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Moyen Orient et Monde - décryptage

En Algérie, les quatre grands enjeux post-élection

Le pouvoir est passé en force mais ne semble pas avoir réussi son pari.

La foule réunie en masse hier à Alger. AFP/Ryad Kramdi

L’élection présidentielle du 12 décembre en Algérie a été marquée par d’importantes manifestations, un taux d’abstention record, et une répression violente. Hier à midi, le verdict est tombé : Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre âgé de 74 ans, est élu président avec 58,15 % des voix. Pour les contestataires, c’est « l’élection de la honte ». Le résultat, loin de faire l’unanimité, n’a pas apaisé les tensions qui durent depuis plus de dix mois en Algérie. L’Orient-Le Jour fait le point sur la situation en décryptant les quatre grands enjeux post-scrutin.

Avec un taux de participation aussi faible, quelle légitimité pour les élections ?

Officiellement, le taux de participation annoncé est d’environ 40 %. Mais ces chiffres sont contestés par de nombreux experts. « C’est une élection illégale et illégitime », affirme Benamar Mediene, professeur de sociologie à l’université d’Oran, parlant d’« urne faussée ». Que les chiffres soient falsifiés ou non, la majorité de la population ne s’est pas rendue aux bureaux de vote, ce qui peut être interprété comme un pari raté pour le régime. « Il y a une ville où le nombre de personnes ayant voté, d’après les chiffres officiels, dépasse le nombre d’habitants réels », assure Anissa*, étudiante algérienne originaire d’Oran, « cette élection est un non-événement, elle n’a aucune légitimité ». Interrogée quelques minutes avant l’annonce du résultat, elle confie : « C’est une farce. Le résultat est prêt depuis des mois. C’est Tebboune qui va être élu, c’est le candidat du régime. »

Le taux d’abstention diffère selon les régions. La Kabylie et Alger, places fortes du mouvement de contestation, affichent les taux de participation les plus faibles. « Il y a au moins cinq wilayas qui n’ont pas participé au scrutin, observe Nacer Djabi, sociologue à Alger, on ne peut pas dire que le président élu soit le président de tous les Algériens. »


(Lire aussi : L'Algérien Abdelmadjid Tebboune, apparatchik et ancien fidèle de Bouteflika)


Abdelmadjid Tebboune, marionnette du régime ?

Le candidat élu, Abdelmadjid Tebboune, 74 ans, vient du « système » que les manifestants cherchent à abolir. Ancien préfet, ministre de la Culture et Premier ministre du plus court gouvernement de l’histoire d’Algérie, il est perçu comme proche du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, et de l’homme fort de l’armée, Gaïd Salah. « Après l’annonce du résultat, les gens étaient abasourdis, étonnés qu’un candidat passe au premier tour, et c’est justement le candidat qui a été désigné par Gaïd Salah. C’est la preuve que les élections étaient jouées d’avance », souligne Benamar Mediene.

Lors de son bref passage au pouvoir en 2017, Tebboune tente une campagne contre les oligarques puissants du pays, avant d’être limogé par le frère de l’ancien président, Saïd Bouteflika. Mais cette image de réformateur est ternie par l’arrestation de son fils, soupçonné d’avoir participé à une affaire de trafic de drogue impliquant plusieurs officiels de l’armée, après la saisie de 701 kg de cocaïne dans le port d’Oran en mai 2018. « Tout le monde a ressenti un choc, on s’est rendu compte qu’on a désormais ce président pour cinq ans », dit Benamar Mediene. « On va quand même voir ce qu’il propose, il y a beaucoup de revendications claires du Hirak auxquelles il pourrait répondre », avance pour sa part Nacer Djabi.



(Lire aussi : Algérie, Irak, Liban : la question du compromis, le commentaire d'Anthony SAMRANI)




Comment va réagir le Hirak ?

À peine les résultats annoncés, une marée humaine a envahi Alger, où les manifestants ont adapté leurs slogans, visant désormais le nouveau président : « Tebboune ton mandat est un mandat mort-né ». En cette 43e semaine de contestation, l’issue du scrutin est loin d’avoir apaisé les esprits. « Est-ce que le Hirak va réussir à maintenir le caractère pacifique qu’il revendique depuis le début ? C’est la question désormais », dit Anissa.

Pour le Hirak, les derniers mois de lutte avaient pour but principal d’empêcher ces élections, mais ses efforts auront été en vain. Les contestataires vont-ils pouvoir continuer de se mobiliser et avec quels objectifs désormais ? « Ils pourraient se dire qu’après dix mois de manifestations, il n’est pas permis de tout perdre », note Benamar Mediene. « Le Hirak doit trouver un nouveau souffle, aller au-delà des manifestations hebdomadaires, présenter des représentants, développer une organisation solide », souligne Nacer Djabi, et d’ajouter : « Mais il va persister, car les Algériens ne sont pas sortis dans la rue pour avoir un Tebboune à la place de Bouteflika. »

Quelle réaction internationale ?

Le président français Emmanuel Macron a annoncé hier avoir « pris note » du résultat de l’élection et souhaiter un « dialogue » avec le peuple algérien, une déclaration qui marque une certaine distance face au nouveau président élu sans pour autant prendre clairement position contre lui. Washington a déclaré de son côté hier soir soutenir le droit des Algériens à « exprimer pacifiquement leurs opinions ». Pour sa part, la Russie, vieille alliée de l’Algérie et soupçonnée de soutenir Gaïd Salah, a déclaré qu’elle espérait « qu’avec l’élection d’un nouveau leader en Algérie, la relation aux multiples facettes entre la Russie et l’Algérie continuera de grandir et de s’améliorer ».

Depuis le début des manifestations le 22 février, beaucoup accusent la communauté internationale de demeurer silencieuse face aux troubles politiques qui agitent le pays, alors que le pouvoir dénonce en permanence la « main de l’étranger ». « L’Algérie n’est jamais prise au sérieux par la communauté internationale, qui s’accommode de la situation sans se soucier des droits humains, déplore Nacer Djabi, ils veulent juste un accès au pétrole et au gaz, et s’assurer que l’Algérie joue le rôle de gendarme dans la région en stoppant l’immigration clandestine. »



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