de combler, du moins pas avant 5 ou 10 ans. En tout cas, c’est ce que les experts ont dit.

Les plus grands, oui. Ils ont dit : « La livre libanaise n’en finit pas de sombrer. »

Au commencement, tout allait bien. Convoitée de tous, elle se retrouvait dans les plus grands hôtels, les banquiers la traitaient comme une invitée de marque, jusqu’au jour dramatique où, ingrats que nous sommes, nous n’avons pas su apprécier sa vraie valeur. Nous l’échangions en masse, 1 500 livres pour 1 dollar, disait-on, un seul petit billet vert. Torture pour celle qui faisait autrefois la fierté de tout un peuple! Pendant des années, nous lui avons alors manqué de respect, nous avons été ingrats, nous lui avons craché au visage alors qu’elle faisait son chemin de croix.

Il y a encore quelques semaines, avant son horrible descente aux enfers, elle se faisait manipuler à des fins aucunement nobles. Utilisée, malmenée, se serait-elle suicidée ? Certains disent que la défunte aurait été froidement assassinée. Les rumeurs courent, il s’agirait apparemment non pas d’un criminel, mais de plusieurs : un gang, une mafia. Les plus audacieux se sont même aventurés à dire qu’il y aurait parmi les complices des hommes politiques…

Mais elle était rancunière. Oui, tu étais rancunière, chère amie, et ta souffrance rend cela compréhensible. Après tout, tu étais loin d’être une sainte, beaucoup ont critiqué ta saleté, tu te faisais passer de main en main, comme une prostituée impuissante. Et l’heure inévitable de ta vengeance a sonné ! Ce matin, j’ai lu que même le dollar, pour lequel on t’échangeait, ce frère ennemi qui te ridiculisait à chaque transaction, est en train de te suivre dans ce chemin sombre que tu as emprunté.

On l’a toujours prise à la légère, et elle nous l’a bien rendu. J’aurais même dit qu’elle nous a rendu la monnaie de sa pièce, mais ce serait un trop triste jeu de mots.

La morale de cette histoire : on dit souvent que c’est lorsque les choses disparaissent que l’on réalise leur vraie valeur. Dans le cas de notre très chère livre libanaise, on peut à présent tous reconnaître que c’est seulement lorsque sa valeur s’est approchée du négligeable que nous avons compris qu’elle était… inestimable.

Alors, pendant que tu savoures ce plat froid qu’est ta vengeance, regarde-nous crever de faim avec tes petits yeux cruels car nous n’avons pas su te conserver. Mais si, par surprise, la pitié te prend au cœur, souviens-toi que si tu passais de main en main, c’est peut-être parce que tu étais le lien qui unissait ces pauvres Libanais. Peut-être que si tu tends bien l’oreille, tu céderas à leurs cris, ces gens, ces masses qui, à leur tour, chétives et torturées, réclament dans la rue ton retour.

Samir MOUKHEIBER

Étudiant en droit à l’USJ (1re année)

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Depuis qu’elle est partie, rien n’est plus le même. Ma vie a complètement changé sans elle. Tout est devenu plus triste, plus gris, je me borne à manger des choses qui n’ont même plus de goût. Elle a sombré dans les ténèbres les plus profondes et tout s’est écroulé sur son passage.Une chute vertigineuse, a-t-on dit, une catastrophe même.Je suis loin d’être le seul à être...

commentaires (1)

Molière était plus drôle Hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris?

M.E

00 h 54, le 09 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Molière était plus drôle Hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris?

    M.E

    00 h 54, le 09 mai 2020

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