Alors que le soulèvement populaire vient à peine de boucler son quatrième mois d’existence, la répression enfle et se fait plus pressante, dans une volonté évidente de restreindre la liberté d’expression et d’étouffer la contestation. L’icône féminine de la révolution, Malak Alaywe Herz, désormais célèbre pour ce fameux coup de pied qu’elle a envoyé le 17 octobre dernier, premier jour de la révolte, dans les parties intimes du garde du corps du ministre de l’Éducation de l’époque, armé d’une kalachnikov, a été appelée à se présenter devant le tribunal militaire pour coup porté à un officier et outrage à la réputation de l’institution militaire. Et un lycéen de 16 ans et demi qui prend part aux manifestations a, quant à lui, été convoqué aujourd’hui par les services de renseignements de l’armée à Rihaniyé (Mont-Liban), pour des raisons inconnues. Enfin, onze contestataires du Akkar, dans le nord du pays, considérés comme la colonne vertébrale du mouvement révolutionnaire de la région, ont également été convoqués par la police criminelle centrale pour leur implication présumée dans un acte de vandalisme contre une permanence du Courant patriotique libre, parti politique fondé par le chef de l’État, Michel Aoun.
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« Je n’ai pas peur »
Dans une vidéo publiée en soirée sur Facebook avec son mari Mohammad, Malak Alaywe a réagi à sa convocation en affirmant être « fière » de son acte et en remerciant tous ceux qui la soutiennent. « Je n’ai pas peur, dit-elle, car je suis auprès d’un homme qui combat la corruption et le pouvoir », avant de rappeler que « la révolution est femme ». Le couple annonce aussi « son come-back au cœur de la révolution » qu’il avait « désertée parce que squattée par les partis au pouvoir ». Plus tard, à la chaîne LBCI, la militante a expliqué que le coup qu’elle avait assené au garde du corps du ministre Akram Chehayeb n’était autre qu’un geste de colère « contre le phénomène des convois (d’hommes politiques), les provocations et les menaces contre le peuple et l’État policier ». Les convocations de la part des divers services sécuritaires de militants pleuvent au quotidien depuis quatre mois. « Elles augmentent même en fréquence », constate l’avocat Mazen Hoteit, membre du Comité d’avocats de défense des manifestants au Liban, dénonçant « des services sécuritaires sous influence des partis au pouvoir ». Estimant à « une vingtaine » le nombre moyen de convocations par semaine, il indique que la grande majorité d’entre elles font suite à des publications ou même des likes sur les réseaux sociaux, qui critiquent généralement le pouvoir ou dénoncent les mesures restrictives prises par les banques à l’égard des déposants. « Nombre de convocations sont aussi liées à des actes de vandalisme contre des permanences de partis politiques au pouvoir, de distributeurs de billets bancaires ou de devantures de banque », note-t-il, interrogé par L’Orient-Le Jour.
Également membre du Comité d’avocats de défense des manifestants au Liban, Ghida Frangieh juge de son côté la convocation d’un mineur « particulièrement dangereuse », d’autant que « le lycéen est en période d’examens », regrette-t-elle. Et de manière générale, elle condamne « ces convocations injustes et en augmentation à l’encontre de contestataires qui ont recours à la désobéissance civile pour exprimer leur colère contre le pouvoir ». « Les manifestants sont sanctionnés et convoqués par cette même classe politique qui a violé leurs droits et volé leur argent », gronde l’avocate. Elle s’insurge aussi contre « cette volonté du pouvoir de déployer toutes ses ressources contre des manifestants qui ne font qu’exprimer leur refus, au lieu de se pencher sur les dossiers de corruption et d’œuvrer à l’intérêt général ».
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« Ils veulent saper notre mouvement »
Concernant la convocation de onze contestataires du Akkar, Firas Abdallah, un membre de « la tente révolutionnaire de Halba », contacté par L’OLJ, estime que cette mesure n’est autre qu’une tentative du pouvoir de mettre fin à la contestation dans cette région. « Ils veulent saper notre mouvement et font pression sur nous pour nous intimider, alors que nous n’avons absolument rien à voir avec le saccage de la permanence du CPL », martèle-t-il. Et de rappeler, au passage, que les critiques des contestataires contre le pouvoir sont bien fondées. « Nous avions mis en garde contre l’effondrement financier et dénoncé le règne des banques », conclut-il. Mazen Hoteit est aussi l’avocat des onze contestataires du Akkar. Les protestataires n’ont rien à voir avec le saccage de la permanence du CPL, assure-t-il, ajoutant qu’ils se trouvaient ailleurs au moment de l’acte. Il condamne dans ce cadre « une convocation inadmissible, illégale, destinée à faire peur aux contestataires et à leur entourage, à briser aussi leur détermination, alors que le pays s’effondre et que la population est en colère et sous pression ». Me Hoteit ne manque pas de montrer du doigt « un État policier et un pouvoir répressif qui ont échoué à protéger les manifestants des agresseurs (baltagis) proches des partis au pouvoir ». « Cette convocation implique aussi pour ces protestataires au chômage de se rendre à Beyrouth et de payer des transports, alors qu’ils n’en ont pas les moyens financiers », déplore-t-il.
Les manifestants promettent déjà de hausser le ton contre la répression. Observateur du mouvement de contestation populaire, Wadih el-Asmar, président du Centre libanais pour les droits humains (CLDH), condamne le comportement des autorités. « En ayant recours à la répression pour faire peur aux révolutionnaires, le pouvoir se comporte comme s’il s’agissait d’un problème sécuritaire et néglige le ras-le-bol de la population qui voit son pouvoir d’achat diminuer et ses salaires amputés », déplore-t-il. M. Asmar se dit aussi « inquiet ». Car « les vraies violences, celles commises par les proches du pouvoir contre manifestants, n’ont jamais été sanctionnées. Et cela ne peut qu’engendrer un sentiment d’injustice ».
Pour mémoire
« Une campagne est clairement menée contre les militants », estime Wassef Haraké
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Entre temps les chemises noires en bâton ne sont pas inquiétés. Et ils disent qu’ils veulent construire un vrai pays. Ce qui va se passer c’est que le peu d’élite intellectuelle va quitter le navire qui coule. Seuls les gorilles bêtes et méchants à la solde des mafieux resteront. Ils ne pourront d’ ailleurs bientôt plus leur payer avec l’argent volé à l’état ordinaires. Un future à choisir entre le Venezuela et la Somalie
Liban Libre
12 h 45, le 20 février 2020