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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les divisions du Hirak, une aubaine pour le pouvoir algérien ?

Malgré des résultats d’élections qui signent un rejet massif du pouvoir par la population, la mainmise de l’armée sur le pays suscite des interrogations sur l’avenir du mouvement populaire.

Un manifestant brandit une pancarte où il affirme que le nouveau chef de l’État algérien Abdelmajid Tebboune « n’est pas (s)on président », à Alger, le vendredi 13 décembre. Photo AFP

L’annonce de la victoire, aux élections algériennes du 12 décembre dernier, de Abdelmajid Tebboune, sorti vainqueur d’un scrutin hautement controversé avec officiellement près de 58,15 % des voix, et malgré une abstention record de 60 %, a tôt fait d’exacerber la colère de la population.

Le jour des élections, ils s’emparent des rues du pays pour signifier ce qui, pour eux, ne s’apparente à rien d’autre qu’une mascarade politique. Idem le lendemain où, pour le 43e vendredi d’affilée depuis le commencement du soulèvement populaire – ou Hirak – débuté en février, une marée humaine a pris d’assaut le centre de la capitale, Alger, pour dénoncer le nouveau chef d’État. En ligne de mire, un scrutin considéré comme étant pipé d’avance avec cinq candidats issus du sérail, tous liés aux années du dernier président, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir entre 1999 et mars 2019. Ce qu’ils exigent, c’est une refonte entière du système et l’avènement d’un État civil.


(Lire aussi : L'Algérien Abdelmadjid Tebboune, apparatchik et ancien fidèle de Bouteflika)



« Le régime, c’est l’armée »

Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’armée fait et défait les têtes d’affiche du pouvoir, en s’assurant toujours d’installer un homme de confiance sur le trône présidentiel. Le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, n’a d’ailleurs pas tardé à féliciter « l’homme qui convient et qui est apte à mener l’Algérie vers un avenir meilleur », à savoir M. Tebboune, après les résultats des élections. Cette réalité qui imprègne la politique algérienne depuis des décennies est une donnée-clé qui pousse certains, y compris au sein du Hirak, à préférer l’option du compromis à celle de la confrontation directe avec le pouvoir.

Le désaveu accablant que signalent les élections à la classe politique n’augure ainsi en rien d’une suite qui prenne en compte les revendications des manifestations et malgré l’unité apparente du Hirak, des fissures commencent à émerger au sein même du mouvement.

« Le régime, c’est l’armée. Les élections allaient avoir lieu, qu’on le veuille ou non. On sait que l’on vit dans un pays où nos droits sont bafoués. Mais on ne se défait pas de 50 années de régime militaire en sortant défiler chaque vendredi », confie Yassine à L’Orient-Le Jour. Cet ancien employé au sein d’une ONG invoque ce qui lui semble relever du réalisme. « On a, en face de nous, une classe politique restée bloquée dans les années 70. On ne peut pas espérer qu’elle s’élève à notre niveau. C’est à nous de nous abaisser au sien », dit-il. Quitte à ce que la réponse aux revendications soit d’une ampleur minime. Mieux vaut peu que rien.

C’est un autre son de cloche que fait entendre Lina, pour qui le dialogue avec la nouvelle administration relève du leurre.

« Personnellement, je ne vois pas le Hirak comme une organisation politique avec des représentants qui discuteraient avec le pouvoir. À moins qu’il ne s’agisse de syndicats ou d’associations. Mais je doute que le régime le permette. Tebboune, c’est la continuité de Bouteflika et c’est toujours Salah qui est derrière », avance cette jeune militante féministe de 21 ans. « Si Tebboune veut vraiment faire un pas vers le Hirak, il doit libérer les détenus d’opinion et arrêter la répression. »


(Lire aussi : Algérie, Irak, Liban : la question du compromis, le commentaire d'Anthony SAMRANI)



Fractures culturelles

Pour l’heure, le pouvoir semble privilégier la voie de la division, notamment à travers ses méthodes de répression, l’amplifiant dans certaines régions tout en affichant un discours qui prône la main tendue vers les contestataires. Abdelmajid Tebboune a ainsi lancé dès vendredi dernier un appel au dialogue avec le Hirak « pour trouver une issue à la crise du pays ». De cette dualité jaillissent des perceptions différentes quant au niveau d’étouffement du mouvement dans deux grandes villes comme Alger ou Oran.

« L’ampleur de la répression a énormément changé, surtout à Oran. Ce qui est très choquant, c’est que ce n’est pas du tout pareil à l’échelle nationale. La mobilisation en Kabylie est encore plus forte qu’avant, malgré la répression, alors qu’ici à Oran, on essayait de manifester mais on s’est retrouvés bloqués parce qu’il y a un déploiement énorme de policiers dans la ville, surtout en civils, et on ne peut plus rien faire », dénonce Lina qui a tenté tant bien que mal de se mobiliser dans les jours qui ont suivi le scrutin. « Quand on sortait dans la rue, les flics venaient nous voir et nous menaçaient. Il y a eu 400 arrestations. »

Beaucoup d’Oranais voient derrière la répression dans leur ville la main d’Ahmed Gaïd Salah, qui chercherait à mettre au pas le mouvement, maintenant que les élections ont eu lieu et qu’elles permettent de doter le pouvoir d’une façade de légalité.

Il s’agit ainsi de présenter l’ouest du pays comme étant favorable au régime, par opposition à d’autres régions telles que la Kabylie par exemple. Tout au long du Hirak, le chef d’état-major a tenté de semer les graines de la discorde entre les Algériens, jouant sur les lignes de fractures culturelles du pays. Il avait ainsi fait interdire à la mi-juin tout autre drapeau que l’emblème national dans les défilés de contestation, ciblant indirectement le drapeau amazigh (berbère), brandi par de nombreux manifestants.

Yassine, pour sa part, décrit une autre ambiance à Alger où il vit. « Je n’ai pas noté de grande différence entre l’avant et l’après élection. C’est encore trop tôt pour le dire, nous n’avons eu qu’un vendredi depuis. J’ai l’impression que la police a interpellé et réprimé comme à son habitude, pas davantage », commente ce jeune homme de 27 ans, qui a dû passer 12 heures au commissariat après une interpellation au sortir d’une pizzeria. En cause, le rouge de son écharpe, que les policiers ont assimilé à une couleur politique.

Pour certains, le Hirak se doit d’évoluer vers de nouveaux modes d’action s’il veut avoir un impact plus fort et pousser le pouvoir à de réelles concessions. « On ne peut pas continuer à marcher tous les vendredis si l’on ne fait rien à côté, résume Lina. Je pense à la grève, à la mise en place de comités d’actions de mobilisation. Manifester le vendredi, jour de congé, n’a pas d’impact économique important. »

Pour d’autres, il est temps que le mouvement se structure politiquement et qu’en émergent des leaders, aptes à dialoguer avec le pouvoir. « C’est dans l’intérêt de l’État que le Hirak dégage des représentants. Les autorités se disent qu’elles pourront les corrompre, leur donner des portefeuilles ministériels afin qu’ils calment la contestation », analyse Yassine. « Dégager des représentants n’est une bonne chose qu’à condition qu’ils soient choisis sur la base de leur intégrité. Ils faut qu’ils soient inébranlables, en toute circonstance, face à n’importe quelle proposition alléchante de l’État », conclut-il.


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En Algérie, comme au Chili et peut être au Liban, les mouvements pacifiques de contestation paraissent dans une certaine impasse. Si l'on se réfère à des situations positives de changement d'état (Grèce des Colonels, Espagne après Franco, Portugal, voire Tunisie plus récemment), une remarque s'impose : ces changements ont été facilités par une longue action semi clandestine, politique, doctrinale, sociale. Avec souvent un poids déterminant de la sociale démocratie. Je trouve à cet égard que les grands partis socio-démocrates ou libéraux européens n'affichent plus leur solidarité comme ils ont su le faire à d'autres époques. Peut être sont ils trop faibles pour le faire ?

F. Oscar

08 h 28, le 16 décembre 2019

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Commentaires (1)

  • En Algérie, comme au Chili et peut être au Liban, les mouvements pacifiques de contestation paraissent dans une certaine impasse. Si l'on se réfère à des situations positives de changement d'état (Grèce des Colonels, Espagne après Franco, Portugal, voire Tunisie plus récemment), une remarque s'impose : ces changements ont été facilités par une longue action semi clandestine, politique, doctrinale, sociale. Avec souvent un poids déterminant de la sociale démocratie. Je trouve à cet égard que les grands partis socio-démocrates ou libéraux européens n'affichent plus leur solidarité comme ils ont su le faire à d'autres époques. Peut être sont ils trop faibles pour le faire ?

    F. Oscar

    08 h 28, le 16 décembre 2019

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