Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a rejeté jeudi la formation d'un gouvernement techno-politique, une option privilégiée par le pouvoir qu'il a critiqué avec virulence, mais rejetée par le mouvement de contestation qui réclame un gouvernement de technocrates. Le leader maronite s'est toutefois abstenu d'aborder la question des consultations parlementaires pour la nomination du futur Premier ministre, qui doivent avoir lieu lundi, et n'a pas mentionné quelle personne les députés de son groupe parlementaire allaient nommer dans ce cadre. Mais dans un communiqué publié quelques heures plus tard en fin de soirée, le bloc de la République forte (des Forces libanaises de M. Geagea) a annoncé qu'il ne va nommer aucune personnalité pour le poste de Premier ministre.
Depuis le début de la révolte, les autorités "essaient de sous-estimer les gens", a dénoncé M. Geagea, à l'issue d'une réunion du groupe parlementaire de la République forte. Il a critiqué l'intention des différentes formations politiques à vouloir "monter un gouvernement dont une partie seulement des ministres seront des experts et le reste des responsables politiques, alors que depuis 50 jours, la révolte populaire et pacifique réclame un gouvernement de salut entièrement composé de spécialistes indépendants".
Dans ce futur cabinet, "même les spécialistes ne seront pas indépendants, mais des conseillers techniques des formations actuellement au pouvoir", a-t-il estimé, soulignant que le pouvoir de décision de ces ministres serait donc "otage des mêmes groupes politiques qui ont mené le pays à la ruine". Et le chef des FL d'accuser les autorités de faire preuve d'"irresponsabilité" en continuant d'agir "selon les mêmes méthodes, mais avec de nouveaux visages".
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"Décor"
"Ils évoquent la formation d'un cabinet techno-politique, au sein duquel sera représenté le mouvement de contestation, comme si le problème de la révolution était une question de partage du pouvoir ou de représentation ministérielle", a-t-il déclaré. Il s'est interrogé sur la façon dont pourraient coopérer, au sein d'un même gouvernement, des personnalités politiques et des représentants du mouvement de contestation qui réclame leur chute.
Et le leader chrétien d'insister sur le fait que le cabinet techno-politique proposé "n'est que d'une seule couleur", et comprend des technocrates nommés uniquement "comme un décor pour les mêmes forces politiques qui ne travaillent que sur base de divisions politiques, en fonction de leurs intérêts, alors qu'ils ont perdu la confiance des gens, autant sur la scène locale qu'à l'étranger". "Ce qui est réclamé, aujourd'hui, c'est un gouvernement qui travaille sur base de questions scientifique et économiques, d'une manière nouvelle, qui se caractérise par ses compétences objectives et rétablit la confiance dans le Liban", a poursuivi M. Geagea.
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"Ils vivent sur Mars"
Poursuivant sa diatribe contre les dirigeants politiques, Samir Geagea les a accusés de se comporter vis-à-vis de la crise politique et sociale "comme s'ils vivaient sur Mars". Il a encore critiqué la référence des autorités aux "complots étrangers et aux ambassades qui soutiendraient la révolution". "Leur comportement à lui seul peut attiser une énorme révolution", a-t-il lancé.
Concernant la crise économique que traverse le Liban, il a souligné que "ce qui était craint a fini par arriver", soulignant que le pays se trouve "au bord de l'effondrement et regrettant que la majorité ministérielle "n'a pris aucune mesure ni réforme sérieuse dans la bonne direction". "Au contraire, en continuant de se comporter comme avant, cette majorité a accéléré l'effondrement", a-t-il accusé. Il a dans ce contexte appelé à "ranimer immédiatement" la situation économique du pays, avec un plan de sauvetage révolutionnaire qui répond aux revendications de la rue, "loin de toute logique du partage de gâteau".
"La révolution est le résultat naturel de l'échec des responsables politiques, qui ont appauvri le peuple, a encore lancé M. Geagea. Le peuple n'est descendu dans la rue que parce qu'il devenait de plus en plus difficile d'obtenir de quoi vivre".
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Priorités
L'annonce de la date des consultations parlementaires a été rendue publique mercredi par la présidence de la République, alors que le pays est secoué depuis le 17 octobre par un mouvement de contestation populaire sans précédent réclamant le départ de l'ensemble de la classe politique jugée corrompue et incompétente, sur fond de crise économique aiguë.
La contestation a entraîné la démission le 29 octobre de Saad Hariri, mais le chef de l’État Michel Aoun était réticent à lancer dans la foulée les consultations parlementaires pour désigner un nouveau chef de gouvernement, conformément à la Constitution. Le président souhaitait en effet préparer une "formule" gouvernementale convenant aux différentes parties avant la nomination d'un Premier ministre, afin d'accélérer la formation du futur cabinet. Ces discussions entre les principales formations politiques semblent progresser dans le sens d’une équipe techno-politique dirigée par l'homme d'affaires Samir el-Khatib, une option qui ne va pas du tout dans le sens de ce que réclament les manifestants, qui exigent un cabinet de spécialistes indépendants.
Michel Aoun avait plus tôt dans la journée de jeudi exprimé l'espoir que la formation du gouvernement se ferait "le plus rapidement possible afin de pouvoir résoudre les problèmes urgents" que connaît le pays. Il avait souligné, alors qu'il recevait une délégation du haut conseil de la magistrature, que "les priorités du futur cabinet seront de mettre en application les réformes nécessaires, poursuivre la lutte contre la corruption et trouver des solutions aux problèmes dans l'administration publique".
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commentaires (14)
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EL KHALIL ABDALLAH
15 h 59, le 06 décembre 2019