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Idées - Finance

Le Liban a besoin d’une loi juste sur le contrôle des capitaux

Des clients faisant la queue devant un distributeur automatique de billets à Jounieh, en novembre dernier. Photo P.H.B.

Depuis désormais six mois, les déposants libanais vivent sous le régime des mesures prohibitives que les banques ont mis en place, en accord avec la Banque centrale (BDL), pour limiter certaines opérations bancaires. Censé être temporaire, ce régime informel de contrôle des capitaux heurte la propriété individuelle et le système de la liberté économique, consacrés par la Constitution. Dès sa formation, le gouvernement dirigé par Hassane Diab s’est d’ailleurs engagé à adopter rapidement une loi permettant d’encadrer et d’harmoniser ces restrictions, rendues nécessaires par le contexte de crise financière, conformément aux demandes émises en ce sens par la société civile et le secteur bancaire lui-même.

Cependant, si plusieurs projets de loi destinés à instaurer un régime légal et temporaire de contrôle des capitaux ont été présentés au Conseil des ministres, ils sont restés à ce stade lettre morte, notamment en raison d’une forte opposition politique, encore rappelée cette semaine par le président de la Chambre des députés, Nabih Berry. De plus, même dans l’hypothèse où cette opposition politique venait à être surmontée, l’adoption d’une telle loi d’exception pourrait s’avérer dangereuse en l’état, tant les divers projets présentés au gouvernement s’avèrent critiquables, et ce aussi bien sur le plan juridique que du point de vue de leurs conséquences financières.

Pour être à la fois efficace et juste, toute loi sur le contrôle des capitaux doit en effet établir une balance entre, d’une part, la prévention des fuites de devises étrangères et la préservation de la liquidité des banques ; et, d’autre part, la nécessité de répondre aux besoins commerciaux, économiques et personnels de base tout en préservant au mieux les droits des déposants. Or l’examen de ces projets de loi, qui, à quelques différences près, sont plus ou moins identiques dans leur contexte, leur esprit et leur objectif, révèle qu’ils méconnaissent tous cet équilibre essentiel.

Inégalités de traitement

Une première objection porte sur la fixation des plafonds sur les restrictions financières qui limitent les droits des déposants, et cela sans justification précise. En effet, tous ces projets ont fixé des plafonds aux transferts de fonds à l’étranger (dans une fourchette allant de 30 000 à 50 000 dollars par an selon les textes) sans établir clairement les priorités et les besoins économiques, commerciaux et personnels qui nécessitent de tels transferts : par exemple, les jeunes étudiants à l’étranger dont les besoins diffèrent selon les pays et les universités où ils se trouvent. Un étudiant à Harvard aurait besoin d’un montant cinq fois plus élevé que celui d’un étudiant à la Sorbonne. De plus, ces projets omettent de mettre en place des options stratégiques bien réfléchies, pour l’utilisation rationnelle par les banques du résidu des liquidités en devises étrangères dont elles disposent, aussi minime soit-il. Il aurait été souhaitable d’établir une échelle de priorités concernant les produits à importer. Par exemple, un commerçant important des produits de luxe (montres, voitures, etc.) ne pourrait bénéficier de la même priorité qu’un commerçant de produits alimentaires, agricoles, médicaux…

Ce manque de clarté et de transparence dans les dispositions et mécanismes prévus dans lesdits projets génère aussi une inégalité entre les déposants quant au montant des transferts à l’étranger ou à celui des retraits autorisés en espèces. Ainsi, dans le cas de deux déposants ayant le même ordre de montant en banque, l’un aura le droit de transférer ses dépôts à l’étranger parce qu’importateur, parent d’étudiant à l’étranger ou propriétaire d’un bien immobilier à l’étranger pour lequel il est tenu de transférer les traites et/ou taxes foncières, tandis que l’autre ne jouira pas des mêmes droits.

Par ailleurs, dans un contexte de manque de liquidités disponibles en devises, ces projets omettent tous d’envisager la possibilité d’imposer des retraits en livres libanaises à partir de comptes en devises, et ce à un taux de change égal au taux de change réel sur les marchés parallèles afin de maintenir la valeur des montants retirés. Les conséquences de cette omission sont d’autant plus préoccupantes que la BDL a déjà consacré cette solution dans sa circulaire (n° 148) du 3 avril courant, pour les clients dont le total cumulé des fonds au sein d’une même banque est inférieur ou égal à 3 000 dollars ou 5 000 000 LL.

En bref, les projets présentés jusqu’à présent ont en commun de faire tous l’impasse sur les effets économiques et sociaux découlant des restrictions proposées, et d’avoir comme finalité l’exemption des banques de toute responsabilité à ce propos. Ils n’atteignent donc pas leur objectif principal, celui de prévenir les fuites des devises à l’étranger tout en répondant aux besoins économiques et sociaux fondamentaux.

Lacunes juridiques

Une autre objection de principe majeure porte sur les compétences exceptionnelles accordées au gouvernement ou à la BDL, qui se trouvent ainsi habilités à restreindre par voie de décrets et de règlements la liberté des déposants de disposer de leurs dépôts, alors même que de telles restrictions se heurtent au principe de la liberté économique prévue par la Constitution. Or de telles dispositions relèvent de la compétence exclusive de la loi exceptionnelle et temporaire édictée par le Parlement et il n’est pas permis d’élargir les cadres de son application par des décrets ou décisions émis par le pouvoir exécutif (le gouvernement) ou l’autorité réglementaire (la BDL). Il est en outre impératif de préciser au sein de cette loi d’exception les différents mécanismes garantissant la transparence, les modalités de contrôle de son application et la sanction des violations de ses dispositions.

Il est également regrettable qu’aucun de ces projets de loi ne prévoie la suspension de l’application des dispositions du droit commun qui vont à l’encontre de régime d’exception, ce qui pourrait conduire à des conflits de normes entraînant de vains litiges judiciaires entre les citoyens et les banques, comme cela est déjà le cas dans la situation actuelle de contrôle informel des capitaux découlant des mesures que les banques ont déjà prises à cet égard.

Enfin, la durée d’application de la loi sur le contrôle des capitaux, telle que définie dans les projets proposés – de six mois renouvelables par décret du gouvernement à trois ans, selon les textes qui la mentionnent, tandis que d’autres ne spécifient même pas cette durée – est trop longue pour une loi visant à établir des mesures nécessairement temporaires et exceptionnelles pour faire face à une situation d’urgence. Cette durée devrait être réduite à six mois ou un an au maximum et pourrait néanmoins être renouvelable en vertu d’une autre loi spéciale votée au Parlement, si les circonstances d’urgence devaient persister et l’exiger.

Réforme bancaire

Il convient par ailleurs de noter que la validité et l’efficacité de la loi sur le contrôle des capitaux dépendent de son insertion dans le cadre général d’une réforme du secteur bancaire, dans la mesure où c’est bien la mise en œuvre d’une telle réforme qui permettra de garantir effectivement le droit des déposants de disposer de leurs dépôts, sans restrictions, à l’expiration des mesures légales d’exception. Or, si les ébauches du plan de réforme du gouvernement qui ont fuité la semaine dernière font bien référence à une telle réforme, ses modalités restent vagues. À cet égard, il est impératif que les lois destinées à réformer le secteur bancaire incluent plusieurs dispositions spécifiques, visant notamment à assurer : la non-distribution des dividendes au moins pendant la période d’application de la loi sur le contrôle des capitaux ; l’augmentation progressive de leurs capitaux, et ce pour parer aux risques et pour couvrir les pertes; la création de réserves obligatoires à des taux élevés (par exemple 25 % en dollars au lieu de 15 % actuellement, ce taux de 25 % étant appliqué aux réserves liées aux dépôts en livres libanaises) pour garantir la restitution des dépôts en devises à l’expiration de la loi sur le contrôle des capitaux ; l’augmentation progressive des ratios de liquidité et de solvabilité afin de consolider les bilans des banques et de renforcer leur future capacité à répondre aux besoins de leurs clients sans restrictions ; et enfin la facilitation des fusions bancaires qu’imposent l’assainissement de ce secteur et la conformité aux exigences précitées.

Afin de répondre aux contraintes imposées par la situation économique et financière du pays tout en garantissant au mieux les droits des déposants et les besoins économiques et sociaux, et dans le but d’éviter les restrictions de fait et les conflits qui pourraient en résulter, il est par conséquent indispensable que le gouvernement s’attelle de toute urgence à l’adoption d’un projet de loi sur le contrôle des capitaux qui comble les lacunes majeures des projets qui lui ont été soumis jusqu’à présent.

Avocat en droit des affaires, bancaire et fiscal au barreau de Beyrouth

Depuis désormais six mois, les déposants libanais vivent sous le régime des mesures prohibitives que les banques ont mis en place, en accord avec la Banque centrale (BDL), pour limiter certaines opérations bancaires. Censé être temporaire, ce régime informel de contrôle des capitaux heurte la propriété individuelle et le système de la liberté économique, consacrés par la...

commentaires (6)

Il est hors de question que les avoirs en Dollars des deposants de comptes en Devises soient convertis en monnaie de singe, a savoir en Livre Libanaise. Apres l’arnaque nationale de Solidere, voila que les Banques veulent arnaquer a nouveau le citoyen et faire main mise sur les depots en devises des epargnants. Cette mesure abusive et malhonnête doit être discutée publiquement et réfutée catégoriquement. Il semble que le gouvernement en complicité avec les banques sous prétexte de discussions et de declarations contre le Haircut ou Capital Control soit entrainde faire passer cette couleuvre de conversion obligatoire qui signerait la faillite et la destruction de millers de deposants et de familles au Liban. Plus personne au monde ne fera confiance aux Banques Libanaises apres cette malversion si elle aurait lieu. A bon entendeur salut.

Cadige William

11 h 47, le 30 avril 2020

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Commentaires (6)

  • Il est hors de question que les avoirs en Dollars des deposants de comptes en Devises soient convertis en monnaie de singe, a savoir en Livre Libanaise. Apres l’arnaque nationale de Solidere, voila que les Banques veulent arnaquer a nouveau le citoyen et faire main mise sur les depots en devises des epargnants. Cette mesure abusive et malhonnête doit être discutée publiquement et réfutée catégoriquement. Il semble que le gouvernement en complicité avec les banques sous prétexte de discussions et de declarations contre le Haircut ou Capital Control soit entrainde faire passer cette couleuvre de conversion obligatoire qui signerait la faillite et la destruction de millers de deposants et de familles au Liban. Plus personne au monde ne fera confiance aux Banques Libanaises apres cette malversion si elle aurait lieu. A bon entendeur salut.

    Cadige William

    11 h 47, le 30 avril 2020

  • On a toutes les lois qu'il faut et plus. Mais aussi on a toutes les gangs qu'il ne faut pas et beaucoup plus... Kelloun yaané absolument kelloun

    Wlek Sanferlou

    15 h 26, le 18 avril 2020

  • bien explique faut il encore convaincre les decideurs

    Helou Helou

    10 h 07, le 18 avril 2020

  • Dans ce domaine, tout ce que ce gouvernement a réussi à faire c’est de nommer des cabinets d’audit et d’experts à la pelle (encore de l’argent public gaspillé) alors qu’ils sont censés être des technocrates chacun spécialiste dans le domaine de son ministère ... De plus, ils réfléchissent à fond comment faire pour voler l’épargne des libanais pour couvrir leurs prédécesseurs dont ils semblent à l’évidence complices

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 30, le 18 avril 2020

  • C,EST LA -JUSTE- QUI NE SERA JAMAIS APPLIQUEE DANS CE PAYS AUX MULTIPLES CAVERNES ALIBABIENNES ET AUX ALIBABAS DE TOUS CALIBRES.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    13 h 41, le 17 avril 2020

  • """Ce manque de clarté et de transparence dans les dispositions et mécanismes prévus dans lesdits projets génère ...""" EXACTEMENT PAREIL A BEAUCOUP DE LOIS ET DE REGLEMENTS, MANQUE DE CLARTE VOULUE POUR JUSTEMENT POUVOIR NAVIGUER SELON LES INTERETS DU JOUR APPARTENANT AUX UNS ET AUX AUTRES

    Gaby SIOUFI

    11 h 14, le 17 avril 2020

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