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Culture - Ces couples confinés

III – Mia Habis et Omar Rajeh : On ne peut qu’aller à l’essentiel

« Le virus ne traversera pas le seuil de notre maison, le découragement et le désespoir non plus. » Voilà ce que Mia Habis, installée à Lyon depuis décembre 2019 avec son époux Omar Rajeh et leur petit Kinan (âgé de 5 ans bientôt), clame haut et fort.

Portrait de Mia Habis par Omar Rajeh, et vice versa.

Il est chorégraphe, danseur et directeur de Maqamat Dance (organisation culturelle internationale qui œuvre pour le développement d’une scène des arts du spectacle au Liban et à l’étranger). Il est aussi le fondateur de Bipod, le festival annuel de danse contemporaine à Beyrouth, ainsi que d’une école de danse contemporaine, Takween. Elle est danseuse professionnelle et fut longtemps son égérie, avant de devenir son épouse et sa compagne des tranchées artistiques. Elle prendra en charge la direction de Maqamat et celle de Bipod, tout en continuant à se produire sur scène. C’est ensemble qu’ils inaugurent en 2019 Citerne Beirut, un lieu au service des arts contemporains de la scène à Beyrouth, où ils proposent des ateliers de théâtre, de danse et de musique à la portée de la jeunesse.

Démoralisés et déçus après tant d’années de labeur et de dévotion au service de la beauté et de leur passion par un État qui ne compose plus, mais décompose (la démolition de l’espace Citerne Beyrouth entre autres pour la construction d’un incinérateur à Beyrouth), Omar Rajeh et Mia Habis ont pris en novembre 2019 la triste décision de s’installer en Europe, déterminés à poursuivre leur combat depuis la ville de Lyon.


Un huis clos comme un « déjà-vu… »
Alors qu’ils ont toujours travaillé et voyagé ensemble, se sont longtemps entraînés en studio ou chez eux ensemble, ont toujours fonctionné en indépendants sans horaires de bureaux, ni déjeuners avec les collègues, mais encore ensemble, le confinement s’est installé chez les Rajeh d’une façon assez fluide et naturelle. Omar et Mia se connaissent et savent comment l’autre fonctionne, toujours avec respect et admiration mutuels. Ils avouent que c’est un moment parfait pour renforcer leur communication artistique et être à l’écoute chacun de l’autre, « sans compter, ajoute Mia, que cette période spéciale et ses contraintes peuvent renforcer la créativité ». « C’est le cas pour Omar qui a trouvé son rythme de croisière. Les premiers jours étaient un peu confus, il nous a fallu une petite semaine pour trouver nos repères », avoue-t-elle.

Omar se réveille plus tôt que Mia, qui a besoin de ses heures de sommeil prolongées pour renforcer son immunité. Il bouquine, suit les cours de français qu’il prend depuis son installation à Lyon, écoute les informations, s’enquiert de la situation au Liban, des parents et des amis. Quand Mia se réveille, elle prépare son litre d’eau à boire pour la journée, s’attèle ensuite à dresser le petit déjeuner, pour eux trois. Pour avoir toujours vécu avec ses parents une vie de bohème, entre résidences multiples et voyages pour des tournées, leur fils, Kinan, « est un enfant qui sait s’adapter à toutes les situations », confie la jeune femme. Il s’occupe et dessine durant de longues heures, pendant que ses parents attaquent leur séance d’entraînement. « C’est comme une miniclasse qui nous prend à peu près deux heures de temps. Entre-temps, Kinan regarde ses dessins animés tout en sachant pertinemment qu’une heure plus tard, il fermera l’ordinateur pour attaquer l’école à la maison. Le petit garçon suit deux programmes : celui de son établissement à Beyrouth et celui de son école à Lyon. Hormis ça, notre quotidien ressemble à celui du reste de la planète, sortir pour faire les courses, revenir vaporiser nos vêtements, laisser les chaussures à l’entrée, bien se laver les mains, nettoyer les courses, nos portables et nos porte-monnaie. » Mia s’est découvert des talents culinaires, fait de la moujaddara, et Omar réussit à merveille le pain perdu. Et la danseuse d’ajouter, amusée : « On filme tout ça pour ne rien oublier. »


Regarder toujours plus loin
« Notre couple a besoin de perspectives et de promesses. En période de confinement, il est essentiel de regarder toujours en avant, se projeter est d’autant plus nécessaire », dit Omar. Ce qui rapproche le couple en cette période difficile, c’est leur positivité. Tous deux ont décidé de tirer avantage de cette situation, profiter du confinement – ce que tous les artistes font quand ils sont en résidence – et de se concentrer sur leur potentiel de création. « Nous sommes tous les deux très inspirés et notre rythme créatif est très intéressant, affirme Mia. Omar travaille sur deux performances, les idées fusent, on réfléchit, on pense le spectacle, on rédige les dossiers, on fait des meetings sur Skype, on se prépare pour la sortie afin de ne pas être pris de court. » « Il est vrai, ajoute Omar, que nous avions beaucoup de projets pour mai et juin, qui ont été annulés, en Europe, en Russie, avec l’opéra de Munich, mais on persévère. » Et le chorégraphe d’ajouter : « Cette crise n’a pas que de mauvaises facettes, elle aide à remettre les choses en ordre. Le monde ne pouvait plus persévérer dans ce système de globalisation qui anéantit la solidarité entre les humains. Nous sommes arrivés à un moment où plus rien n’avait de sens. Le monde court et se perd. On n’avait plus le temps de prendre des nouvelles de notre famille ou même de nos amis qu’on ne voit pas tous les jours. Le confinement présente au moins l’avantage de libérer notre planning et de nous permettre de nous rapprocher de nos proches, de les appeler plus souvent, ou de prendre soin d’eux, tout simplement, ce qu’on n’aurait peut-être pas fait d’habitude. Et de regarder nos enfants grandir… »

« Aujourd’hui, tous exposés au même danger, nous sommes sur un pied d’égalité, et l’on ne peut qu’aller à l’essentiel. Le coronavirus a renforcé les liens, a permis à tout un chacun de réfléchir à sa vie et ses vraies priorités », conclut le couple Habis/Rajeh. « Le virus ne traversera pas le seuil de notre maison, le découragement et le désespoir non plus », affirme Mia Habis. Au final, dans leur petite cellule familiale, tout le monde est d’accord pour dire que les journées se passent plutôt bien. Et que demain ne sera qu’un jour meilleur.


Troisième volet d’une série où l’on vous emmène dans le quotidien de couples d’artistes confinés chez eux ou ailleurs.


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