Longtemps considéré comme la colonne vertébrale de l’économie libanaise, le secteur bancaire est de plus en plus ciblé par des clients révulsés par les mesures de contrôle de capitaux qui leur sont imposées de façon unilatérale et informelle depuis cet été en plein contexte de crise économique et financière. Une colère qui gronde d’autant plus fort depuis que plusieurs banques ont durci, ces derniers jours, les restrictions imposées sur les retraits en dollars, réduisant parfois de moitié le montant mensuel que les clients sont autorisés à retirer.Cette situation a convaincu l’Association de protection des consommateurs (APC), dirigée par Zouhair Berro, et l’ONG Legal Agenda, cofondée par Nizar Saghieh, de solliciter la justice pour défendre les droits des déposants. Les deux organisations ont tenu hier une conférence de presse à Beyrouth pour présenter les grands axes de deux procédures lancées la semaine dernière.
Au civil et au pénal
Au civil d’abord, un recours devant le juge des référés de Beyrouth a été déposé par l’APC pour réclamer l’annulation des restrictions bancaires existantes, sous peine d’astreinte de plusieurs milliers de dollars par jour. La procédure vise l’Association des banques du Liban (ABL) ainsi que les trois plus importants établissements bancaires du pays en termes de dépôts et d’actifs – Bank Audi, BLOM Bank et Byblos Bank. Un référé est une procédure accélérée qui permet de demander des mesures provisoires pour des cas urgents. « C’est la première fois que l’APC lance une telle procédure contre une organisation professionnelle. L’objet de la démarche est d’obtenir le retrait de l’ensemble des mesures de contrôle des capitaux que les banques ont adoptées en dehors de tout cadre légal et de permettre à leur clients d’avoir librement accès à leurs dépôts », a déclaré Zouhair Berro. Legal Agenda, qui conseille l’APC sur le recours au civil, s’est, pour sa part, associé à la seconde procédure qui vise à assigner l’ABL au pénal pour association de malfaiteurs, une infraction définie par l’article 335 du code pénal libanais comme « l’entente orale ou écrite » entre au moins deux personnes conclue dans le but de commettre certains crimes. Selon Nizar Saghieh, des avocats qui défendent les droits des déposants se sont également associés à la plainte déposée au parquet. « Le fait que l’ABL ait décidé de porter atteinte aux droits des déposants en leur refusant certaines opérations alors que la loi ne lui donne aucune compétence pour le faire peut être assimilé à du vol. Même si les mesures de contrôle de capitaux sont légitimées après coup, l’infraction a été commise, donc son auteur doit être jugé et la victime indemnisée », résume Nizar Saghieh. Tout comme Zouhair Berro, il dénonce les traitements de faveur accordés par certaines banques aux gros déposants qui contrastent avec leur manque de flexibilité envers les clients plus modestes. Il ajoute enfin que les deux procédures ont autant pour but de rappeler les banques à l’ordre que de pousser la classe politique à prendre ses responsabilités sur ce dossier. « Il n’est pas normal que les députés aient laissé les banques faire tout ce temps. Il faut que le Parlement légifère sur le contrôle des capitaux, mais de façon à protéger les droits des déposants », expose-t-il encore. L’APC et Legal Agenda espèrent que la justice se prononcera rapidement sur les deux procédures lancées. Contactées par L’Orient-Le Jour, aucune des parties visées n’a souhaité faire de commentaires.
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Harmonisation sommaire
Fragilisée par des décennies de mauvaise gestion et de troubles politico-sécuritaires au niveau régional, la situation économique et financière du pays s’est brutalement dégradée en 2019 suite à la conjonction de plusieurs facteurs – dont l’incapacité des dirigeants à juguler une dette publique d’environ 90 milliards de dollars (150 % du PIB, un des pires ratios du monde). Très exposées à la dette, les banques ont réagi en mettant en place, chacune de son côté, des mesures de contrôle des capitaux qui se sont progressivement durcies depuis fin août, affectant drastiquement les transferts vers l’étranger ainsi que les retraits d’espèces en dollars.
Après avoir fermé leurs portes pendant environ un mois après le début des manifestations contre la classe politique, qui ont démarré le 17 octobre dernier, les banques ont ensuite sommairement harmonisé ces mesures qui enfreignent la loi ainsi que plusieurs principes défendus par la Constitution. L’absence de réaction des autorités a d’ailleurs poussé certains déposants à assigner leurs banques respectives en justice, généralement pour obliger ces dernières à libérer leurs dépôts. Aucune des procédures lancées n’a pour l’instant débouché sur une décision sur le fond. Les restrictions ont également été dénoncées par de nombreuses entreprises, des importateurs et des industriels principalement, qui rencontrent d’importantes difficultés pour payer leurs fournisseurs à l’étranger.
Autre conséquence majeure : les restrictions sur la circulation du billet vert ont dopé le taux livre/dollar chez les changeurs, où il navigue au-dessus de 2 000 livres depuis fin 2019, tandis que la parité officielle de 1 507,5 livre pour un dollar est toujours appliquée pour les transactions bancaires (avec une dizaine de livres de marge). Le 21 janvier dernier, le syndicat des bureaux de change a de plus annoncé avoir accepté de plafonner à 2 000 livres le taux de change à l’achat pour limiter la hausse du taux.
(Lire aussi : Les banques prévoient d’assouplir et d’organiser les mesures de contrôle des capitaux)
Taux du marché noir
Les acteurs de la filière sont toutefois nombreux à douter de l’efficacité de cette mesure si elle n’est pas accompagnée d’un assouplissement des restrictions sur la circulation du dollar. Le site lebaneselira.org qui suit l’évolution des taux depuis le début de la crise a d’ailleurs ajouté une nouvelle colonne sur ses tableaux dédiés à l’évolution du taux de change sur le marché noir (2 160 livres à l’achat et 2 175 à la vente hier).
Or c’est bien tout le contraire qui est en train de se passer : depuis vendredi, de nombreuses banques ont informé leurs clients de la baisse des plafonds de retraits d’espèces en dollars – qui ont été pour la plupart divisés par deux –, ainsi que des plafonds de paiement à l’international. Selon différents messages envoyés par les banques à leurs clients et consultés par L’Orient-Le Jour, celles-ci ont limité les retraits à 600 dollars par mois pour les titulaires de comptes de moins de 100 000 dollars, entre autres exemples. Les titulaires de comptes de plus d’un million de dollars se verraient, eux, imposer un plafond de retrait variant entre 2 000 et 3 000 dollars en fonction de la banque, si l’on en croit des informations partagées sur les réseaux sociaux où la colère des déposants explose. Plusieurs établissements ont enfin réclamé à leurs clients de solder en dollars les montants contractés via leurs cartes de crédit dans cette devise.
La possibilité que les recours lancés par l’APC aboutissent est néanmoins incertaine, d’autant que la BDL est sur le point, après des mois de louvoiement, d’entériner via une circulaire tout un ensemble de mesures sur lesquelles les banques se sont entendues la semaine dernière pour formaliser le contrôle des capitaux. La démarche a été parrainée par le nouveau gouvernement de Hassane Diab formé il y a deux semaines et la circulaire doit être publiée dans les jours à venir.
Selon une source juridique, le Code de la monnaie et du crédit permet en effet à la BDL de mettre en place des mesures de contrôle des capitaux pour protéger la monnaie locale et le système financier. Cette prérogative, que le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a demandé de pouvoir exercer dans un courrier adressé courant janvier au ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, reste cependant exceptionnelle et limitée dans le temps. Il reviendra ensuite au Parlement de voter une loi qui officialise et encadre strictement ces restrictions, afin de protéger aussi bien les banques que d’offrir des voies de recours aux clients face à celles-ci. Mais pour Nizar Saghieh, la compétence de la BDL ne peut plus être exercée dans le contexte actuel et seule une « loi équitable » pourra légitimer certaines des restrictions mises en place.
La BDL mise sur le paiement mobile pour limiter la pression sur les liquidités
C'est surtout la banque centrale qu'il faudrait assigner en justice. Après tout c'est la BDL qui ne débloque pas les liquidités aux banques. Et ceci pour financer les gaspillages du "gouvernement". Ne pas se tromper de cible...
14 h 13, le 05 février 2020