La rue des Banques, dans le centre-ville de Beyrouth. Photo d’archives Jamal Saïdi/Reuters
Un plan de stabilisation global de l’économie est nécessaire pour restaurer la confiance dans le secteur bancaire. Ce plan comprendrait des mesures substantielles d’assainissement budgétaire, l’injection de liquidités externes par des donateurs multinationaux, une restructuration de la dette et une recapitalisation du secteur bancaire libanais. Lourdement handicapé par la crise, ce dernier devra être restructuré afin de rétablir pleinement l’accès aux dépôts et relancer le flux des crédits.
Un groupe de travail composé de responsables de la BDL, d’experts bancaires et d’institutions internationales devrait se voir accorder des pouvoirs extraordinaires par les autorités pour élaborer un plan qui détaille l’ampleur et l’ensemble des modalités du processus de recapitalisation ou de restructuration des banques ; les réformes réglementaires nécessaires et les mesures permettant d’attirer à nouveau les investisseurs étrangers. En attendant, nous recommandons l’imposition d’un contrôle légal des capitaux afin de garantir un traitement équitable des déposants et de veiller à ce que les importations essentielles soient prioritaires.
La triple crise (de la balance des paiements, de liquidité et de la dette publique) que traverse le Liban a détérioré significativement les bilans des banques, rendant nombre d’entre elles insolvables. Avant même que le gouvernement ne suspende le remboursement des eurobonds, le 7 mars, la restructuration de la dette publique était inévitable, notamment en raison de son niveau clairement insoutenable (son service captait plus de 50 % des recettes fiscales en 2019).
Toutefois, bien avant ce défaut, les banques libanaises disposaient de liquidités limitées en devises étrangères et les rationnent depuis novembre dernier, car la BDL ne libère pas suffisamment de liquidités. Même les banques disposant de comptes courants auprès de la BDL n’ont qu’un accès limité à leurs dépôts en devises, la Banque centrale ayant choisi de donner la priorité au maintien de l’ancrage monétaire et à la couverture des importations de biens essentiels du pays.
Réduire considérablement la dette publique pour la ramener à un niveau soutenable aura un impact significatif sur les bilans des banques et les fonds propres réglementaires. Une évaluation complète de leurs actifs au prix du marché consacrerait l’insolvabilité de la plupart des banques. Pour éviter de contrevenir aux exigences de fonds propres requises par les normes comptables internationales (IFRS), la BDL a temporairement suspendu l’obligation pour les banques d’y adhérer. Mais cette solution n’est pas tenable, car elle déconnecte de facto le système bancaire libanais du reste du monde.
L’impact du défaut
Aujourd’hui, les banques libanaises sont dans une situation très précaire et ne sont pas en mesure de jouer leur rôle d’intermédiation financière. D’autant que contrairement à ce qui s’est passé dans de nombreux pays connaissant ce type de crise financière, l’État libanais n’a pas de munitions fiscales pour recapitaliser les banques.
Dans le cadre d’un scénario de restructuration de la dette basé sur le retour à un niveau d’endettement viable (60 % du PIB) et un cheminement vers un excédent budgétaire primaire, nous estimons qu’un plan de recapitalisation des banques à hauteur de 20 à 25 milliards de dollars est nécessaire. Ce plan serait financé par les agences multilatérales et les pays donateurs, les actionnaires existants et nouveaux des banques, et une éventuelle recapitalisation interne par les déposants. Durant ce processus de renflouement, et en sus de l’indispensable protection des petits déposants, il conviendra de veiller tout particulièrement à : assurer une transparence totale sur la nouvelle composition de l’actionnariat des banques ; éviter sa concentration; et protéger les nouveaux propriétaires de toute intervention politique directe ou indirecte. Des capitaux supplémentaires seront par ailleurs nécessaires pour relancer l’économie et fournir des liquidités à court terme.
Laisser le secteur bancaire se restructurer et se recapitaliser sans plan gouvernemental prendrait trop de temps et accentuerait la transition en cours vers une économie fondée sur le cash (accès limité au crédit, peu d’épargne, peu d’investissements et croissance économique durablement faible ou négative...) impliquant en fin de compte d’énormes pertes pour les déposants et de graves difficultés pour la plupart des Libanais.
Rétablir la confiance
Les interventions dans le secteur financier doivent avoir pour objectif premier de rétablir la confiance dans le secteur bancaire et de relancer le flux de crédit et l’accès sans restriction aux dépôts. En plus de reconstituer le capital du secteur bancaire et de remédier à l’état désastreux des finances publiques, nous préconisons de réformer le secteur financier afin d’éviter à l’avenir la surexposition des banques au secteur public, en les incitant à prêter plutôt à l’économie réelle.
La confiance dans le secteur financier nécessitera également un régulateur fort et indépendant. Le Liban a une occasion unique à cet égard, car 14 postes sont à pourvoir dans différentes instances de régulations d’ici à la fin mars (quatre vice-gouverneurs de la BDL, cinq membres de la Commission de contrôle des banques, trois dirigeants de l’Autorité des marchés de capitaux, le directeur général du ministère de l’Économie et le commissaire d’État à la BDL). Ces nominations doivent être effectuées selon un processus transparent, à l’abri de toute influence politique et confessionnelle, afin de s’assurer que les candidats possèdent les compétences requises.
Outre ces nominations, une refonte de la gouvernance des institutions de régulation doit être entreprise à la suite d’un examen approfondi. Afin d’améliorer la gestion des risques et d’éviter une répétition de la concentration des prêts à l’avenir, le code de la monnaie et du crédit devrait être révisé pour interdire l’exposition excessive au risque souverain, ce qui obligera l’État à adopter un programme d’endettement public plus discipliné, tout en encourageant les banques à diversifier l’allocation de leurs ressources à l’économie productive. Il conviendra également de mettre en place un cadre visant à limiter les opérations dites d’ « ingénierie financière » afin de renforcer la transparence de ces opérations.
Il faudra en outre nécessairement passer à terme vers un système de changes flottant, revoir la politique budgétaire et la réglementation du secteur financier, afin d’y encourager une plus grande concurrence, y compris de la part des banques étrangères. Il convient de noter que si une dévaluation de la livre aurait un effet direct positif sur le bilan des banques, elle pénaliserait leurs débiteurs du secteur privé (la plupart des prêts étant libellés en dollars) et entraînerait donc un niveau plus élevé de créances douteuses.
Liquidations
Les fonds propres des banques devraient être réduits pour refléter la réalité de la dépréciation des actifs, les actionnaires existants pouvant être autorisés à exercer leurs droits de préemption pour recapitaliser les banques avec leurs propres ressources ou en trouvant de nouveaux investisseurs. Certaines banques pourraient être liquidées par le gouvernement qui en assurerait le contrôle. Certaines banques peuvent être trop petites pour être « sauvées » et devraient être mises en liquidation.
L’objectif de ce processus serait de restructurer (ou de liquider) les établissements insolvables sans causer de perturbations importantes aux déposants, aux prêteurs et aux emprunteurs. La première étape du processus de résolution consiste pour les actionnaires et les créanciers à supporter les pertes (dans cet ordre). Si la banque a des fonds propres négatifs après cette étape, elle peut commencer par vendre des actifs-clés, tels que des biens immobiliers ou des filiales étrangères, avant de recourir à une injection de capital.
Un outil potentiellement utile pour soutenir les ventes d’actifs et rétablir rapidement les activités bancaires normales serait de créer une « structure de défaisance » (SD) qui récupérerait les prêts non performants et les actifs toxiques des banques, afin de rendre leur santé financière plus transparente et de leur permettre de continuer à assurer leurs fonctions essentielles le temps que ces actifs soient revendus. Ce dispositif a déjà été utilisé dans plusieurs pays ayant fait face à une crise bancaire (France, Allemagne, Espagne, Suède, Royaume-Uni, États-Unis...). Les SD peuvent être établies sur une base individuelle, gérées par la banque elle-même (sous le contrôle du gouvernement) ou par le gouvernement sur une base collective. Le Liban fait toutefois face à un problème spécifique dans la mesure où ni la BDL ni les plus grandes banques ne disposent de réserves de capital suffisantes pour financer les fonds propres d’une telle structure.
Si les fonds propres de la banque restent dans le rouge une fois que les actifs clés ont été vendus (ou transférés à une SD), en l’absence de fonds de recapitalisation suffisants, un renflouement peut être envisagé, via la conversion d’une partie de leur passif (constitué principalement de dépôts) en fonds propres.
En revanche, des mesures de nationalisation des banques ne sont pas envisageables dans le contexte libanais. S’il est nécessaire d’éloigner le contrôle des opérations des équipes de direction des banques, qui ont perdu leur crédibilité, l’insolvabilité du gouvernement libanais interdit cette hypothèse. De plus, des banques étatisées pourraient être asservies à des intérêts politiques.
Moins de banques ?
Nous pensons qu’un marché comme le Liban a besoin de moins d’institutions bancaires et qu’un cycle de consolidation est impératif pour rendre le système plus robuste et plus compétitif et favoriser des modèles d’affaires plus diversifiés. Les fusions nécessiteront d’abord de clarifier la situation financière des banques. La crise actuelle pourrait donc être mise à profit pour parvenir à ce résultat. Les recherches universitaires dans ce domaine confirment que si la consolidation des banques peut entraîner une hausse des frais et des taux d’intérêt potentiellement plus élevés sur les crédits, elle permet également une plus grande stabilité financière et une moindre prise de risque. Les grandes banques peuvent également attirer plus facilement les investisseurs, en particulier à long terme.
Dans la plupart des pays en crise financière, les banques surexposées aux actifs en difficulté ont été absorbées par de grandes banques saines. Toutefois, au Liban, la plupart des grandes banques étant fortement exposées à la dette de la Banque centrale et du gouvernement et aux créances douteuses, elles ne peuvent pas jouer ce rôle. La meilleure façon de procéder à une consolidation serait de combiner la liquidation des petites banques, la résolution d’autres banques et la fusion des plus grandes, ce qui faciliterait la collecte de nouveaux fonds propres et la réduction des coûts (suppression de succursales dans un contexte de numérisation croissante). Les grandes banques pourront également se permettre d’investir dans des systèmes informatiques et de gestion des risques plus récents au fil du temps et seront mieux considérées par leurs correspondants étrangers.
Les solutions existent, il est plus que jamais temps d’agir !
Ce texte est la traduction résumée d’une tribune publiée en anglais sur le site de Kulluna Irada.
Signataires (en leur nom propre) : Amer BISAT, Henri CHAOUL, Ishac DIWAN, Saeb EL ZEIN, Sami NADER, Jean RIACHI, Nasser SAIDI, Nisrine SALTI, Kamal SHEHADI, Maha YAHYA, Gérard ZOUEIN.
Signataires institutionnels : LIFE et Kulluna Irada.
commentaires (9)
DU PIPEAU A LA SAUCE ALIBABIENNE QUI PRECONISE LE HAIRCUT ET MEME PLUS. DEVALISER LES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS ET LES APPAUVRIR AU PROFIT DES PROPRIETAIRES ET DES ACTIONNAIRES MILLIARDAIRES ET MULTI MILLIONNAIRES DES BANQUES. VOILA CE QUE CES MESSIEURS DE LA MAUVAISE HEURE CONSEILLENT.
LA LIBRE EXPRESSION
08 h 21, le 20 avril 2020