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Moyen Orient et Monde - Manifestations

Quand le pouvoir algérien instrumentalise la Kabylie

Alors que les Kabyles soutiennent pleinement le Hirak, le régime a diffusé de nombreuses rumeurs les accusant de manipuler la contestation.

Des manifestants brandissant le drapeau amazigh et le drapeau algérien lors des marches du 21 juin 2019, à Alger. Ryad Kramdi/AFP

En Kabylie, le taux de participation à l’élection présidentielle du 12 décembre dernier a été le plus faible du pays, avec officiellement seulement 0,02 % à Tizi Ouzou et 0,12 % à Bejaia. Depuis les débuts du « Hirak », cette région est la plus fortement mobilisée, mais également la cible d’attaques du régime, en raison de son histoire de contestation qui remonte à l’indépendance du pays.

La révolte du 22 février a cristallisé les tensions entre le pouvoir et la région berbère. Dès le début des manifestations, la Kabylie, région de 8 millions d’habitants située au nord du pays, est prise pour cible par le régime. En juin, Gaïd Salah, homme fort de l’armée, interdit le port du drapeau amazigh (berbère) dans les manifestations. « Le système voulait kabyliser le Hirak dès le départ, afin de faire croire que la révolte était kabyle plutôt qu’algérienne. Cela a eu l’effet inverse, car cet événement a créé une réconciliation nationale au niveau de l’identité », affirme Nazim Zaidi, secrétaire national à la jeunesse du parti UDS (Union démocratique et sociale).

Beaucoup sont arrêtés, tels que Khaled Ouidir, incarcéré le 21 juin pour avoir brandi le drapeau. Le 11 novembre, il est condamné à un an de prison et sa photo est affichée partout sur les murs de la wilaya de Bejaia. « Le gouvernement, en interdisant le drapeau amazigh, avait pour but de créer des divisions internes, en voulant ostraciser une région », explique Louisa Aït Driss Hamadouche, politologue à Alger. « Or cela a provoqué le résultat inverse : si dans les grandes villes on ne le voit plus, il est toujours brandi dans d’autres régions qui n’ont pourtant aucune revendication amazighe initialement », poursuit-elle.


(Lire aussi : Les divisions du Hirak, une aubaine pour le pouvoir algérien ?)



Une école de formation contre le système

Si le Hirak n’est pas spécifiquement kabyle, la Kabylie est pleinement investie dans le mouvement de contestation. Fer de lance de la reconnaissance de l’identité amazighe, ce coin du pays a acquis au fil de l’histoire la réputation de région frondeuse. « Je ne pense pas que nous soyons la région la plus mobilisée, je crois que nous sommes la région où il y a le plus de militants, car la Kabylie a été une école de formation contre le système », observe Nazim Zaidi. Longtemps marginalisée par le régime, la Kabylie a été le théâtre de nombreux soulèvements depuis les années 1980. Ses habitants s’étaient déjà révoltés en 1980 lors du « printemps berbère » pour réclamer l’officialisation de leur langue, puis à nouveau en 1998, suite à l’assassinat du chanteur Lounès Matoub, militant de la cause amazighe. En 2001, les Kabyles se soulèvent une nouvelle fois contre la présidence de Abdelaziz Bouteflika, alors au pouvoir depuis deux ans. Ces années d’opposition au régime ont conféré à cette région une image rebelle. « Ma génération en Kabylie a grandi sous le slogan “pouvoir assassin”. C’est pourquoi il y a une certaine maturité politique dans cette région, due à un processus historique remontant à 1963 », raconte Nazim Zaidi.

À la veille de l’élection du 12 décembre, la Kabylie s’est mobilisée en masse pour empêcher ce scrutin. Aucun des cinq candidats à l’élection n’a osé s’y aventurer pendant la campagne présidentielle. À la place des affiches des candidats, on trouve des photos de militants arrêtés depuis le début des manifestations. Des bureaux de vote sont saccagés, emmurés ou cadenassés, et les maires de la région coordonnent leurs actions contre les élections : les citoyens de la Kabylie ne se sont tout simplement pas rendus aux urnes.

Le taux de participation national officiel est de 40 %, mais ce chiffre est contesté par de nombreux experts, pour qui le taux de participation à l’élection a été manipulé. « Il y a une constante : les grandes villes votent très peu, et la Kabylie encore moins. Mais en réalité, les chiffres réels prouvent que la différence entre la Kabylie et les autres régions n’est pas si grande », observe notamment Louisa Aït Driss Hamadouche. « La différence, c’est qu’en Kabylie, certains bureaux de vote étaient physiquement fermés », poursuit-elle. Dans la wilaya de Bejaia, seuls deux maires étaient favorables aux élections. « La stratégie est simple : en donnant des taux aussi différents, le pouvoir veut faire croire que les Kabyles sont les seuls à se battre pour l’Algérie, contrairement aux autres régions. Mais cela n’est pas vrai », insiste Nazim Zaidi.


(Lire aussi : L'Algérien Abdelmadjid Tebboune, apparatchik et ancien fidèle de Bouteflika)


Aucune particularité kabyle

Face aux dix mois de manifestations, le pouvoir a instrumentalisé cette apparente différence entre les régions : outre le bannissement du drapeau, le régime a également diffusé de nombreuses rumeurs, accusant la Kabylie de manipuler la contestation. « La campagne antirévolutionnaire utilise la Kabylie comme excuse », déplore Anissa*, jeune étudiante d’Oran, « mais pour nous au sein du Hirak, il n’y a aucune distinction entre les régions, il n’y a que de l’admiration pour cette région fortement mobilisée ». En accusant la Kabylie d’ingérence, le régime divise pour mieux régner. « Le gouvernement tente d’affaiblir le mouvement en divisant. C’est une stratégie bien connue. Ils ont aussi utilisé la menace islamiste, ou l’ingérence étrangère… mais aucune de ces stratégies n’a fonctionné pour l’instant », insiste Louisa Driss Aït Hamadouche.

Malgré les tentatives de division et la réputation de la Kabylie, ses habitants qui manifestent ne distinguent pas leurs demandes de celles du Hirak à travers le pays. « Les revendications n’ont rien d’identitaire ou de régionaliste, rien de local. D’ailleurs, on entend l’arabe dialectal dans toutes les manifestations, tous les slogans sont scandés dans la même langue, avec les mêmes mots », insiste Louisa Driss Aït Hamadouche, et d’ajouter : « Il n’y a aucune particularité kabyle à cette contestation. »

« Un État civil et non militaire, une Algérie libre et démocratique : les revendications sont les mêmes, affirme Nazim Zaidi. La Kabylie n’est pas dissociable du reste du pays dans cette contestation. »

*Le prénom a été modifié.



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commentaires (2)

L'article ne dit pas vraiement ce que c'est "Hirak". D'apres wikipedia le "Hirak" ca veut dire "mouvement" c'est 'la série des manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 16 février 2019 en Algérie pour protester ...'

Stes David

14 h 24, le 18 décembre 2019

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Commentaires (2)

  • L'article ne dit pas vraiement ce que c'est "Hirak". D'apres wikipedia le "Hirak" ca veut dire "mouvement" c'est 'la série des manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 16 février 2019 en Algérie pour protester ...'

    Stes David

    14 h 24, le 18 décembre 2019

  • L'Algerie, un etat en faillite du a la corruption. Depuis son independance, rien, mais alors vraiment rien n'a ete acheve. Le omble c'est que la population veut emigrer vers létat qui l'a colonise.......Bravo!

    IMB a SPO

    14 h 07, le 18 décembre 2019

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