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Lifestyle - Beyrouth Insight

Dima Sadek, une main de velours dans un gant de fer

Cette brune hitchcockienne qui officie au journal de 20h de la chaîne locale LBCI et y affiche une neutralité troublante n’hésite pas à user de son statut de « star du petit écran » pour s’indigner en faveur des causes qui lui tiennent à cœur. Même pas peur.

Dima Sadek : « Je me suis toujours remise en question, c’est mon  “motto”  (ma devise) dans la vie. » Photo DR

Elle a beau avoir rangé ses inénarrables blazers cintrés, ses jupes crayons qui ont déchaîné tant de passions, ses décolletés saillants sur lesquels on a autant craché que salivé ; bref, accroché tout son attirail de corporate woman féline au vestiaire de sa grand-messe du 20h. Elle a beau avoir troqué ses talons aiguilles pour les baskets de sa quotidienneté, dissimulé son regard au rimmel écarquillé derrière des verres fumés comme on tente de se draper d’un voile d’anonymat, il suffit à Dima Sadek de paraître, ou seulement d’apparaître, dans ce restaurant plein à craquer de la rue Verdun, pour que l’intégralité des rétines autour, d’un même mouvement, s’aimantent vers elle. Une certaine facilité ferait qu’on mette cela sur le compte d’une indiscutable beauté. Certes, mais il serait dommage de se soucier tant de cette moue lippue de Betty Boop parachutée sur une rive orientale, et si peu de ce qui s’en dégage : une présence éminemment magnétique. « Je l’avoue, je suis dans un métier ingrat et injuste, car ce qui compte, c’est la présence, cette chose difficile à décrire, mais qui ne s’acquiert pas, c’est soit on l’a et soit c’est raté », concède-t-elle. Alors, pour un moment, on est persuadés d’avoir résolu l’énigme Dima Sadek, elle qui a émergé en 2007, à l’ombre de la confrérie Ghanem, du ténor de l’info May Chidiac et, trois ans plus tard, s’est vue tenir les rênes du 20h de la chaîne locale LBCI.

Une vocation

Et lorsqu’on pensait naïvement l’avoir cernée, la femme de signe Poissons nous file d’entre les doigts et écaille, d’un geste leste, l’image télévisée que l’on avait d’elle. Elle jure : « J’ai longtemps été faible de caractère, jusqu’à même me faire harceler à l’école. Il serait difficile à croire cela, maintenant qu’une certaine image de moi, forte, est renvoyée à l’écran. » Cela dit, et bien avant qu’elle n’y soit propulsée, Sadek se projetait dans ce petit écran face auquel elle veillait, en catimini, avouant qu’elle a « toujours rêvé de télévision, depuis la petite enfance. Je me souviens même que le 13 octobre 1990, en réaction aux événements qui secouaient le pays, je m’étais emparée d’un enregistreur et j’avais réalisé mon premier reportage. Pour moi, il n’y avait aucune confusion, je voulais être journaliste politique ou rien ». Si la journaliste déplore avoir poussé entre les débris de la guerre civile, elle réalise tout de même que c’est là que remontent ses appétences pour le jeu sociopolitique dont elle tente, très jeune, de déchiffrer l’échiquier. De fait, et bien que résidant « à l’Ouest », particulièrement à une époque où la ville n’en finissait pas d’être coupée en deux, les parents de Dima Sadek la scolarisent au Lycée français, une expérience bien plus décisive qu’elle n’y paraît car, détaille-t-elle, « je me suis retrouvée du jour au lendemain, alors que le pays était encore plein de séquelles, dans un milieu éminemment chrétien et très éloigné de celui où j’avais grandi. Tous les jours, je me sentais au cœur d’une contradiction entre la maison et mon environnement scolaire, et je comprenais un peu plus les rouages sociaux ». Et de rajouter, non sans une pointe d’amertume qui se palpe au fond de ses cordes vocales musclées : « J’ai même été jusqu’à cacher mon identité, ma religion avec un sentiment d’insécurité qui me rongeait. Et puis, avec le temps, surtout au moment où j’intégrais l’USJ, et que je découvrais l’aspect politique de cette société chrétienne, j’ai été confrontée à des débats d’idées qui m’ont éclairée et confirmé que ma vocation était bien le journalisme. » Forte de cette formation en sciences politiques qu’elle consolide avec un emploi parallèle au journal as-Safir, « en plein milieu de l’action, avec les manifestations estudiantines et mes engagements auprès de causes palestiniennes et irakiennes », biberonnée par des professeurs éclairants dont Samir Kassir, « qui m’a profondément marquée », Sadek se félicite surtout d’avoir réussi à s’affranchir d’un certain déterminisme politique familial, se souvenant « qu’un peu comme tous les Libanais, mes idées politiques ont été façonnées par l’environnement familial et ses convictions, très loin des miennes d’aujourd’hui, et dont j’ai réussi à me détacher à la faveur de l’éducation libérale francophone à laquelle j’ai eu accès ».


Même pas peur

À l’heure où grand nombre de ses consœurs escaladaient l’échelle des pistons, usant – entre autres – des concours de beauté comme tremplin vers le petit écran, Dima Sadek dit avoir préférer le chemin parfois escarpé de la méritocratie. En 2004, elle décroche un stage à la BBC à Londres, remportant un concours organisé par la chaîne. Trois ans plus tard, un seul et bref casting auprès de la OTV qui recrutait à l’époque – une question de présence, sans doute – la caracolera au-devant du petit écran, un soir de 2007. En l’espace de quelques semaines, sans difficulté apparente, elle cambriole l’attention d’un audimat qui la désire autant qu’il la dézingue, lui reprochant sinon ses propos aiguisés qu’elle enveloppe toujours d’un sarcasme soyeux, du moins ses penchants politiques, clairement en faveur des propriétaires de la OTV. Et de nuancer : « Même si mes opinions politiques se savaient, car on vit dans un pays minuscule, j’estime avoir toujours tenu à critiquer et titiller les deux courants politiques majeurs, quitte à devoir aller à l’encontre de ce que je sentais et pensais au fond de moi. D’ailleurs, je me suis toujours remise en question, c’est mon “motto” (ma devise) dans la vie. Avec les événements de mai 2008, puis la guerre en Syrie, tout d’un coup, c’est comme si les choses se renversaient dans ma tête et je ne pouvais plus continuer à encourager les mêmes partis du courant 8 Mars. Leurs décisions allaient à l’encontre de mes principes. » Ce n’est donc pas un hasard qu’à la même période, la présentatrice de la OTV zappe la chaîne de ses débuts, mais seulement pour mieux rebondir, officiant depuis au journal télévisé de 20h dont elle est intronisée reine à l’unanimité. « Peut-être grâce à ma neutralité à laquelle je tiens », pense-t-elle. Sauf que le secret de cette réussite réside sans doute ailleurs. C’est qu’à la télé comme dans la vie de tous les jours, il suffit d’une infime injustice pour que la bouche en cœur de Dima Sadek mute en mitraillette. Et la voilà qui s’empare de son compte Twitter, ou son plateau télévisé lorsqu’elle le peut, pour soutenir le mouvement « Vous puez ! » ou décrier la misogynie. Pour dénoncer l’homophobie envers la communauté LGBT, « une cause qui me tient particulièrement à cœur », se prononcer en faveur de Mashrou’ Leila ou, plus récemment, s’indigner contre la violence faite à un enfant. Mais, « parce que je suis une femme dans un pays fondamentalement machiste et patriarcal, il me suffit d’exprimer une idée qui contrarie certains pour que je me fasse lyncher sur les réseaux sociaux, me faisant traiter de pute, de bonne à rien sinon à faire du shopping. Bref, les clichés qu’on connaît. Mais étrangement, je n’ai jamais eu peur. J’ai reçu des menaces bien plus graves que celles-ci et je n’ai jamais eu peur », conclut-elle avec un sourire tendu à la foule autour. Qui la dévore des yeux.



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Elle a beau avoir rangé ses inénarrables blazers cintrés, ses jupes crayons qui ont déchaîné tant de passions, ses décolletés saillants sur lesquels on a autant craché que salivé ; bref, accroché tout son attirail de corporate woman féline au vestiaire de sa grand-messe du 20h. Elle a beau avoir troqué ses talons aiguilles pour les baskets de sa quotidienneté, dissimulé son regard...

commentaires (7)

Bravo Dima et continues comme tu es. Si les autres du media prennent exemple sur toi on aura peut être pas autant des soucis dans ce pays!!!

Assoun F

18 h 10, le 26 septembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Bravo Dima et continues comme tu es. Si les autres du media prennent exemple sur toi on aura peut être pas autant des soucis dans ce pays!!!

    Assoun F

    18 h 10, le 26 septembre 2019

  • La jalousie mélangée au vide intérieur font enfler les ballons...qu'une simple piqûre d'épingle fera éclater... Irène Saïd

    Irene Said

    17 h 18, le 26 septembre 2019

  • Il n'y a aucun mérite à être belle quand on est libanaise. C'est commun .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 12, le 26 septembre 2019

  • Du signe des Poissons , elle aurait pu finir en sirène envoutante par ses chants Homériques .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 44, le 26 septembre 2019

  • Au risque de choquer certains, la présence s'acquiert aussi !!!, mais pas facilement, d'ailleurs Madame Sadek le mentionne également (son enfance). Pour gagner en présence il faut avoir d'abord la conscience tranquille et d'opérer dans des domaines qu'on maîtrise parfaitement. Bien évidement la fortune, le regard des autres et l'entourage familial aident énormément. Un portrait déjà très beau a été retaillé à merveille par Gilles Khoury. Excellent article et bonne chance à Dima Saded

    Shou fi

    11 h 29, le 26 septembre 2019

  • LA DETERMINATION ET LA PERSEVERATION SONT LES PARENTS DE LA REUSSITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 27, le 26 septembre 2019

  • "c’est la présence, cette chose difficile à décrire, mais qui ne s’acquiert pas, c’est soit on l’a et soit c’est raté" Elle a les chevilles qui enflent la Sadek. Mettez un baudet a la television matin, midi et soir et vous en ferez une star internationale Je ne suis pas certain qu'elle aurait eu cette "presence" si comme metier elle essuyait des carreaux

    Elementaire

    08 h 24, le 26 septembre 2019

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