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Liban - Rétrospective 2019

L’environnement, star des places de la révolution

Entre opérations de nettoyage, débats publics, manifestations devant des sites controversés, expositions artistiques... les problématiques environnementales se sont imposées dans la dynamique de la contestation. À quand des politiques gouvernementales adaptées et la reddition de comptes pour les erreurs passées ?

Des volontaires rassemblés autour de sacs de déchets collectés dans les rues du centre-ville de Beyrouth, le 20 octobre 2019, au 4e jour de manifestations anticorruption. Photo d’archives/ Association du marathon de Beyrouth (BMA)

« Tous sans exception ! » Qui se souvient que ce slogan avait été entendu pour la première fois en 2015, quand la crise des déchets avait provoqué un premier soulèvement de courte durée à Beyrouth ? Ce même slogan a été repris instantanément par les manifestants dans la soirée du 17 octobre 2019, poussés à la rue par une série de nouvelles taxes envisagées par le gouvernement. Ce cri du cœur contre toute une classe politique, de la part de larges franges de la population libérées des carcans confessionnels, crée un pont entre ces deux crises, l’une écologique et sanitaire, l’autre économique. Avec un mot d’ordre : la lutte contre la corruption.

Il n’est donc pas surprenant, dans ce contexte, que les problématiques environnementales se soient imposées au cœur de la révolte populaire née en octobre 2019, au même titre que les inquiétudes économiques et financières, et les revendications sociales diverses. L’intérêt pour l’environnement s’y est manifesté de plusieurs manières.

Au cours des premières semaines de la révolte populaire, une image forte a marqué les esprits : des protestataires, hommes, femmes et enfants, balayant chaque matin les rues et les places de la révolte, triant les déchets avant de les envoyer à des associations spécialisées. En agissant ainsi, la population libanaise a non seulement donné l’exemple d’un soulèvement civilisé et responsable, mais elle a balayé en quelques instants des années d’allégations trompeuses, qui visaient à faire croire que les Libanais avaient si peu de conscience environnementale qu’il était inutile de leur demander d’exécuter une simple tâche comme celle de trier leurs déchets. Ce dans le but évident de préférer aux solutions simples et pratiques l’importation de technologies complexes et chères comme l’incinération des déchets, accompagnée des contrats juteux et donc convoités…

Ces gestes spontanés des manifestants ont donné naissance, sur les places de la révolution, à des initiatives plus organisées comme la « Green Tent » ou encore « Regenerate Lebanon », un site mettant en exergue l’énergie renouvelable et d’autres initiatives écologiques et visant à sensibiliser la population aux bonnes pratiques.


(Lire aussi : À Chekka, un sapin de Noël entièrement conçu en bouteilles en plastique)



Dans les débats

Les problématiques environnementales ne se sont pas manifestées que dans les actes. Dans le cadre du grand sursaut populaire, elles ne pouvaient que faire partie intégrante des débats qui ont été organisés un peu partout. Parmi les dossiers fréquemment débattus, celui de l’occupation illégale du littoral et d’autres lieux publics du pays, résultat de la corruption généralisée et du clientélisme, et cause de la dégradation de nombreux milieux naturels.

Les débats, mais aussi des actions de contestation, se sont multipliés au cours des semaines de révolte populaire. Mais alors que des mouvements similaires ne mobilisaient, avant la révolte populaire, que quelques dizaines de personnes, ces manifestations ont rassemblé de nombreux mécontents. On peut citer les sit-in contre l’hôtel Eden Bay, construction controversée en pleine Ramlet el-Baïda, seule plage publique de la capitale, ou encore Zaitounay Bay sur la façade maritime de Beyrouth, les centrales électriques polluantes du pays (à l’instar de Zouk, au Kesrouan, ou de Jiyeh, dans l’Iqlim), les décharges côtières, les carrières de Chekka… Les manifestants en colère ont dénoncé, suivant les cas, la privatisation des lieux publics, la dégradation des milieux naturels, les atteintes à la santé des riverains, le gaspillage des deniers publics par des particuliers au détriment de l’intérêt général, etc.

Un dossier a attiré tout particulièrement l’attention sur les places à Beyrouth grâce au dynamisme de ses défenseurs : celui de la lutte contre un barrage prévu dans la belle vallée verte de Bisri, entre Jezzine et le Chouf. Les défenseurs de Bisri avaient non seulement leur tente sur la place des Martyrs au début du soulèvement, mais ils ont décidé de déplacer leur mouvement sur le site même : leur arrivée fracassante à l’emplacement des travaux à Bisri, où l’abattage d’arbres centenaires avait commencé sous l’impulsion de l’entrepreneur et du Conseil du développement et de la reconstruction, chargé du contrat, a débouché sur un arrêt des travaux et le retrait des véhicules par l’entrepreneur. C’était un symbole fort, même s’il a valu à ses acteurs principaux de se retrouver devant la justice, suite à une plainte de l’entrepreneur. L’affaire de Bisri a contribué à ouvrir les yeux sur le chaos en matière de gestion de l’eau dans le pays. Une mauvaise gestion qui se traduit notamment par la construction de barrages mal conçus.


(Lire aussi : Le Liban se révolte avec une attitude écologique)



Un pas franchi

Nombreux sont les exemples d’actions écologiques menées dans le cadre de la révolution, comme cette conférence sur la dimension politique des dossiers environnementaux tenue par l’Alliance civile pour l’environnement, cette exposition d’art organisée par la Coalition civile des déchets ménagers, ou encore cette statue composée de déchets recyclables, érigée par l’architecte Pierre Abboud sur la place des Martyrs, représentant une femme révolutionnaire.

Mais au-delà de ces initiatives, l’écologie s’est retrouvée au cœur des esprits des révolutionnaires en raison de l’effarante dégradation environnementale et son lien avec les milliards de dollars envolés. Ce n’est pas un hasard si les « parrains » des contrats de gestion des déchets sont si souvent cités par les révolutionnaires comme des figures majeures de la corruption, ou encore les propriétaires de carrières gigantesques, les « violeurs » des espaces publics, les faiseurs de barrages destructeurs et controversés… et leurs « protecteurs » politiques. Le lien entre dégradation environnementale et corruption politique a été définitivement fait en 2015. Depuis la révolte populaire du 17 octobre, il se renforce désormais par l’action sur le terrain et le débat public sur les places, amplifié par les réseaux sociaux. Mais le plus difficile est à venir : il faudra dorénavant intégrer une vision globale et réfléchie de l’écologie et du développement durable, née de l’activisme écologique et respectueuse de l’intérêt public (loin de la démagogie), dans les politiques des futurs gouvernements. Et qu’importe si des divergences existent toujours au sein de la société civile, le débat a été transposé dans la rue, après avoir été monopolisé par les dirigeants durant des années.

Une graine, semée depuis longtemps, a germé. Il s’agit de ne pas la laisser périr.



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commentaires (2)

Merci Suzanne pour cet article espsérons visionnaire. Oui la jeunesse libanaise nous démontre que leur révolution est aussi écoligique et qu'ils veulent un Liban propre et sain; un Liban nouveau. Ils veulent renverser la table et ils ont raison.

PPZZ58

18 h 21, le 29 décembre 2019

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Commentaires (2)

  • Merci Suzanne pour cet article espsérons visionnaire. Oui la jeunesse libanaise nous démontre que leur révolution est aussi écoligique et qu'ils veulent un Liban propre et sain; un Liban nouveau. Ils veulent renverser la table et ils ont raison.

    PPZZ58

    18 h 21, le 29 décembre 2019

  • Je ne suis pas Libanais mais vu le fait que j'ai visite Bisri (proche de Saida) je suis critique ou sceptique de l'idee du barrage de Bisri ... J'espere qu'on regarde bien si il n'y a pas d'alternatives. Je dois dire que je pense pourtant aussi que la problematique est complexe et que ce n'est pas seulement la faute des politiciens mais aussi simplement des Libanais, c.a.d. des gens eux meme ! Si on pense que le 4x4 de David Frem n'est pas une voiture tres 'ecologique' il faut avouer que le reve de la plupart des manifestants libanais c'est de conduire un grand 4x4 (comme celui de https://www.lorientlejour.com/article/1121761/lingenieur-david-frem-devoile-un-nouveau-4-x-4-made-in-lebanon-.html) et ce n'est pas simplement une problematique de politiciens mais aussi de attitude / culture des Libanais.

    Stes David

    18 h 11, le 28 décembre 2019

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