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Environnement - Agriculture

Haro des experts sur l’usage anarchique des antibiotiques dans l’élevage

L’emploi de la colistine pour les volailles renforce la résistance à ce produit, considéré comme l’un des derniers bastions de défense contre les bactéries multirésistantes.

Une étude menée sur des échantillons d’excréments de poules dans des fermes au Liban-Nord, au Liban-Sud et dans la Békaa concluent à la présence du gène résistant à la colistine mcr-1 dans l’environnement et le secteur agricole. Photo Bigstock

Le recours dans les élevages des animaux de rente aux antibiotiques ou autres médicaments pour accélérer leur croissance est un secret de polichinelle. Depuis quelques jours toutefois, des informations concernant le recours à la colistine, un antibiotique, chez les volailles au Liban suscite l’inquiétude des consommateurs.

À l’origine de ces appréhensions un article publié récemment dans la presse locale, selon lequel les éleveurs de volaille ont un accès libre à cet antibiotique. Selon le texte, qui rapporte une conférence donnée en octobre dernier à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation (FAFS) à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), la large utilisation de la colistine dans les élevages a renforcé la transmission aux consommateurs de la viande de volaille ou des œufs de gènes résistants aux antibiotiques.

Issmat Kassem, professeur associé en sécurité sanitaire des aliments et en microbiologie alimentaire, auteur des études présentées lors de cette conférence, affirme que ses travaux visent à tirer la sonnette d’alarme sur l’antibiorésistance, de plus en plus inquiétante au Liban comme partout ailleurs dans le monde, et sur la présence du gène résistant à la colistine mcr-1 dans l’environnement et le secteur agricole. « Il n’a jamais été question dans la conférence de la viande de volaille, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. Les résultats auxquels je suis parvenu sont alarmants et les autorités concernées doivent agir et prendre les mesures nécessaires pour contrer le problème. »

La colistine est un ancien antibiotique dont les premières utilisations remontent aux années 1950. « Vu sa haute toxicité et ses effets délétères sur les reins, il a été retiré du marché une fois que de nouvelles classes d’antibiotiques, hautement plus efficaces, ont été développées, constate le Dr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses. Il y a quelques années, la colistine a été ressortie du placard comme dernier recours contre les germes multirésistants, principalement les acinétobacter. » Ces bactéries sont trouvées généralement dans l’environnement, comme dans la terre et l’eau et sont à l’origine d’infections hospitalières. Elles peuvent également « coloniser » l’organisme, principalement les plaies ouvertes ou les voies respiratoires, sans pour autant entraîner une infection, expliquent les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention – CDC). « Ces bactéries trouvent toujours un moyen pour éviter les effets des antibiotiques, précise le Dr Mokhbat. Nous ne disposons plus d’antibiotiques efficaces contre elles. »

Dans le monde vétérinaire, la colistine est utilisée par voie orale, principalement pour traiter les diarrhées et une infection causée par des bactéries E-coli non invasives.



Un médicament important pour l’homme
« Jusqu’en 2015, on pensait que la résistance à la colistine était faible, explique M. Kassem. Toutefois, lors d’un projet de surveillance mené en Chine sur l’antibiorésistance, une souche d’E-coli a été isolée chez un cochon. Elle hébergeait le premier gène résistant à la colistine. Baptisé mcr-1 (mobile colistin resistance ou résistance mobile à la colistine), il a été prouvé que ce gène se transmet de façon latérale entre les bactéries. »

Du fait de son efficacité sur les infections bactériennes pharmaco-résistantes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ajouté en 2012 la colistine à la liste des médicaments ayant une importance critique pour l’homme. Parallèlement, des appels ont été lancés à limiter son utilisation dans la production animale et agricole.

Dans le cadre de ses recherches, Issmat Kassem s’est particulièrement intéressé à la présence du gène résistant mcr au Liban, « en raison de la pollution, l’infrastructure fragile et l’accès aux antibiotiques sans prescription ». Les études qu’il a menées dans ce cadre ont été publiées dans des revues aussi prestigieuses que Travel Medecine and Infectious Diseases, Antimicrobial Agents and Chemotherapy et International Journal of Antimicrobial Agents.

Le chercheur et son équipe ont trouvé sur le marché libanais douze produits vétérinaires qui contiennent de la colistine « essentiellement utilisés dans les élevages de volaille et autres animaux de rente ». Ils ont également trouvé qu’entre 2010 et 2017, l’importation de la colistine pour l’usage chez l’homme a presque quintuplé. « Cela montre à quel point nous dépendons de ce médicament pour lutter contre les infections », insiste M. Kassem.

Dans une autre étude, le chercheur et son équipe ont collecté des échantillons d’excréments de poules dans des fermes au Liban-Nord, au Liban-Sud et dans la Békaa, à la recherche essentiellement du gène mcr. « Nous n’avons pas inclus dans l’étude la viande de poulet, parce que la colistine administrée par voie orale est peu absorbée par le tube digestif. Donc, les résidus de la colistine seront faibles dans cette viande. Ce qui n’est pas le cas des excréments où une forte concentration de cet antibiotique peut être détectée. »

Les résultats sont inquiétants. « Dans 98 % des bactéries E-coli isolées, nous avons trouvé le gène résistant mcr-1, précise M. Kassem. Ces bactéries étaient également multirésistantes à au moins trois autres classes d’antibiotiques. »


Un problème à l’échelle mondiale
Les travaux effectués par M. Kassem et son équipe ont également montré que des bactéries E-coli porteuses du gène mcr-1 se trouvaient également en grande proportion dans l’eau d’irrigation au Liban, mais aussi dans l’eau potable, l’eau de puits et les eaux usées dans les camps des réfugiés syriens. « Nous avons également trouvé ce gène dans les excréments de la population libanaise, précisément dans ceux d’un enfant de moins de deux ans », souligne M. Kassem. Et de conclure : « Toutes les études que j’ai menées sur le gène mcr-1 ont montré que celui-ci est très répandu au Liban. Ce qui signifie que les risques qu’il soit transmis aux pathogènes bactériens humains sont énormes. Il est impératif d’entreprendre une action pour contrer le problème. Il faut que le recours à cet antibiotique soit banni et strictement régulé dans le secteur agricole et dans les élevages, comme c’est le cas dans d’autres pays. Toutefois, comme au Liban les mécanismes de surveillance de l’usage des antibiotiques sont déficients, il est plus prudent d’interdire le recours à la colistine dans l’élevage. Il est également nécessaire de mettre en place des recommandations strictes pour l’usage de cet antibiotique chez l’homme. »

« L’utilisation des antibiotiques dans le monde animal représente un facteur très important dans la sélection des germes résistants dans la nature, déplore le Dr Mokhbat. À cela s’ajoute la prise chaotique d’antibiotiques, ce qui aggrave encore plus cette résistance, d’autant que les germes résistants sont transférés d’une bactérie à une autre. Ce qui est effrayant c’est que la résistance à la colistine devient un problème à l’échelle mondiale, alors que cet antibiotique est pratiquement un de nos derniers bastions de défense contre les bactéries multirésistantes. Nous ne pouvons pas nous permettre de le perdre. »

En réponse à l’article paru dans la presse locale, le syndicat libanais des volailles a affirmé que « la colistine n’est pas disponible sous une forme qui peut être mélangée au fourrage, mais uniquement à l’eau et ce conformément à une décision publiée par le ministère de l’Agriculture en 2016, interdisant l’importation de ce médicament et son usage comme facteur de croissance ».

Moussa Freiji, président du syndicat, explique à L’OLJ que « les propriétaires des fermes de volaille se conforment à une décision conjointe des ministères de l’Agriculture et de la Santé publique qui autorise l’usage de la colistine dans l’eau, à condition d’arrêter ce médicament dix jours avant l’abattage ».

Le recours dans les élevages des animaux de rente aux antibiotiques ou autres médicaments pour accélérer leur croissance est un secret de polichinelle. Depuis quelques jours toutefois, des informations concernant le recours à la colistine, un antibiotique, chez les volailles au Liban suscite l’inquiétude des consommateurs.À l’origine de ces appréhensions un article publié récemment...

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