La journaliste libanaise Dima Sadek. Photo D.R.
La journaliste libanaise Dima Sadek, qui fait désormais l'objet d'une campagne de cyber-harcèlement et qui subit de nombreuses menaces de la part des partisans du Hezbollah et du mouvement Amal, surtout depuis le depuis le début de la révolte populaire du 17 octobre, a dénoncé samedi une "incitation au meurtre", suite aux propos tenus par un dignitaire chiite, qui avait évoqué sa "crucifixion" et son "amputation en vertu de la charia", provoquant une nouvelle polémique.
Tout commence le 25 novembre au soir, lorsque la journaliste, qui était présente lors d'une manifestation contre le pouvoir sur la voie-express du Ring à Beyrouth, se fait voler son portable, devant les caméras en direct, par un homme vraisemblablement partisan du Hezbollah ou d'Amal, que la journaliste critique régulièrement. Le lendemain, Dima Sadek, vedette de la LBCI, annonce sa démission de la chaîne télévisée, affirmant avoir été mise à l'écart par la direction de la chaîne en raison de ses tweets au sujet de la présidence de la République.
Récemment, Dima Sadek est revenue dans une vidéo sur les circonstances du vol de son portable, critiquant l'individu qui le lui a volé, en mettant en avant des arguments d'ordre religieux pour expliquer à cet homme que son geste est contraire aux enseignements de l'islam. Mme Sadek est elle-même de confession chiite.
Samedi, la journaliste a partagé une vidéo d'un dignitaire chiite, l'uléma sayyed Mahmoud Berjaoui, qui incitait à la violence contre elle.
هذا تحريض رسمي على القتل!تهدرون دمي رسميا! تدعون الناس علنا بإسم الدين الى قطع يدي و رجلي ولصلبي؟ لن أُشبهكم بذلك التنظيم كما فعل الآخرون (نظرة سريعة على تويتر تكفي كي تعرفوا بماذا يشبهكم الناس بعد هذا المقطع).سأكتفي أن أضع هذا الفيديو اخبارا للقوى الأمنية @rayaelhassan @LebISF pic.twitter.com/R7AqvETk9b
— Dima (@DimaSadek) December 7, 2019
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Crucifier et amputer
Dans l'enregistrement, le cheikh chiite, qui s'adresse à des fidèles lors d'un prêche, reprend des propos qu'il attribue à Dima Sadek, qui selon lui s'adressait à celui qui lui a volé son portable. "+Est-il acceptable, hajj, que tu voles ? que tu t'en prennes à moi ? (...)+ lui dit-elle. Ce qu'elle cherche à lui dire c'est que moi, Dima Sadek, je veux crier, trahir et coopérer avec l'ennemi, provoquer la mort et d'autres choses, mais que toi, tu n'as pas le droit de me voler car tu es croyant, même si je suis criminelle et corrompue. Voilà le summum de l'insolence !", s'emporte le cheikh dans la vidéo. S'adressant à Dima Sadek, le dignitaire lui lance sur un ton remonté : "Si tu veux la charia (la loi islamique, ndlr), je vais te parler de charia. Celle-ci dit que ceux qui combattent Dieu et son prophète (Mahomet) sur Terre, doivent être amputés des mains et des bras, crucifiés". Et le cheikh de poursuivre : "Tu sais ce que tu as fait ? Tu a coupé des routes. Tout comme la charia bannit le vol et prévoit l'amputation du bras du voleur, la charia prévoit de te crucifier, ou encore de t'amputer la main et la jambe (...)", conclut-il.
"C'est une incitation flagrante au meurtre! Vous cautionnez l'effusion de mon sang ! Vous appelez les gens publiquement, au nom de la religion, à me trancher la main, la jambe et à me crucifier ? Je ne vais pas vous comparer à cette organisation (le groupe terroriste État islamique, qui commet de nombreuses exactions, notamment des amputations et des crucifixions, au nom de l'islam) comme d'autres l'ont fait (...). Je vais me contenter de mettre cette vidéo à la disposition des forces de l'ordre, en guise de note d'information", a réagi la journaliste sur Twitter, samedi, en incluant dans son message le compte Twitter de la ministre sortante de l'Intérieur Raya el-Hassan, et celui des Forces de sécurité intérieure.
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"La charia"
La réponse du dignitaire chiite est venue en soirée. Dans un communiqué, il tente de minimiser ses propos, dénonçant "une exploitation et une déformation" de ce qu'il a dit.
"Tout ce que j'ai dit c'est que la journaliste Dima Sadek a cité la charia pour dire que le vol de son portable est un péché. De mon côté, j'ai répondu que les sanctions contre les voleurs sont prévues par la charia, notamment l'amputation de la main, tout comme les sanctions prévues contre les corrompus, et qui sont les plus sévères. Tout ces propos figurent dans le Coran. Je n'ai pas appelé à l'instauration d'un État islamique ou à infliger des sanctions. (...) Je refuse la violence. Que les lecteurs se souviennent que la nouvelle corruption, représentée par la journaliste pré-citée ainsi que d'autres au Liban, n'est pas meilleure que la corruption contre laquelle ils s'insurgent", écrit l'uléma. "C'est pour cela que j'appelle cette journaliste et tous ceux qui la défendent (...) à garder le différend sur le plan politique, loin des références religieuses", conclut le dignitaire, affirmant avoir demandé à la personne qui a publié la vidéo de son prêche de la retirer "afin d'éviter toute exploitation négative".
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes, journalistes et activistes ont affiché leur soutien à la journaliste libanaise.
Dima Sadek est constamment sous les feux des critiques des partisans du Hezbollah et du Courant patriotique libre, fondé par le président de la République, Michel Aoun, et dirigé par le ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil. Ses opinions sont souvent dirigées à l’encontre de "l’esprit raciste" qui marque, selon certains observateurs, le discours du CPL.
Récemment, et comme cela a été le cas pour plusieurs autres journalistes, le numéro de portable de Mme Sadek avait été rendu public sur les réseaux sociaux. "Mon numéro de téléphone a été rendu public, avec un appel aux internautes pour que je sois insultée de manière continue", avait-elle révélé sur son compte Facebook. Elle avait ensuite publié des captures d’écran de certaines des insultes reçues sur son téléphone. Victime aussi de ce harcèlement sur son propre compte, en raison des prises de position de sa fille, la mère de la journaliste avait alors dû être hospitalisée, victime d’un malaise.
En juin, Dima Sadek avait été violemment agressée sur les réseaux sociaux. "Vous méritez qu’on vous viole. Y a-t-il quelqu’un de plus sale que vous ?" lui avait alors écrit un internaute.
Dima Sadek est originaire de Khiam (Liban-Sud). Elle a fait des études de sciences politiques à l'Université Saint-Joseph, et a commencé sa carrière à la télévision en 2007. Elle avait rejoint la LBCI en 2011.
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commentaires (28)
Courage à vous, Dima Sadek. La majorité des libanais vous supporte.
Mohamed Melhem
23 h 06, le 11 juillet 2023