Le président libanais, Michel Aoun, a présidé le 20 janvier 2020 une réunion de sécurité à Baabda. Photo ANI
C’est finalement sans le Premier ministre sortant Saad Hariri que la réunion sécuritaire s’est tenue hier à Baabda, pour évaluer la situation à la lumière des derniers dérapages qui se sont produits dans le centre-ville de Beyrouth le week-end dernier. Ces heurts entre manifestants et forces de l’ordre ont fait quelque 500 blessés en deux jours.
La réunion sécuritaire, à laquelle ont pris part les hauts gradés des différents services de sécurité et de l’armée ainsi que les ministres de la Défense, Élias Bou Saab, et de l’Intérieur, Raya el-Hassan, est la première du genre depuis le début du mouvement de révolte. À trois reprises, le chef de l’État Michel Aoun avait souhaité réunir auparavant le Conseil supérieur de défense sans y parvenir, notamment à cause du refus de M. Hariri d’y prendre part.
Ce dernier avait laissé entendre plus d’une fois que la solution au mouvement de contestation populaire, qui a débuté le 17 octobre dernier, ne peut être de type sécuritaire, mais plutôt politique, et passe par la mise sur pied sans plus tarder d’un gouvernement qui réponde aux aspirations des protestataires.
À l’issue de la réunion de Baabda qu’il présidait, et dont les détails sont restés confidentiels, Michel Aoun a effectué une distinction entre les manifestants pacifiques et les « fauteurs de troubles ». « Il faut distinguer entre les manifestants pacifiques et ceux qui commettent des actes de vandalisme et des agressions », a affirmé le président Aoun lors de la réunion, selon un tweet diffusé par le palais présidentiel
Selon notre correspondante à Baabda Hoda Chedid, les chefs des services de sécurité ont partagé des rapports sur les événements les plus marquants survenus depuis le 17 octobre et analysé le phénomène des « infiltrés » dans les rangs des manifestants « qui commettent des actes de vandalisme et s’en prennent aux forces de sécurité ».
Toujours selon ces informations, il a été décidé lors de cette réunion de « protéger les manifestants pacifiques ainsi que les biens publics et privés, de réprimer les fauteurs de troubles au sujet desquels les services de sécurité disposent d’informations détaillées et de coordonner avec le pouvoir judiciaire pour appliquer les lois en vigueur ».
Le président Aoun a en outre demandé aux services de sécurité de coordonner de manière continue leur action dans le cadre de la salle d’opérations conjointes.
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Hariri revient à la charge
De son côté, Saad Hariri est revenu à la charge hier pour justifier indirectement son refus de prendre part à cette réunion, estimant que le fait de « continuer à travailler avec un gouvernement de gestion des affaires courantes n’est pas la solution ». M. Hariri a réitéré son appel aux formations chargées de la mise sur pied du nouveau cabinet, les invitant à « cesser de perdre leur temps ».
« Mon gouvernement a démissionné pour permettre une transition vers un nouveau cabinet, qui réponde aux aspirations populaires, mais les perturbations sont toujours de mise alors que le pays va vers l’inconnu », a twitté Saad Hariri. Et le chef du courant du Futur d’insister sur l’importance de former « rapidement un nouveau gouvernement qui puisse au moins colmater les brèches, stopper l’effondrement du pays et ses répercussions économiques et sécuritaires qui s’accumulent jour après jour ».
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Cellule de crise
D’anciens militaires estiment que cette réunion aurait dû se tenir beaucoup plus tôt ; il fallait intervenir en amont et surtout planifier une meilleure coordination pour éviter les dérapages et les bévues de part et d’autre.
« Une situation aussi délicate requiert une réunion du gouvernement et la mise en place d’une cellule de crise qui se réunisse chaque jour », commente le général Sami Rammah, officier à la retraite. Il critique au passage le terme d’« éléments infiltrés » utilisé par Baabda comme si, dit-il, « les renseignements n’avaient pas les moyens d’identifier les fauteurs de troubles ».
Chamel Roukoz, député et ancien officier de l’armée, dénonce de son côté une coordination « venue tardivement » et l’absence d’un plan stratégique défini en amont pour contenir les débordements et réduire les risques de chaos. « Il y avait certes un minimum de coordination entre les services de l’ordre et l’armée, mais elle était insuffisante », commente M. Roukoz. Selon lui, la brigade antiémeute n’a sollicité le renfort de l’armée qu’en dernière minute, lorsque les dégâts étaient devenus trop importants et la situation incontrôlable. « C’est le prix à payer pour le laxisme politique ambiant », dit-il
L’ancien militaire écarte l’éventualité d’une intervention musclée dirigée contre les manifestants, après la réunion de Baabda, et évoque des « opérations ponctuelles pour mater les fauteurs de troubles, qui sont certainement connus des services de renseignements ».
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Et maintenant les balles en caoutchouc...
commentaires (6)
oui fort possible, Amal Hezb ?
Jack Gardner
10 h 55, le 21 janvier 2020