« Nous voudrions demander officiellement au Conseil fédéral de la Suisse de nous aider dans notre lutte contre les politiciens, les hommes d’affaires libanais corrompus et leurs proches collaborateurs. Nous demandons formellement le gel de leurs avoirs en Suisse conformément à l’article 4 de la loi sur les biens illicites étrangers (FIAA), datant du 18 décembre
2015 (…). » C’est par ces mots que débute une lettre adressée par des représentants et groupes de la société civile libanaise à la Suisse, par le biais de son ambassade en France, en vue « de geler les avoirs de toute personne politiquement exposée soupçonnée de corruption au Liban ».
Les signataires de cette lettre sont le parti Beyrouth Madinati, l’avocate Nadine Moussa, l’Association libano-suisse, l’ONG Impact Lebanon, le Mouvement des citoyens libanais du monde (MCLM) et l’initiative Meghterbin Mejtemiin (Émigrés réunis). À cette lettre, envoyée aux autorités helvétiques le 24 février, fait écho une conférence de presse prévue aujourd’hui sur le parking des lazaristes à la place des Martyrs, à 11 heures, selon une annonce de Beyrouth Madinati. « La FIAA prévoit qu’en cas d’échec de l’entraide judiciaire – en raison de la détérioration du système judiciaire libanais (…) –, le Conseil fédéral est autorisé à engager une procédure – et à ordonner un gel de précaution – en prévision d’une éventuelle confiscation et de la restitution des avoirs de manière à améliorer les conditions de vie des habitants du pays d’origine (article 17) et le financement des programmes d’intérêt public (article 18)», lit-on dans ce document envoyé à l’ambassade de Suisse en France. La lettre étaye les raisons qui justifieraient une telle action, en se basant sur le contexte au Liban et en Suisse. « Le Liban souffre d’une corruption généralisée et de fuites fiscales à plusieurs niveaux, indiquent les associations. Selon Transparency International (2019), le pays est classé 137e sur 180 pays évalués. Depuis plus de 30 ans, les politiciens libanais et leurs riches associés se sont injustement enrichis par une myriade de stratégies corrompues. Celles-ci comprennent le détournement de fonds publics, l’attribution népotique de projets de travaux publics, l’empiétement sur les espaces publics à des fins privées ainsi que l’exploitation destructrice et la division du butin résultant de l’exploitation de l’environnement naturel et des ressources du pays. Nombre de ces violations ont été légitimées par l’exercice injustifié de l’autorité publique et les atteintes au pouvoir judiciaire. »
(Lire aussi : Contrôle des capitaux : des associations assignent l’Association des banques du Liban en justice)
Les signataires expliquent que ces abus sont à l’origine du grand mouvement de contestation qui a pris naissance le 17 octobre, ainsi que de l’effondrement économique et de la détérioration des conditions de vie des Libanais. « Le Liban fait face à un triple déficit : une dette publique en hausse, équivalente à 160 % du PIB, un déficit budgétaire en spirale du gouvernement (15 % du PIB) et un déficit de la balance des paiements avec une fuite des capitaux conduisant à un compte courant négatif, lit-on également dans le document. Les autorités fiscales, y compris le ministère des Finances, et les autorités monétaires, notamment la banque centrale, ont lamentablement échoué à protéger les biens publics et privés de leurs concitoyens. » Et d’ajouter : « Selon un communiqué publié par Samir Hammoud, chef de la commission de contrôle des banques de la banque centrale, près de 2,2 milliards de dollars ont été transférés des banques libanaises vers la Suisse entre le 17 octobre 2019 et le 14 janvier 2020. M. Hammoud a refusé d’enquêter sur l’origine de ces fonds, conformément à la demande du procureur général, sous prétexte de secret bancaire, et a lancé la balle dans le camp de la commission spéciale d’enquête. Nous soupçonnons que les politiciens ont utilisé cette faille, dans un contexte de contrôle officieux des capitaux, pour canaliser leur propre argent à l’étranger de manière “légale”. Cela a conduit à un effondrement de la confiance dans les autorités publiques et a rendu suspecte toute coopération d’entraide judiciaire via les canaux gouvernementaux. »
« Il est intolérable que les politiciens libanais, qui ont contribué à l’effondrement de notre pays, jouissent d’une quelconque impunité, encore moins d’enrichissement privé, et qu’ils bénéficient d’un traitement privilégié en termes de transferts et de rétention de fonds », poursuit le texte. « Le système judiciaire libanais est, lui, totalement affaibli et ne peut jouer correctement son rôle pour lutter contre la corruption en assumant ses responsabilités. Geler les avoirs des politiciens et de leurs proches contribuera grandement à restaurer la confiance et l’espoir d’une transition vers un ordre politique et économique juste et stable », ajoute le texte.
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Belle, noble, indispensable et légitime démarche. Souhaitons qu'elle aboutisse face au gang des voleurs de l'argent public, de la plage publique, des wakfs publics, des ressources publiques, des barrages publics, des hydrocarbures publics, du "vert et du sec" comme les sauterelles.
Un Libanais
14 h 27, le 27 février 2020