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Culture - Ces couples confinés

Zeina Arida et Karl Bassil, entre vie de famille, chants d’oiseau et temps de réflexion...

À la maison depuis plus d’un mois avec leurs deux filles, la directrice du musée Sursock et le directeur créatif de Mind the Gap explorent un rythme de vie familial nouveau pour ces bourreaux de travail aux horaires ordinairement hyperchargés. Ils mettent aussi à profit ce « temps suspendu » pour réfléchir sur l’après-crise(s). Le tout sur fond de gazouillis d’un « couple de bulbuls » en semi-réclusion...

Tandis que Karl Bassil met les dernières touches à son grand projet d’édition... Photo prise par Zeina Arida

« On n’a jamais pris autant de repas en famille que depuis que nous sommes en confinement », s’exclame joyeusement Zeina Arida. Après s’être résolue à fermer le musée Sursock le 12 mars dernier, par mesure de précaution envers les visiteurs et ses collaborateurs, la directrice de l’établissement muséal s’est confinée chez elle le lendemain même avec ses filles Iris (15 ans) et Lucie (11 ans), suivie une semaine plus tard par son mari Karl Bassil, cofondateur et directeur créatif de l’agence de graphisme et de communication Mind the Gap. « Depuis, on applique les mesures d’isolation et de précaution sanitaires à la lettre », assure-t-elle. « Parce que nous considérons qu’il est de notre devoir de “citoyens responsables” de contribuer au ralentissement de la propagation de la pandémie. On n’a, par exemple, plus mis les pieds dans un supermarché depuis le début de notre retraite à la maison, préférant recourir très largement à la livraison à domicile. Et je n’ai plus conduit ma voiture depuis le 13 mars. Ce qui m’a permis, d’ailleurs, de découvrir le plaisir de marcher dans Beyrouth, ce que j’avoue n’avoir jamais expérimenté auparavant », révèle la directrice du musée Sursock. Seule échappatoire consentie aux règles strictes de son confinement, elle sillonne désormais, régulièrement, durant deux bonnes heures à chaque fois, les rues de la capitale en compagnie de l’une ou l’autre de ses filles.

« Le bureau dans la pièce d’à côté »

C’est donc dans la douceur du cocon familial que le couple Arida-Bassil s’est retranché en cette période d’isolation sociale. Un repli dans la sphère privée que parents et enfants semblent vivre aussi sereinement qu’activement. « Même avec une dynamique différente, nos journées restent assez pleines », indique Zeina Arida. « Je continue à me lever tôt, à me préparer, m’habiller, me maquiller comme si je me rendais au travail. Sauf que le bureau se trouve maintenant dans la pièce d’à côté, où je m’isole pour passer mes nombreux coups de fil à mes collaborateurs (des collaboratrices surtout). Car, bien qu’ayant reporté les 3 expositions prévues pour 2020, nous profitons de ce temps mort pour finaliser, chacun chez soi, des dossiers administratifs et des projets en cours. Nous avons par exemple mis en ligne l’exposition Baalbeck, Archives of an Eternity (dont la visite virtuelle est désormais accessible sur le site du musée) quelques jours seulement après la fermeture physique de l’établissement. Et nous œuvrons actuellement à la conception d’un tour virtuel complet du musée Sursock à la fois architectural et artistique », signale-t-elle. « De leur côté, Karl et les filles se partagent la table de la salle à manger, chacun sur son ordinateur et en respectant les horaires des cours en ligne et des visioconférences des uns et des autres. Mais c’est désormais ensemble que nous faisons une pause déjeuner et que nous dînons. Ce qui, pour nous, représente des moments privilégiés que nos horaires de travail habituels nous empêchaient d’avoir en dehors de la période des vacances. »

Temps soustrait/gagné…

Profiter de la présence des enfants, mais aussi de « ce temps soustrait à l’aliénation d’une journée de travail normale, pour réaliser enfin d’autres choses ». Pour Karl Bassil, cette pause dans le rythme effréné du quotidien était plus que bienvenue.

Elle lui a notamment permis d’apporter les touches finales à son grand projet d’édition d’un ouvrage autour du photographe arméno-égyptien Van Léo (1921-2002). Le directeur créatif de Mind the Gap, également membre de la Fondation arabe pour l’image, constate que « cette vie en claustration échappe, de manière assez paradoxale et ambiguë, à la routine auto-boulot-dodo et à sa course permanente contre la montre. « Quand on pense que ce confinement dure depuis plus d’un mois déjà, c’est hallucinant ! Tout semble aller à la fois vite et lentement », fait d’ailleurs remarquer celui qui puise dans « ce temps suspendu avant tout l’opportunité de réfléchir calmement ». « En fait, pour nous, c’est le moment propice pour repenser en profondeur nos pratiques de travail. Pour cogiter aussi sur les contours futurs de notre monde globalisé et l’occasion que nous offre cette crise pour tout remettre en cause », s’accorde à dire ce couple d’intellectuels. Lequel met aussi à profit « ce temps gagné » pour s’adonner plus amplement à des activités plus « terriennes », comme la cuisine, le sport « avec les filles sur leur console de jeu Nintendo Wii Fit » et le jardinage sur la terrasse que le duo ambitionne de transformer en « véritable petit potager ».

Des oiseaux et des hommes

Sauf que la conséquence la plus surprenante de ce mois passé à la maison réside dans la communication et l’échange qu’ils ont développés de manière accrue avec leurs animaux de compagnie. « Maintenant que nous avons le loisir de les observer plus longuement, on a remarqué que les deux tortues viennent cogner leurs pattes contre la baie vitrée quand elles ont faim pour qu’on leur donne leurs feuilles de laitue. Idem pour Nicolas et Willy, le couple de bulbuls* qu’avait offerts, il y a 3 ans, l’artiste Ziad Antar au musée Sursock et que j’ai ramenés chez moi deux jours après la fermeture. Alors qu’au musée, ils voletaient librement mais uniquement dans l’espace de mon bureau, chez moi, ils sont en cage mais installés sur la terrasse. Outre le fait qu’ils passent leur temps à aménager chacun un nid avec le papier journal qui tapisse le fond de leur cage (Nicolas s’empare généralement d’an-Nahar, alors que Willy préfère L’Orient-Le Jour), ils gazouillent avec insistance et avec des sons spécifiques pour m’intimer l’ordre de leur apporter l’eau du bain vers 11h du matin ou le drap pour recouvrir leur cage à 19h tapantes. Ils adorent qu’on s’occupe d’eux. C’est vraiment une espèce très intelligente.

D’ailleurs, depuis qu’ils sont placés en extérieur, ils ont tellement développé le spectrum de leur chant qu’ils attirent vers notre terrasse toutes sortes d’oiseaux du voisinage : merles, moineaux et pigeons », s’amuse à décrypter Zeina Arida.

Principal effet néfaste

Une réclusion chez soi qui n’est donc synonyme ni d’ennui et d’affalement devant la télé ni non plus d’emprisonnement entre quatre murs étroits pour ce couple conscient « d’être dans une situation privilégiée et de bénéficier d’un bien-être familial qui nous donne la force et la sérénité pour affronter cette crise et les inévitables questionnements sur l’avenir qu’elle engendre.

On n’oublie pas, pour autant, la situation catastrophique vécue par la majorité de nos compatriotes. Ça nous touche beaucoup. Et c’est même l’un des effets du confinement qui nous perturbe le plus, avec celui de constater que les politiques au pouvoir profitent de cette période si difficile pour tous les Libanais pour faire passer leurs magouilles », martèlent-ils, moins sereins soudainement...

*Le bulbul est une espèce typiquement locale du rossignol.



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