Plusieurs sources concordantes (banquiers et changeurs) ont confirmé vendredi à L’Orient-Le Jour que la Banque du Liban (BDL) avait injecté plusieurs millions de dollars en espèces sur le marché secondaire. Cette information avait, à la base, été relayée par la MTV qui a publié des photos que nous avons également pu obtenir. La BDL n’a toutefois pas officiellement communiqué sur ce sujet et aucune des sources contactées par L'Orient-Le Jour, proches des changeurs, des banques et de la BDL, ne s’est avancée sur un montant de dollars vendus aux changeurs - une source bancaire a évoqué un stock de billets gravitant autour de 20 millions de dollars -, ou sur le prix auquel la Banque centrale avait vendu ces dollars aux acteurs agréés de la filière.
Selon les sources interrogées, cette injection doit permettre de stabiliser la valeur de la monnaie nationale par rapport au billet vert dans les bureaux de change, à l’issue d’une semaine au cours de laquelle elle a dépassé la barre des 3 000 livres pour un dollar sur le marché noir. Un niveau inédit depuis le milieu des années 1990, en plein contexte de crise économique et financière qui a impacté le niveau de liquidités circulant dans le pays.
L’initiative de la BDL survient au lendemain de la publication d’une nouvelle circulaire (intermédiaire n° 551) imposant aux agences spécialisées dans les transferts d’argent de payer les montants envoyés à leurs clients au Liban en livres libanaises, peu importe la devise dans laquelle ces transferts ont été initialement effectués. Une décision qui rétablit une réglementation imposée en janvier 2019 temporairement suspendue en décembre dernier pour permettre à ces institutions financières non bancaires de décaisser les montants transférés dans la devise dans laquelle ils avaient été effectués pour enrayer la désertion d’une partie de leurs clients expatriés, ces derniers préférant contourner les vecteurs traditionnels pour transférer de l’argent à leurs proches au Liban. La nouvelle circulaire inclut néanmoins une différence de taille avec celle de janvier, les agences étant désormais tenues de convertir les montants transférés en livres, mais au taux du marché.
(Lire aussi : Le Liban a besoin d’une loi juste sur le contrôle des capitaux)
Suite de décisions-clefs
Ce changement dans la réglementation intervient en outre deux semaines après que la BDL ait publié d’autres décisions clés (circulaires principales n°148 et n°149) qui amorcent un changement du régime de change en vigueur dans le pays depuis 1997 - la BDL stabilisant jusqu’ici le taux livre/dollar pour les transactions bancaires et sur le marché en général à un niveau proche de 1507,5 livres pour un dollar. Un système gourmand en devises et devenu intenable pour la Banque centrale qui a fait face à une diminution quasi-constante de ses réserves depuis 2017, entre autres raisons. La parité officielle est néanmoins toujours en vigueur sur le papier et s’applique pour les transactions bancaires classiques.
La circulaire n° 149 notamment instaure une « unité » composée de représentants de la Banque centrale et des changeurs de catégorie A (ceux qui sont autorisés par la BDL à importer et exporter des devises) et dont la mission consiste à fixer le taux de change qui sera désormais applicable pour plusieurs types d’opérations réalisées par les établissements bancaires ou non bancaires (dont les agences de transferts d’argent et les changeurs). Si l’unité n’a pas encore été formellement activée, la BDL a unilatéralement fixé à 2 600 le taux livre/dollar applicable dans ce cadre et devrait le mettre à jour la semaine prochaine. Ce taux n’a toutefois pas été appliqué sur le terrain par les changeurs agréés qui sont nombreux à s’aligner sur les taux du marché noir, en invoquant la faiblesse de l’offre de devises par rapport à une demande dopée par les restrictions bancaires qui se sont progressivement accrues depuis l’été dernier (et qui sont en grande partie responsables de la dépréciation de la livre sur le marché secondaire).
« En vendant des dollars aux changeurs et en le faisant indirectement savoir, la BDL espère ainsi stabiliser les taux en comptant sur le fait qu'une partie des personnes qui détiennent des dollars se décident à en vendre avant que le taux ne reparte à la baisse. La question qui se pose maintenant est de savoir si la Banque centrale prévoit d’autres injections de ce type et à quel rythme », a estimé une des source interrogées.
La BDL a tenté à plusieurs reprises d’obliger les changeurs à contenir artificiellement le taux livre/dollar depuis le début de l’année, sans réellement y parvenir. Le 6 mars, la Banque centrale avait notamment publié la circulaire intermédiaire n° 546 obligeant les acteurs de la filière à acheter leurs dollars à un taux maximum 30 % plus élevé que celui appliqué entre la BDL et banques (1 515/1 518 en comptant la marge autorisée pour les transactions bancaires, une valeur n’étant toutefois pas citée dans le texte en question).
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commentaires (7)
Effectivement... ca a fonctionné à merveille!!! Et nous détenteurs de comptes en $ on a rien vu venir... pas la couleur du moindre $.
Sybille S. Hneine
14 h 19, le 27 avril 2020